Le chant est l’expression d’un état d’âme, d’une situation précise.

Qu’il soit triste ou gai, le chant soulage dans bien des cas.

J’ai été élevé par ma grand-mère durant une bonne période de mon enfance, adolescence et d’adulte.

Et les premiers chants qui me sont parvenus, du haut de ma tour en bois, mon ‘parking’, pas plus haute de 80 cm, c’était les chants de MEIHA.

Ma tour en bois était située dans la salle à manger, juste en face de son lit, un ‘cosi’ (banc). C’est là assise qu’elle vaquait au vue de son embonpoint, aux taches ménagères. Tâches que maman lui donnait pour s’occuper. Elle était d’une précieuse aide.

Presque tout passait par elle et les conseils culinaires faisaient profiter notre famille nombreuse qui se déplaçait dans un espace ne dépassant pas les 20 M2 pour la seule salle à manger. Mobilier compris. On ne parlait pas aisance chez nous, mais plutôt promiscuité. Mais tout était propre et surtout ordonné. 

Donc à l’âge de 5 ans, apprivoisée la langue judéo arabe.

Maman parlait souvent avec sa maman dans ce dialecte que je maitrise très bien encore aujourd’hui.

Plus tard, l’école est venue m’apprendre les ficelles du français. Et pas des cordes au vu de mon instruction, celle d’aujourd’hui  qui n’est pas géniale. Dommage.

Souvent, alors que j’étais assis au fond de mon ‘parc’ artisanal, à farfouiller les coins de mon abri à la recherche de rien du tout que  je grattais avec mes ongles, plutôt les abords inférieurs de ma ‘case’ étriquée, je m’agrippais aux rebords de ma caisse pour entendre la voix de ma grand- mère chanter.

Elle était d’une grande monotonie et certaines paroles m’échappaient.

Ce fut plus tard que maman m’expliquait le sens des paroles.

Ces refrains qui revenaient invariablement et  dans lesquelles des prénoms revenaient sans cesse. Les prénoms de ses enfants perdus dans leur jeune âge. Des mélodies languissantes souvent accompagnées par des petites tapes sur ses genoux, en cadence, signes de son désarroi des années précédentes. Ce n’est que bien plus tard, que j’apprenais son vécu et tout le reste, la naissance de ma mère dans un rituel d’époque.

Elle se balançait de droite à gauche, comme le ferait un religieux juif dans sa litanie et cela afin de mieux se concentrer dans son récital.

Des soupirs langoureux, mais jamais de larmes pour ne pas assombrir l’atmosphère de la maison. Elle restait digne.

Maman me disait qu’elle se soulageait de sa trop grande peine, de sa très grande tragédie. 

Tout en  chantant parfois les yeux fermaient, elle fabriquait des petites pâtes ( hlalém) qu’elle jetait à la volée sur un tamis retourné. Plusieurs d’entre eux allaient mordre la poussière. Ce qui la faisait rire par moment.

J’ai eu cette chance de vivre longtemps prés d’elle. Plus de 30 ans et je ne l’ai jamais quitté sauf qu’elle nous a laissé tomber dans mes bras,  un jour de juillet pour un monde meilleur.

Ce que j’ai appris d’elle, aucune école au monde ne me l’aurait appris.

La sagesse, ses proverbes, ses maximes, cette vivacité d’esprit bien qu’ignorante.

Elle avait un  caractère conciliant. Éprise de paix, bien souvent elle donnait tord à ma mère pour épargner mon père des querelles qu’elle n’aimait pas. Tous les voisins musulmans venaient prendre conseil chez elle.

On ne mesure aujourd’hui la présence d’une mémé  dans son chez soi parce qu’aujourd’hui la vie est si dure que les jeunes couples ne s’encombrent plus de ces ‘fardeaux’.

Et pourtant, comme je la regrette. Hélas.

Je vous prie de m’excuser.

Albert Simeoni