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L'exode tunisien


   

Souvenirs, souvenirs....


L'exode tunisien
par Daniel Gerson



Gare de Lyon. Dans le petit matin déjà froid de l'automne parisien, le train de Marseille verse son flot de voyageurs harassés et pressés. Chargés de valises mal ficelées, de ballots informes, un groupe composé de nombreux enfants titubant de sommeil, d'hommes et de femmes de type méditerranéen, se dirige d'un pas incertain vers la sortie, à la manière désabusée de ceux que personne n'attend, et pour qui le temps ne compte pas : ce sont des réfugiés de Tunisie.

Moins spectaculaire que l'afflux algérien, le grand exode de la communauté tunisienne démarre en 1955 à un rythme relativement modéré : une centaine de familles par mois. Il s'accélère avec la crise de Bizerte en 1961 : de septembre à décembre 1961, 1 500 familles, soit environ 4 000 personnes, se font connaître de notre communauté ; 6 000 personnes en 1962, représentant quelque 1 800 familles ; 3 500 personnes en 1963.

Depuis quelques mois enfin, l'exode s'est transformé en panique, puisqu'en un peu plus d'un semestre on aura enregistré autant d'arrivées que pour toute l'année 1963.
Bien entendu, ces statistiques ne tiennent pas compte des personnes qui n'ont pas fait appel à la communauté, soit environ une sur cinq.

Ces émigrations successives ont réduit à moins de 20 000 (25 000 selon certaines sources) la communauté juive tunisienne qui comptait 70 000 âmes : et l'on peut affirmer sans risque d'erreur que plus de trois quarts des émigrants sont venus en France et plus précisément à Paris.

Les causes de la panique récente sont multiples : politiques, économiques, familiales. Pendant longtemps,
Bourguiba a été cité en exemple pour sa modération vis-à-vis du problème israélien, comme pour son intelligence avisée en ce qui concernait ses compatriotes de religion juive, dont il était le premier à louer le rôle dans l'économie, l'administration et la culture du pays. Considéré comme un «jaune » par les autres pays arabes, et en particulier par la RAU [union éphémère de l'Égypte et de la Syrie - NDLR] qui interprétait l'absence de mesures de rétorsion à l'égard des Juifs tunisiens comme une approbation implicite de l'existence de l'État d'Israël, Bourguiba a jugé nécessaire de se dédouaner. Ce furent tout d'abord des discours incendiaires, et des mises en garde à l'égard de la communauté juive accusée d'être « tunisienne d'esprit, mais israélienne de cour », puis ce furent des actes. (...)

Si quelques-uns restent à Marseille, l'écrasante majorité des réfugiés montent à Paris, la capitale aux mille mirages, où l'on désenchantera rapidement.

Le drame, dans toutes ses dimensions tragiques, commence en effet à Paris.

À l'exception de ceux qui possèdent la nationalité française (rares, car la plupart de ces derniers sont restés en Tunisie), les Tunisiens ne sont pas considérés comme des « rapatriés » mais comme des étrangers au même titre que les Espagnols, Portugais ou Italiens. Non seulement, ils ne reçoivent en conséquence aucune aide de l'État, mais ils sont soumis à la législation sur les étrangers. Pour obtenir une prolongation de leur permis de séjour, qui expire au bout de trois mois, ils doivent justifier et d'un contrat d'embauche et d'un logement.

Si l'on estime à 20% le nombre de ceux qui se « débrouillent » par leurs propres moyens - qu'ils aient transféré une partie de leurs capitaux à temps, qu'ils aient un point de chute chez des parents ou amis ou qu'ils retrouvent un emploi immédiatement chez leur ancien employeur qui possède son siège social à Paris -, tous les autres sont dans le dénuement le plus complet.
 

 


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