LES
MEMOIRES D’UN GOULETTOIS
PAR ALBERT SIMEONI (BEBERT)
L’ENFANT DE LA GOULETTE
18/6/89 21/4/2003
Hier…….
‘ MARBRERIE L. SIMEONI’
-Vente au détail.
-Tous travaux de coupe.
-Entretien de caveaux.
-Confection de tombes.
-Travaux et prise de mesure sur place.
-Ponçage et lustrage.
-Déplacement sur chantier.
Telle était l’enseigne accrochée au fronton de la Marbrerie. Au 15 Rue
Bab-El-Khadra à Tunis, prés du ‘Sabat él Dziri’.
En 1960, mon père repris lentement, après sa faillite, son ancienne activité
ouverte sous la patente au nom de ma mère. Un local de 20 M2 sur rue, dans un
quartier passant.
Mon père, à ces débuts, se fournissait en petite matière première , de menues
plaques taillées à la bonne mesure et de diverses épaisseurs, chez Monsieur
Nani Boublil, son patron qui commercialisait différents carrelages en tout
genre et des sanitaires importés. Son usine fabriquait aussi des carreaux en
mosaïque, du coté de Dubosville, sur la route de Mégrine. Une grande fabrique.
Mon père, tout en étant patron de son petit artisanat, cumulait la fonction de
contre maître chez cette famille hors paire tant leur générosité était grande.
Il ne le calculait pas sachant mon père en difficulté en ce temps là. Il lui
fournissait la petite marchandise à bas prix.
Un ouvrier bien qualifié du nom de Mongi, une force de la nature, graveur
bi-langue présidait donc dans les lieux en l’absence de mon papa. Nous étions
spécialisés dans la confection des plaques mortuaires en arabe et de tombes
juives. Point de grosses machines, l’espace ne le permettait pas.
Voyant que son affaire prenait du poil de la bête au fil des mois, et vu
l’exiguïté du local Ayouch soudoya un voisin gitan ou maltais qui logeait
juste derrière le mur de la ‘fabrique’ par une petite liasse de dinars. La
famille toute heureuse de l’aubaine, quitta les lieux et offrit ainsi
l’occasion à mon défunt père, de casser le mur attenant et d’agrandir sa
surface. Le second voisin sans doute allèche par le fric, eut vent de
l’affaire et proposa à mon papa sa chambre et ainsi de suite. Sept familles
s’exilèrent pour notre bonheur. Dans les mêmes conditions.
En fait , ils habitaient tous dans une oukalla, dont l’hygiène laissait à
désirer. Ajoutons à cela la poussière du marbre et le bruit des marteaux, qui
se dégageaient par les lucarnes du local qui donnaient sur la cour, et vous
avez là une mixture bienfaisante qui encouragerait les meilleures volontés du
monde à déménager. Il s’appropria en plus des chambrettes, une vingtaine de
mètres carrés pris sur la cour pour installer un puits artésien et non
cartésien. Et son petit stock de plaques en pierre. C’est ce qu’on appelle
‘Mesmar mta Chyââ ‘ ou l’esprit
d’ entreprise.
Toujours avec la bénédiction du gérant juif qui avait pour D ieu, le fric. Il
aurait pu lui vendre sa mère, mon père, qu’il aurait acheté.
Le magasin était passe de 20 à 120 mètres carrés en moins de deux ans sous
l’œil bienveillant de ce gérant de l’époque Monsieur Madar qui touchait sa
commission au passage pour chaque contrat signé. Une aubaine pour Deidou qui
passa du stade artisanal à celui d’entreprise. Une grosse tronçonneuse et deux
polissoires achetées à la ferraille et remises en état, donnèrent une nouvelle
impulsion à la marche du travail.
Le décollage de son affaire prit sa vitesse supérieure en 1969. Quatre
employés furent embauchés pour se retrouver trois ans plus tard au nombre de
10.
En Janvier 1971, mon père éprouva le besoin de m’inviter à rejoindre son
entreprise afin de prendre en main la destinée de la paperasserie qui prenait
de l’ampleur d’autant plus que mon patron de père projetait d’importer du
marbre de CARRARE. Sur mes conseils.
L’établissement des licences et les ouvertures de crédit, bref les démarches
bancaires et autres dédouanement, échappaient au contrôle de baba Ayouch qui
se torchait souvent les lèvres, après avoir mangé son casse croûte huileux,
avec les relevés bancaires de la BNT. Compte 5322 quand il ne s’asseyait pas
carrément dessus.
La compta était à inventer. Bref, je joignis l’utile à l’agréable en
m’habillant aussi de la tenue ouvrière. J’appris si bien le métier en si peu
de temps, que je commençais à poser problème à mon père, qui voyait, d’un œil
jaloux , l’apprentissage rapide de cet intrus, moi, ce néophyte en la matière,
venir le contre dire sur tels ou tels travaux. Dans un domaine qui ne
m’appartenait pas. Comble de l’insolence.
Je m’irritais par sa façon peu moderne d’entreprendre les choses. Ce qui
soulevait souvent des règlements de compte à la maison en présence de ma mère
qui se retrouvait, ni juge ni arbitre mais simple témoin de joutes dont elle
ne pouvait, hélas, prendre partie et pour cause. Et sous l’œil indifférent de
‘la pastèque’ de mon jeune frère indifférent à nos différents. A nos
querelles.
J’étais devenu un professionnel en la matière en un an. Rien de ce qui se
rapporte au marbre ne m’était inconnu . Le coefficient de dilatation de ce
matériau ne m’était plus étrangère. Et même son origine au toucher. Et parfois
son odeur. Il m’arrivait aussi de le goûter pour en connaître la provenance,
s’il était salé cela voulait dire qu’il provenait des cotes marines.
Etc……Mechouch ( fade ) …. ? J’y ajoutais un peu de ce condiment… J J J
Maxo * était graveur professionnel bien avant moi dans l’échoppe.
Je quittais définitivement le pays et tout le reste en 1989. Pour me
reconvertir bien malgré moi, en France, dans un métier de femme , esthètie,
cosmétologie et aphrodisiaque, le tout épicé d’ un soupçon de magie.
Tberkalah ââla sidi bnèdèm ‘ (D ieu bénisse pour l’humain que je suis)
Après un métier de dur me voilà à présent, par la grâce de mon petit Max,
projeté dans un métier de …..P D… J J J. 5X5 pour moi.
Mon père David Deidou Siméoni dit AYOUCH ( ‘Z’L) par ses amis, décéda en
le18/12 1980 un vendredi vers le midi. Il a vécu comme un pacha, aimant et
aimé par tous. Juifs, musulmans et chrétiens.
C’est par son labeur et l’amour qu’il nous portait, qu’il a pu et su, lui, qui
ne savait même pas signer, relever les défis qui s’imposaient à lui, avec foi
, mitsvoths et autres générosités. Je pourrais parler de mes parents pendant
des années et des années mais même l’éternité ne me suffirait pas à tout
relater.
C’est ça la mémoire perpétuelle. A perpétuité.
ANECDOTES.
Un jour, mon papa glissa par inadvertance, juste derrière mon frère qui
gravait.
Ce dernier n’osa faire le geste le plus simple qui soit ; ramasser mon léger
et pauvre papa. Il fit semblant de rien et continua sa tâche comme si rien ne
s’était passe. Mon père fut relevé par les employés. Une fois remis de sa
glissade, il raconta sa mésaventure en pleurant en présence de ma mère et de
mon frère..
‘Chefni taht ouldèk ou mè èjnich…Yè Hayè…’
(‘Il m’a vu tomber et il n’a rien fait pour me soulever)’
dit il avec des trémolos dans la voix à ma mère qui le réconfortait en lui
disant…
‘Mè tè khédch ââli i habèk Max….’
(‘Mais non ne prends pas sur lui, il t’aime ton fils… !’)
Quant à mon frère placide comme une pastèque, il répétait pour sa défense , à
qui voulait l’entendre…..Avec flegme…
‘Ouaktèch taht…Ya baba…. ?’
(‘Quand étais- tu tombé… ?’)
Et ma mère d’en rajoutait pour sauver la mise….
‘Cheft mè chèféckch… !’
(‘Tu a vu, il ne t’a pas vu… !’
Mon père…..’ Mè chèfniche…. ? In yadin radou….El loulèd ahzar… !’
(‘Il ne m’a pas vu…. ? Juron sur son fils…. ! Ce fils insensible…’)
En fait, il n’en n’est rien , mon frère est une crème, aujourd’hui, soumis à
sa nana…Sa femme..
Autre….petite histoire…
Lui…….Il l’appelle au téléphone du magasin devant moi, moi qui adore ce genre
de choses……D’une voix de mouton… tendre et douce..
‘Allooooo…. ! Nana*….. ? Tu va heu… ! Venir , Nana….Pour me faire un voyage de
marchandises….Nanaaaaaa ……. ?
Il écarte le combiné de son oreille……J’écoute la Nana….Un rugissement pire que
celui des lions du Zoo de Vincennes….
Lui ….’ Tu as dis oui Nanaaaaa…. ?’ Un beuglement pire que celui des beugles
s’en suit après les rugissements.
Lui…..’Hein Nannnaaaa…. ? C’est OKKK….. ? Merci Nana…. !’
Moi…’ Et bien ….. !’
Lui….’ ECOUTE BEBERT…. ? Tu sais, moi je n’aime personne OK ? ? ?
Moi….’ Même tes enfants… ?’
Et là il explose de rire…le tordu au cœur tendre.
* Nana….Il la surnomme comme ça sa femme…pour amadouer l’amidon.