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MON RABBIN ISRAEL
Mon rabbin était Rabbi Israël. Il était le seul à s'habiller moderne, il
avait un complet et un chapeau feutre. Il était sévère, mais aussi sérieux
et compétent. C'est lui qui nous avait enseigné les bases de la Tora. Mon
cousin Alfred Boukhobza était un très bon élève et par sa conduite il me
donnait un exemple. Mes autres cousins n'étaient pas du tout attentifs, mais
ils étaient sympathiques. Je me trouvais parfois entre les deux. Je les
reconnaissais tout d'abord comme cousins, c'était plus important pour moi,
mais ne voulant pas décevoir maman, j'apprenais bien au cotab tout en restant
bon copain avec mes autres cousins.
De temps à autre des femmes juives venaient nous distribuer des gâteaux au
miel, c'était une heure de détente de nos études. Elles faisaient des voeux
et cette charité envers les enfants était leur expression de gratitude
envers Dieu. Elles savaient que le royaume des cieux appartenait aux enfants.
Nous les jeunes étions heureux, nous chantions pour elles des chants
religieux en signe de reconnaissance.
Entre l'école, le cotab, la chorale religieuse avec Mr. Belhassen et la
chorale sioniste de Mr. Zakini, nos jours étaient bien remplis. En fin de
journée, c'étaient les prières du soir, une obligation qui allait de pair
avec notre réputation de bon élève chez le rabbin. Honnêtement, toutes ces
activités me plaisaient et je les faisais de bon gré, mais les prières du
soir, je les faisais malgré moi. Je préférais flâner auprès de mes
cousins à l'oukala (bâtiment avec une cour intérieure et des chambres tout
autour) ou auprès d'une des tantes.
Les courses que je faisais tantôt pour maman et tantôt pour papa, ont été
une partie de mon éducation. J'entends toujours résonner dans mes oreilles
les bruits des passants et des marchands qui criaient et chantaient pour leur
marchandises. Les foules des souks font eux aussi partie de cette enfance.
Jusqu'à ce jour la musique tunisienne que l'on entendait de partout me paraît
comme un ensemble musical qui m'accompagne le long du chemin de la vie.
Celui-ci me fait rêver et me plonge de temps à autre dans mon être le plus
doux.
En Israel les Juifs qui venaient d'autres pays, ignoraient ce que ces chants
arabes et tunisiens représentaient pour moi. Je ne leur en voulais pas car il
ne savaient pas ce que je sentais, mais à la longue je commençais à
m'isoler dans mon petit coin pour écouter la musique d'Ali Riyahi, de Raoul
Jouno, d'El Afrit, de Saliha, de Louisa Tounsia, de Jouini, de Farid El
Atrach, d'Abdelwahab etc et évidemment les chants religieux de Nathan Cohen.
Peut-on ignorer la culture de nos parents et grands-parents et l'atmosphère
dans laquelle nous avons grandi depuis notre tendre âge? Mon père disait:
" Ma Yenssa Asslou Oucan El Kelb" (N'oublie ses origines que le
chien.) A mon avis, même le chien n'oublie pas ses origines. Cette façon de
vouloir imposer sa culture aux autres est en effet une insulte et un manque de
respect pour la culture de son prochain, car aucune culture n'est meilleure
qu'une autre. Chaque culture a sa valeur pour ceux qui la connaissent. Tout ce
qui peut nous rapprocher de notre enfance ou de notre jeune âge est bénéfique
à notre âme et à notre épanouissement spirituel.
Emile Tubiana
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