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Par un jour de juin 1967


   

 

Ya Hasra La Goulette

 

Dans chaque maison de La Goulette ,ou presque, il y avait toujours une mamie qui m'attendait avec des gourmandises, un "beskoutou", de la boutargue (aadam hout), des coings confits ou quelque autre friandise. Je restais des heures avec ces grand-mères du hasard qui m'entouraient d'une douce affection. Je n'ai jamais su pourquoi le destin m'a choisi pour être le chouchou de toutes les familles juives de La Goulette. Après tout, pourquoi se poser des questions lorsqu'il n'y a pas besoin de réponse et que l'évidence du vécu l'emporte sur toutes les autres considérations?

 

Ce bonheur devait un jour trouver un terme. Il a disparu de la même façon qu'il est venu. Aussi promptement. Sans laisser de traces, sinon une grande blessure qui ne cesse de se creuser dans mon coeur. Par un jour de juin 1967 des nuages noirs  ont couvert le beau ciel bleu de Tunis et ont déversé sur nous les larmes du Jourdain comme une malédiction de Dieu... Ce fut la fin d'un rêve, la fin de La Goulette et la fin de la présence juive en Tunisie.

 

Dans un véritable"'sauve-qui-peut" et dans la panique générale les Juifs s'engouffraient en masse dans les bateaux en partance pour Marseille. Dans ce moment apocalyptique, je croyais que c'était la fin du monde. J'avais tellement besoin, ce jour-là, d'avoir le bâton de Moïse pour réaliser un miracle et empêcher les Juifs de partir de La Goulette! Mais je n'avais rien, absolument rien sinon ma détresse devant ce départ en masse.

 

Les rues de La Goulette se sont vidées et seuls les chats occupaient l'espace en renversant les poubelles à la recherche d'un poisson... La mer, furieuse, se déchaînait sur les digues fortifiées de La Goulette en récitant: "Raouf, Raouf, raouf...". L'âme en peine, je m'arrêtais devant les maisons en évoquant le souvenir des amis disparus: les Cardoso, les Taïeb, les Calvo,les Ben Soussan,les Hayoun,les Bellaiche, les Pérez, les Tartour, les Zagdoun, les Nataf, les Sitbon, les Catan, les Bessis, les Sarfati, les Séroussi... Mon Dieu, que de gens en-allés!

 

En partant vers la France, les Juifs ont fermé les portes de La Goulette. Mon village est devenu pour moi une cité interdite. Y vivre devenait quelque chose d'intolérable et m'en séparer était insupportable. J'étais un peu comme le dernier Juif et comme le dernier signe de l'alliance judéo-arabe... Moi, Mustapha le musulman, je devenais par une curieuse fatalité, le dépositaire de la mémoire juive de Tunisie. Mais à qui transmettre cette mémoire? Il n'y avait plus autour de moi que des gens qui faisaient peu cas du patrimoine judéo-arabe de Tunisie. Non pas par haine raciale ,mais par ignorance:ils ne savaient rien de la cuisine juive,du parler juif,des taalilas juives,de la musique juive,de la kémia juive,de la patisserie juive,de la bonté juive et surtout des traditions juives. 

 

Ma présence même à La Goulette devenait un exercice périlleux. Je devais endosser toutes les misères du Juif errant avec en plus la malédiction des gens de ma race qui ne comprenaient pas la mission qui m'était assignée. La Goulette est devenue pour moi une vaste prison. J'y déambulais comme un étranger. Plus rien dans cette ville ne pouvait me procurer du bonheur. J'avais pour mission impossible de sauvegarder une mémoire juive que tout a effacé. J'aurais bien voulu réciter "Baroukh Adounaï" le Chabat, mais il n'y avait plus de synagogue. J'aurais tant voulu chanter Habiba Messika ou Louisa Tunisia... Mais il n'y avait plus "Doukha", "Khaylou Sghir" ou "Kakino De paz" pour m'accompagner au violon et au canoun. J'aurais tant voulu faire le zazou sur les boulevards de La Goulette, mais il n'y avait plus les pl! ay-boys et les zazous de La Goulette.

Se référant à une redoutable mythologie, Albert Memmi recommandait aux juifs tunisiens de quitter le pays sans se retourner par crainte de se transformer en statue de sel.

C’est le contraire qui s’est produit :ne se sont transformés en statues de sel que ceux qui ne se sont pas retourner pour dire adieu à la Goulette et à Tunis.

Avec le départ de la communauté israélite, j’avais l’impression de me promener dans un vaste cimetière. Où sont partis les gens qui m’aimaient, me gâtaient, m’embrassaient et me chouchoutaient….Il s’est ouvert devant moi un vaste champ de solitude.

Personne ne pouvait comprendre mon désarroi. J’ai vécu la douleur de la séparation …En s’en allant de Tunisie , le peuple juif m’a condamné à l’exil

Dans ma terre natale.

En réalité, j'étais comme un mort. Oui, je suis mort avec La Goulette et j'avais envie de ressusciter. J'avais beau essayer de reprendre goût à la vie, La Goulette se renfermait sur moi comme une tombe ; et le couvercle était lourd et impossible à soulever. Il me fallait donc renoncer définitivement à mon village et m'inventer une nouvelle vie. C'est seulement à ce prix que je pouvais ressusciter et prolonger mon existence. J'ai donc pleuré à mon tour La Goulette :ya hasra la goulette.

 

 

mustapha chelbi

  

 

 

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