LES MEMOIRES DUN GOULETTOIS
LENFANT DE LA GOULETTE VOUS
SOUHAITE BONNES VACANCES.
PAR ALBERT SIMEONI.
Dans la série témoignage
.
Quelque soit le témoignage, si infime que lon puisse
apporter au sujet de la manifestation religieuse chrétienne qui se déroulait, tous les
15 août, jour de lAssomption à la Goulette, cette dernière reste gravèe
dans les mémoires de tous les goulettois et autres survivants de cette époque
toutes confessions confondues. Japporte ici ma modeste contribution dans ce
récit à la fois réel saupoudré dun soupçon de
merveilleux qui donnait à cette solennité religieuse une grandeur telle que
lon la retrouve aujourdhui dans les petites villes et villages dailleurs
où la foi prend des proportions souvent proche du délire et de lhystérie. La
Goulette dhier se souvient encore de
.
..E VIVA LA MADONNA
E VIVA
LA
PROCESSION
Guiseppe è dai , fa presto,
La
Santa Madonna sé nè va
!
( Guiseppe
presse toi
(
La Sainte Madone sen va
. !)
Maria, Andréa, Sergio, Mikaélè et les autres
venaient souvent de très loin. Les uns esseulés, les autres en couple ou en groupe
marchaient pieds nus -pénitence oblige - sur les gravats, sous le soleil
brûlant du 15 août, tout le long de la route Tunis-Goulette pour assister et suivre la
procession de ce jour de lAssomption. DHammam-Lif , de Grombalia parfois venus
dItalie, nos amis italiens, siciliens et maltais remplis de ferveur se rassemblaient
tôt le matin sur la place de léglise. Gestes et paroles pas toujours
saintes caractérisaient cette foule bigarrée de pèlerins. Avec ce dialecte mi-sicilien
mi-maltais, ils sinterpellaient, assis sur les pavés ou sur des marches descaliers
usés aux nez ébréchés.
Depuis la veille, quelques familles bivouaquaient sur
la plage profitant des belles soirées chaudes de lété. Spaghettis réchauffés,
casse- croûtes, bières et vins accompagnés de jambon ou de fromage de campagne
constituaient leur collation dun après midi dattente et dun soir
sacré.
Les restaurants affichaient complets.
La nuit venue, la place de léglise, tout
illuminée et noire de monde, était envahie de fidèles. Les yeux rivés sur le grand
portail et les cous tendus à lextrême, unis dans un même élan, mariant
leurs sueurs et haleines, souvent piétinés, tous guettaient lapparition
de leur patronne. La Sainte Madone de Trapani.
Les enfants sont sur les épaules des
grands tandis que les plus téméraires agrippés aux barreaux en fer
forgé de la palissade se jouaient des pics acèrés. Les parapets des
terrasses des immeubles vétustes, aux murs lézardés, affichaient complets tandis que
les places balcons faisaient peine à voir, grimaçant de
douleur sous le poids des résidents.
La mamma Angèlina, tout de noire vêtue,
portant péniblement ses 85 ans croie apercevoir la Sainte Vierge Elle met genoux à
terre, les mains jointes pour communier avec celle qui nest pas encore sortie. Son
fils Giovanni la rattrape et lui susurre à loreille
.
.Mamma
.non è ancorà uscità
. ?
(Maman
elle nest pas encore sortie
. ?
.Mio figlio
lo vistà
?
(Mais
mon fils ..las tu vue
?)
Slimane et son père sont debouts sur sa charrette
envahie par des inconnus. Je suis assis sur les épaules de mon père, et soudain
.des
cris
. des hurlements
.
VIVA...VIVA
..LA SANTA MADONNA
.
sélèvent des gosiers enfiévrés et emplissent
lair moite dun été étouffant.
La foule hurle. La passion sest déchaînée,
les clameurs déchirent le voile noir et serein de la nuit à présent tout inondée de
feux dartifice
.La Madone majestueuse, La Sainte Vierge, les yeux fixés sur lenfant
Jésus, drapée dans son apparat couleur azur, , apparaît et semble
marcher sur les têtes des fervents. Eblouissante, placée sur un brancard recouverte de
tissu et voilage noble, portée sur des épaules connues, elle se meut lentement. La foule
en délire na d yeux que pour elle
.Elle qui semble les regarder un
par un. On veut la toucher. Les porteurs se disputent leur tour de rôle.
Ma fai attenzione .. ! ..boutàna della
madonna
?..i miei pièdi
!
(Mais fais attention
. ! ..putain de
la madone
?..mes pieds.. !)
Il vient dinsulter la madone quil supporte
à cause de son orteil écrasé.
La mamma Angèlina lance à son fils
.
Giovanni
.la Madonna piange
lo
vistà
?
( Giovanni.. La Madone pleure
.las-tu
vue
?)
Giovanni regarde en silence la Sainte Vierge. Il
nentend plus rien. Il a fermé ses yeux. Il est à présent seul avec sa
bien-aimèe. Il communie et communique de loin. Il émet ses vux, tout doucement,
dans son for intérieur
en secret loin de cette foule enivrée
Santà Madonna
mia figlà Giùlià là
dimanticata.. ? Io
ogni giorno, invocà il tuo nome, per Dio, fa qualchè cosa
per la mia ragazza malata.. ! tu lo sai bénè
perché
mi fai soffrire
?
(Sainte Madonne
ma fille Julià tu las
oubliée
? chaque jour, jinvoque le saint nom de D.ieu
fais quelque
chose pour ma fille malade
.tu le sais bien
.pourquoi me fais souffrir
?)
La mèmè, un peu perdue
accrochée aux
bras de son fils
Giovanni
la Santa Madonna ridé
lo
vistà
. ?
(Giovanni...la Sainte
rit
las
tu vue.. ?)
Giovanni lentement tourne sa tête vers sa vieille
maman, sénile et mal voyante. Il lui timbre un baiser Made in Goulette, sur son
front plissé.
Les hurlements redoublent dintensitè. La statue
s empare de la place, entourée par milles bras qui sélèvent vers
elle. Bousculades et empoignades, enfants qui pleurent, spectacle saisissant dune
indescriptible beauté dans lequel le cérémonial sacré marie la
Sainte Mère
de lEnfant Jésus au modeste et menu
peuple de la petite Sicile
.
E vivà è vivà la Santà Madonna di Trapani
Là bas dans un coin, Sur Anne agenouillée,
égrène son chapelet entre ses doigts et chuchote sa litanie tête baissée. Elle prie.
Elle avance la Vierge, imperturbable et fière,
couverte de bijoux. Elle semble glisser sur cette marée humaine en délire. Elle avance
la Vierge bravant les cris et les suppliques comme un paquebot bravant la tempête au
milieu des flots déchaînés.
Giovanni
.mio figlio
. ?
.i
angèli
. !
(Giovanni
mon fils
. ?
les
anges
.)
Soudain, La vieille serre le bras de son fils et
crispe ses doigts
.Giovanni, surpris, retient sa mère qui vacille. Elle sécroule
parmi cette foule qui ignore que la vieille Angélina est entrain de succomber dans les
bras de son fils.
Mamma
! mamma
. ! prego
svegliati.. !
(Maman
!
... !
je ten prie réveilles toi.. !)
Giovanni serre la tête de sa mère entre ses bras et
sa poitrine, il a compris que sa maman va partir, sans doute par la trop forte émotion.
Il embrasse son visage flétri et ravinée de celle qui dans un dernier
souffle lui chuchote à loreille
.
Giulia
!
Giulia
!
voglio vedère Guilia
!
.la luce
la luce
lo veda
?
(
je
veux voir
.. !
la lumière
tu las
voit
?)
Si
si
mamma
lo véda
.
La vieille est partie
rejoindre le ciel dans le
sillage de la sainte Madone de Trapani.
Cette dernière quittera la place de léglise,
accompagnée par ses afficianandos (fans) toujours portée sur les épaules
pour se rendre à la mer. On la fera rentrer dans leau salée afin quelle
bénisse lâme des marins pêcheurs disparus pour quelle protège
les vivants.
Juifs, arabes et curieux mêlés à la foule suivront
avec émotion la procession de la Madone de Trapani.
La Sainte Vierge ne sortira plus sur la place de léglise
à la Goulette mais
Ne ten fais pas Giovanni, elle ne ta pas
oubliée
.ti lo juro
Il était communément admis, parmi notre communauté
de dire, sans vérification aucune, que la sortie de la Sainte Madone correspondait
à un renversement climatique cest à dire que le mauvais temps allait
signifier la fin de lété et par-là de chasser les estivants
Eyè
yèh rhlèiyah rawhou èl
madonna rhèrjèt
Allez
les vacanciers
. !
.
partez la madone est sortie
! )
POEME SUR LA
MADONA DI TRAPANI
Ricordatevi la vostra chiesa
Souvenez
vous de votre église
A la
Goletta sulla piazza.
A la Goulette sur la place.
La vostra messa la
domenica
Et
votre messe le dimanche
Con padre Chini o
Saliba.
En compagnie de père
Chini ou Saliba. .
E poi a l agosto, il quindici
Et puis vers le 15
Août
Sui balconi, finestre , a piedi
Sur
les balcons, a pieds
E anche sulle scale seduti
Ou assis sur les escaliers
Aspettando tutti con
patienza.
Attendant
patiemment.
E
quando apparice la Virgina
Et quand dans la nuit elle
apparaît
Cercandola con i vostri occhi
Vous la cherchez par vos yeux
Levando tut insieme le braccia
Levant
tous ensemble vos bras
Con molto rumore e auguri.
Avec beaucoup de bruit et
souhaits.
Viva la Madona e Gesù suo figlio
Vive la Madone et son fils Jèsus.
Grida la gente che la portano.
Hurlent
les gens qui la porte
Bella ,
vestita e modesta camina
Belle, vêtue et modeste , elle avance
Su le teste con suo Gésu
abraciata.
Sur
les têtes (des gens) avec Jésus dans ses bras.
Madona
. ..Madona..
.Madone
Madone....
Adesso che ti vedo Santa
A
présent que je taperçois Sainte
Fai qualque cosa per Julia
Intercède en faveur de Julie
Mia figlia a letto, e malata.
Ma fille au lit est malade.
Questa sera è molto santa
Cette nuit est sainte
Pièna di maliconia e gioia.
Pleine de tristesse et de joie.
Ma domani a lalba sarà
Mais
demain à laube se sera
Lavoro, apèritivo e pasta.
Travail, apéritif et pâte.
Madona..che non mai dimenticata
Madone
que je nai pas oublièe
Su Dio e la mia anima
Sur D.ieu et mon âme
Ancora oggi ti ama.
Aujourdhui
encore je taime.
Tu che non echi più su la piazza
Toi qui napparaît plus sur la place
Gia molti anni fà ,Veglià
su nostra città. Depuis
très longtemps, Veilles sur notre citè.
Per i miei amici italiani la santa
Madona di Trapani sempre nei loro cuori et anche nei miei ricordi.
Pour mes amis italiens la Madona
.
reste toujours dans leur curs et aussi dans mes souvenirs.
Madona
Non ti mai dimenticata
Madone
.Je
ne toublierai jamais
Su D.io e la mia anima..
Sur D.ieu et mon
âme
E che ancora oggi ti amo.
Et même encore
aujourdhui je taime.
Madona..Madona
tu che non uscira
Madone
Toi qui ne sors
plus
Più su la piazza a la Goletta, gia
molti fa
Sur la place de la Goulette depuis bien
longtemps
Vieglia Rimani ti prègo ancora sulla città.
Restes
encore dans notre cité.
Per i miei amici italiani
Pour
mes amis italiens
La Madona di Trapani
La
Madone de Trapani
Resta sempre nei loro cuori
Reste
toujours dans leurs curs
E anche nei miei pensièri.
Et
aussi dans mes souvenirs.
ALBERT SIMEONI
(POEME EN VERS ET EN PROSE)
"albertsimeoni"