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SOUVENIRS
DEN FACE
Le jour de la Bar-Mitzvah de jacob Chiche
« Lhomme vient au monde en pleurant et à quelques semaines, il rit aux éclats.
Un bébé en bonne santé est un bébé heureux et je connais bien des vieillards sereins.
On peut toujours avoir le goût des larmes ; mais lenfant pleure pour exprimer ses malaises afin de les faire cesser. Nous pleurons pour être consolés. Même le sacrifice est une source de satisfaction. Ne dit-on pas des martyrs quils sont des bienheureux ?
La conscience est une supériorité humaine, mais la conscience du malheur nest pas supérieure à celle du bonheur. Si lon peut fonder une philosophie sur le malheur, pourquoi ne pourrait-on pas la construire sur la joie de vivre ? »
Albert Memmi
A nos ancêtres, ces chaînons qui nous ont conduit jusquen terre tunisienne puis dispersé dans le monde
Et à nos enfants pour quils perpétuent leurs mémoires.
CHAPITRE 1
JE PLEURE ET JE REPLEURE
En chacun dentre nous, il y a un enfant qui pleure Et moi, à Nabeul, ce jour-là, le soleil me troue la peau. Etonnant pour un mois davril en Tunisie. Les murs blancs de la rue de la république longent le stade, les gens mattendent devant la synagogue. Je narrive pas à mavancer vers eux. Ebloui par la lumière, comme dans un rêve, jessaye de mettre un pied devant lautre et jai limpression dêtre paralysé. Tous me sourient, spécialement tonton Maurice et tante Odette, et ne comprennent pas ce qui se passe réellement.
Que fait-il ? Le Rabin lattend pour lui mettre les t
efilins. « Elie va devenir majeur aujourdhui. » a déclaré ma mère. Elle parle de la majorité religieuse, le droit de faire partie des dix juifs nécessaires pour la prière : le minian. Pourtant, je marche à reculons. Lémotion embourbe mon visage, me fait faire des grimaces. Je ressens comme une boule au ventre. Plus rien nexiste, ni ma ville, ni mes amis, ni le soleil, tout se dissous dans une explosion soudaine complètement inattendue.
Cest le jour de ma bar-mitsva et Je me met à pleurer. Je ne sais pas pourquoi mais mes larmes coulent. Jen ai encore le goût, mi-salé, mi-amer. Je narrive pas à déceler lorigine de mes sanglots. Ils déferlent, telles des vagues, me secouent et détruisent toutes les velléités de célébration. Le beau temps, les senteurs de fleurs doranger, lodeur des piments séchés, rien ny fait. Jai chaud, jai froid, je dégouline de sueur. Lambiance est insoutenable. Je suis délibérément sinistre.
Dhabitude, les adolescents sont joyeux pendant leur communion. Ils reçoivent des cadeaux et pleins de compliments. Moi, cest tout le contraire Plus le temps avance, plus je deviens triste. Dun seul coup, tout sarrête, la magie de la fête, les rires, les copains et je me retrouve là à larmoyer.
Je me revois encore dans mon beau costume gris, en chemise blanche et cravate sombre, lair idiot de celui qui joue, qui vit, à contre-temps, à contre-sens. Tous les amis, cousines et cousins, tournent autour de moi en minspectant, curieux de mon comportement, de type anormal, incompréhensible, à coté de la plaque. « Pourquoi pleures-tu ? » Mon frère Claude me pose la question fatidique, et mes larmes repartent de plus belles. Je nai bien sûr aucune réponse à sa question et cela me rend encore plus sombre.
La dernière fois que javais pleuré, il y avait des raisons rationnelles. Javais été mis en pension à lage de neuf ans. Après avoir quitté le chaud cocon familial de Nabeul et mêtre retrouvé au beau milieu détrangers au Lycée de Carthage. Jéprouvais une intense solitude, jentendais même la voix de ma mère qui mappelait dans la cour vide du lycée Jenvoyais lettre sur lettre à mes parents en finissant toujours par la formule maintenant consacrée dans la famille : « Je pleure et je repleure. »
Comme si le simple fait de pleurer ne suffisait pas, nattisait pas toute létendue de ma tristesse et quil fallait en rajouter toujours un peu plus pour montrer le caractère insupportable de ce que je ressentais. Pour tout le monde, je crois, il suffit de pleurer pour évacuer sa peine ou son conflit. Moi, il me fallait plus : la sensation de ne pas pouvoir marrêter. Pleurer est une attitude normale, moi, il me fallait repleurer. Je ne sais toujours pas si ce verbe existe, mais en employant le préfixe re, je marquais le coup comme lenfant gâté qui exprime sa volonté den finir pour de bon avec la cause de son désagrément.
Pour le lycée de Carthage, la stratégie avait été efficace. Au bout de quatre ou cinq lettres soigneusement imbibées de larmes, mes parents avaient convaincu dans lurgence, le proviseur du collège tunisien de Nabeul de me transférer dans une classe de sixième où je devenais le seul élève garçon parmi quarante filles. Les pleurs, cela pouvait être efficace, parfois.
Mais pour revenir à ma fête, je ne pouvais desserrer le nud dangoisse qui étreignait ma gorge. Ma bar-mitsva devait se dérouler dans la joie; cela ne sest pas passé comme prévu. Je venais davoir douze ans et javais perdu le mois dernier mon grand-père paternel, Nono, dont jétais le préféré. On ne pouvait pas repousser la communion à cause de sa mort, mais il fallait respecter la tradition et organiser quand même la fête sans apparats.
Une fête solennelle et religieuse a donc été prévue sans les youyous les dzarits la danseuse du ventre et lorchestre oriental. Tout cela, jallais en être privé. Serais-ce la mort de mon grand-père ? La cérémonie diminuée ou la tristesse de ma famille ? Je nen sais rien mais sur le moment, jai été encore submergé et jai du encore fuir dans des cohortes de sanglots interminables.
Je ne pouvais pas faire revenir le grand-père qui aurait été si fier de me voir monter tout seul sur lautel de la synagogue. Je portais le même prénom que lui comme le veut la tradition. Et il avait été si fier, le jour des résultats de lexamen de sixième, de voir son nom dans les journaux et les commerçants, voisins de la librairie familiale, le féliciter de sa réussite. Jaurais été tellement heureux quil soit là avec moi, et fêter ma communion comme tous mes copains dans cette ambiance inimitable des fêtes orientales du Nabeul-Plage. Quand tous les ados fumaient comme le jour de Pourim et ressentaient des picotements devant le ventre dénudé des danseuses gentiment provocatrices !
Bon, mon grand-père ma manqué et je nai pas eu la fête dont je rêvais ! Pourquoi en reparler aujourdhui ? Pourquoi ressasser cet événement qui aurait du senfouir dans le lot de mes souvenirs ? Je ne sais pas. Mais je crois que dans la vie que je mène aujourdhui en Occident, la terre de mes ancêtres me fait toujours défaut. Je pense aussi à la douceur du pays dont je suis séparé. Je me repose la question : est-ce quen cet instant où jécris tranquillement penché sur mon ordinateur portable, je pleure ou je repleure les yeux secs ? Une autre réponse surgit à mes yeux, qui me rappelle un jour, un autre jour plus tard En 1967, sur le bateau qui nous amenait de Tunis à Marseille, laissant le port de la Goulette seffacer dans la brume, jai vu mon sandwich à lharissa, celui dont parle Michel Bougenah, le même, houa bidou, qui pleurait et repleurait aussi.
Etre coupés de notre jardin denfance, le paradis perdu, constitue une souffrance. Jai laissé le corps de mes aïeux derrière moi sur la terre de Tunisie. Je ne sais pas encore si je suis vraiment arrivé à en faire mon deuil. Je naime toujours pas le mot séparation. Je récuse le syndrome dabandon. Jévite la solitude. Je dors la lumière allumée. Je regrette la musique des soirées dété à déguster des melons, des figues et des pastèques à la terrasse de nos maisons. Le jasmin, le soleil, la mer et le ciel bleu me manquent. Mais en fait est-ce que je ne regrette pas tout simplement pas ma jeunesse, le temps de tous les possibles.
Pourquoi nos racines doivent-elles nous faire aussi mal ? Notre déchirure commune nous renvoie à la tristesse de linstant de ladieu, comme une vieille blessure qui nen finit pas de cicatriser. Nous avons conquis le monde mais nous nous attendrissons devant un morceau de boutargue ou un verre de boukha. Nous adorons les sushis pourtant un simple complet poisson a pour nous la force de la madeleine de Proust, celle de la recherche du temps perdu. Mais à force de retourner creuser la blessure de notre départ, ny a-t-il pas danger de cultiver cette nostalgie ? A force de naviguer dans un passé qui de toutes façons ne reviendra pas, nous risquons peut-être de nous perdre dans ses racines ? Il nous faut absolument grandir.
Oui, accepter de tourner la page, même si cétait douloureux car nous avons coupé le cordon ombilical sans péridurale ni anesthésie. Mais la contemplation de leur nombril na jamais suffit à rendre les gens heureux. Pourquoi ne faut-il pas accepter notre nouvelle situation, vivre le présent, rêver le futur, souvrir aux autres, en acceptant nos différences et aussi nos blessures originelles.
Cest vrai que nous ne nous sommes jamais sentis aussi juifstunes que depuis que nous avons quitté la Tunisie. Nous apportons à la société notre énergie de déracinés, notre sensibilité un peu déboussolée à lavant-garde des modes et des routes balisées. Nous avons le courage de créer, sans complexes ni fausse honte. Nous avons transformé lunivers pathos en en inventant un autre plus à notre mesure. Les autres immigrés sont tellement contents dêtre accueillis quils se moulent dans les habits trop grands de leurs hôtes. Nous avons fait linverse : pour leur rendre hommage, nous leur avons montré notre singularité, notre joie de vivre et dexister ensemble.
Aux USA, en France en Israël et ailleurs, nous avons fondé des familles, fait de nouveaux amis, ajouté de nouvelles communautés, jeté de nouvelles racines. Professionnels de la diaspora, à chaque fois que lon nous bouge, nous reprenons le collier pour retisser du lien social, de la bonne humeur, de la solidarité. Comme des fourmis remises à louvrage, nous devons travailler la société humaine pour quelle soit plus jolie et mieux supportable pour les générations futures.
Nous sommes des juifstunes mais nous sommes aujourdhui, à la fois du Nord et du Sud, citoyens de la planète et enfants dInternet. Nous avons élaboré une philosophie de la bonne humeur face aux cyniques et intégristes de tous poils. Nous convertissons notre douleur de transplanté en une arme pour mieux respecter les autres et les écouter. Et ce travail collectif, il faut le perpétuer en avançant tous vers un monde mosaïque, meilleur, tolérant, plus amusant et plus fraternel.
Malgré le froid du Nord, toutes nos étincelles dâmes réchauffées par leur incarnation en juiftunisien tentent en communion de mette de la lumière, du feu et de la chaleur dans notre nouveau monde. Grâce à cela, nous avons retrouvé le goût de la vie.
En chacun dentre nous, il y a un enfant qui pleure et puis sourit.
amm@miriadtech.com CHAPITRE 2 A VOUS DE JOUER !!!Entrez ci-dessous vos souvenirs de tunes, une pensee nostalgique ou les emotions qui sont encore presentes chez vous. Ca ne doit pas necessairement etre la suite de ce qui est au chapitre premier. Ca peut etre quelques mots ou quelques phrases ou plus.
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