"UN DIMANCHE EN
FAMILLE"
Nouvelle de
NADINE TIBI
Gabriel, Sam, Inès
et les autres formaient une fratrie
heureuse sur laquelle veillaient le
« vieux singe », figure de l‘autorité
paternelle et Marie, la chef
d’orchestre, véritable berger de cet
impétueux troupeau….
Tels les rois
mages, ils arrivaient le dimanche, les
bras chargés de clafoutis aux cerises,
de cake aux fruits confits, de chocolats
, de choux à la crème et on entendait
les cris joyeux des touts petits en écho
dans le hall d’entrée de cet immeuble de
banlieue dortoir…
Le patriarche aux
cheveux poivre et sel, auréolé de
lumière bleue , se prélassait dans son
fauteuil, fumant religieusement sa pipe
du dimanche tandis que la Mère,
fébrile, s’affairait dans sa cuisine où
flottait encore une odeur de plat
mitonné avec amour, ses mains
« généreuses » dans la farine : encore
un gâteau mielleux à rajouter au plateau
déjà bien chargé de douceurs .
Cette surabondance
de sucreries devait être à la hauteur de
son amour pour les siens ; thé à la
menthe , café parfumé à la fleur
d’oranger, liqueurs de tous pays, sirop
d’ orgeat, citronnade vanillée : tout
était dans l’excès dans cette famille à
la « vertu épicurienne »: des sentiments
jusqu’au fonctionnement illimité des
papilles gustatives ;
C’était l’
héritage de leur culture , leur richesse
et surtout, pour eux, un signe de bonne
santé… pas étonnant que les jumelles
n’aient jamais pu grimper à la corde à
noeuds :il faut reconnaître que leurs
gros popotins ne les aidaient pas
beaucoup….
Une fois repue
jusqu’à écoeurement, les tribulations de
cette famille nombreuse allaient
crescendo : sempiternelles questions
existentielles , introspection pour
mieux appréhender ce monde déjà
imparfait, éducation des enfants
tiraillés entre deux univers, la
politique bancale : des » effets
spéciaux » jaillissaient de
partout…………..
«BON ! CHACUN
CHEZ SOI ! censurait le Père qui parlait
peu mais arbitrait les discussions
enflammées tout en lisant un roman;
l’accalmie revenait alors par respect
pour l’aÏeul et la Mère en prenait pour
son grade car c’était elle,
l’instigatrice de ces retrouvailles ; le
vieux singe craignait, en effet, que le
« panel » culturel des protagonistes de
cette tragi-comédie ne
vienne troubler
l’homogénéité de la bulle familiale et
générer des conflits ; que nenni ! il
était important de dénouer les noeuds ;
l’entente ne nait pas que des silences
et des sentiments que l’on tait ….
Cette soudaine
intervention du Père était l’occasion
rêvée de revisiter les photos de famille
un peu jaunies malgré l’appréhension de
la mère de confier ses coffrets d’acajou
et de nacre précieux entre ces mains
voleuses de souvenirs ; une compilation
d’anecdotes farfelues et émouvantes
étaient contées aux bons petits diables
pour illustrer les floppées de questions
qu’ils posaient …
C’était un
véritable cirque « Amar » : il y avait
Juju, le jongleur, Reun l’acrobate,
Maddy la clown, Sam le comédien ,
Gabriel le roquet …. (eh oui, il y avait
aussi des chiens savants sous le
chapiteau).
Chacun faisait son
numéro et les éclats de rire fusaient au
milieu des hurlements des petits qui
jouaient à la « guerre des boutons »…..
la mère tirait volontiers l’aiguille et
en avait une belle collection ; certains
foisonnaient d’ailleurs dans le ventre
des plus petits …
C’étaient des
dimanches , oh combien, joyeux…. la
disette affective
n’existait pas.
20 ans après
,comme dirait Alexandre Dumas… le
vieux singe n’est
plus et la mère qui a perdu son
insouciance traîne son ennui de « ville
en ville », pathétiquement désespérante
… Pourquoi les aiguilles du temps
ont-elles été si vite , à peine le dos
tourné !!
Aujourd’hui, les
petits macarons raffinés et le champagne
aux peptides euphorisantes n’ont pas la
même saveur ; ce n’est pas très bon pour
leur cœur et lui même n’y est plus ; ils
se souviennent avec nostalgie de leur
jeunesse ; les petits loups ont grandi
et ont pris leur envol ; le dimanche
leur appartient à cause des distances,
du stress de la vie professionnelle,
des nuits courtes dédiées aux
petits princes ….
Chut !! ….il faut
abdiquer ; c’est ça aussi l’amour ;
force est de constater que les temps ont
changé … oublier les fourneaux trop
souvent occupés par la Mère, par le
passé ; se laisser aller à une douce
béatitude autour d’une table ronde
d’hôtes
anonymes, sous une tonnelle fleurie ;
profiter pleinement des grands et
petits , sans contraintes
« obscures » : c’est tellement
délicieux !!!
Le lieu et le jour
de retrouvailles ne seront plus les
mêmes et resteront sans âme, certes,
mais non dénués de tendresse ; les
conversations seront tout aussi
passionnées …le tartare de saumon à la
crème de wa…. sabi ( ???) aura remplacé
le complet poisson* d’hier et la
tentation voluptueuse gourmande sera un
tantinet plus raisonnable ; Les petits
iront voir le spectacle du magicien qui
n’est plus
un étranger pour eux , un peu plus
loin…..
Seules l’odeur
de » l’Amsterdamer » du Père et
l’insolente juvénilité de la chef
d’orchestre manqueront à ces nouveaux
« dimanches » en famille……
NADINE TIBI