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Datte
La
première friandise
Née en
Perse et Mésopotamie, elle est probablement l’un des tous premiers bonbons
de l’humanité. L’Antiquité a chanté la gloire de son père, le palmier. Quant
aux bédouins, qui la chérissent, ils ne lui ont pas donné moins de sept
noms.

Petite brune à la chair fripée, tu sembles si
malheureuse lorsque tu arrives en Europe, serrée, alignée avec tes sœurs
dans des cageots de bois ! Tu as la mine triste, chiffonnée de celles qui
n’ont jamais reçu d’amour. Pas une feuille, pas une brindille pour t’égayer.
Personne n’a pris la peine pour te rassurer de tapisser de palmes la boite
où tu es enfermée, pour que tu sentes contre toi une présence connue.
Pourtant tu es aimée, adorée depuis si longtemps, sans doute pas comme tu
le voulais… Es-tu usée, fatiguées de ces baisers, « ces
caresses si souvent et si mal données ? »
Qu’il est loin le soleil de ton enfance ! Il a
offert aux autres fruits des formes pleines et d’éclatantes couleurs. Et toi
que t’a-t-il légué ?
Il faut
aller sur les lieux de ta naissance pour connaître ta filiation. Ton père
majestueux, royal, dresse fièrement son stipe où circule la génitrice moelle
sur une hauteur de trente mètres. Il semble vouloir atteindre les cieux sans
arrogance, avec une certaine nonchalance, puis, tout à coup, déploie ses
palmes bleutées, comme un éventail. Il est un peu rêveur ce père les pieds
dans l’eau et la tête au soleil.
C’est là
que tu va naître, au creux de ses palmes, blottie dans ses bras protecteurs
et attentifs. Lui et les siens ont repéré un point d’eau, une halte entre
les espaces désertiques et arides où fleurit, s’épanouit la vie. Au loin, le
désert à perte de vue. Ta mère l’oasis ruisselle, elle est un miracle, le
miracle de l’eau, au milieu d’étendues inhospitalières. Elle vibre, vit,
luxuriante et bruissante. Cette rencontre n’était pas suffisante pour te
donner la vie, il fallait aussi la main de l’homme, ses soins vigilants pour
capter l’eau, la drainer, la concentrer sur cet îlot de verdure, pour que tu
puisses croître, grandir, et te gorger de sucre.
C’est
entre la Perse et la Mésopotamie que tes sœurs et toi, virent le jour, il y
a près de six mille ans. Perses, Sumériens, Akkadiens, Phéniciens, Hébreux,
Arabes connaissent ta douceur depuis bien longtemps. Ils savent que
petite fille blonde, accrochée à tes sœurs, tu devais mûrir sous l’ombre
protectrice des palmes qui laissent passer juste ce qu’il faut de soleil
pour atteindre ce joli teint ambré.
Tu es sans doute la première saveur sucrée que les
hommes portent à la bouche dans ces régions, pourtant c’est ton père, le
palmier, debout, altier et gracieux que l’on retrouve sur toutes les
fresques, tous les dessins, toutes les sculptures. Ce père était
suffisamment important, il y a trois mille ans, pour figurer dans ce que
l’on considère comme le plus vieil étendard du monde : le drapeau de métal
de Shahdad.
Quelles sont belles les légendes qui circulent autour
de ton père ! En Mésopotamie, un mythe sumérien, celui d’Inana et de
Shukaletuda, raconte joliment sa naissance. Le dieu Enki demande au corbeau
d’utiliser le khôl divin pour créer la semence du premier arbre, et le
palmier naquit. C’est entre le Tigre et L’Euphrate qu’il acquiert ses
lettres de noblesse. A Sumer, l’éden paradisiaque se dit Ka-Lum-Ma,
pays des dattes. Il entre solennel dans les jardins suspendus de Babylone,
dans les temples et les palais royaux, il est gravé sur les bijoux, les
armes, les sceaux, l’architecture impériale le reproduit nom moins 400 fois
à Nimrod, dans le palais d’Ashurnasirpal II. En Perse, il dialogue avec une
chèvre, dans ce délicieux texte datant des Parthes où palmiers et chèvres
rivalisent d’arguments quant à tout ce que chacun donne à l’homme. Partout,
son apparition est miraculeuse, non seulement parce que c’est de lui que tu
vas naître, toi, petit fruit assez riche pour constituer l’unique nourriture
des hommes pendants plusieurs jours, mais aussi parce que protégées par
l’ombre de ses palmes, d’autres cultures d’autres végétations, d’autres
arbres fruitiers vont s’épanouir.
Ton père nourrit la vallée du Nil, il est dessiné, reproduit dans tous les
monuments jusque dans les tombes royales. Toi, sa fille, tu es le fruit le
plus consommé dans l’ancienne Egypte, tu apparais dans plusieurs textes où
tu portes différents noms : buno, phuno, bnr, bentr, amt, bnrit, ou
bnw pour ton jus.
La première halte après la fuite d’Egypte fut bien
décevante pour les Hébreux. Après trois jours dans le désert, ils parvinrent
à Mara où ils ne purent étancher leur soif tant l’eau était amère. Puis
enfin, ils « arrivèrent à Elim ; là étaient douze sources d’eau et
soixante palmiers. Ils y campèrent près des eaux. »( Exode, 15, 27) La
Bible évoque l’arbre dont tu es le fruit à maintes reprises. Il est écrit :
« Le juste fleurit comme le palmier. » (Psaumes, 92, 13) Le Temple
sera orné de colonnes en forme de palmiers, Salomon chantera sa bien aimé
ainsi : « Ta taille ressemble au palmier et tes seins à des grappes. Je
me dis : je monterai sur le palmier, j’en saisirai les rameaux. »
(Cantiques des Cantiques, 7, 8, 9)
Toi, tu es
caché par son ombre. Et, lorsque la Bible évoque le pays du lait et du miel,
c’est bien de ton miel qu’il s’agit et non de celui des abeilles. La
reconnaissance du peuple juif, tu l’auras d’une autre façon : ton nom,
tamara devient un prénom féminin très prisé, tant dans la Bible,
qu’aujourd’hui en Israël. Sur le berceau des petites filles à qui on
l’attribue, on formule le vœu qu’elles soient douces, riches et modestes
comme toi.
Les Arabes et les bédouins nomades qui ont si souvent
trouvé refuge dans les vertes oasis t’aiment avec passion, avec tendresse,
avec dévotion. Ils ont reconnu ta valeur au-delà de toute espérance. Chaque
étape de ta vie est si importante pour eux qu’ils t’ont donné sept noms.
Petit embryon vert tu es thala, fruit mûr et suave tu es tmar,
entre les deux tu es tour à tour khalal, balah, zaoua, boussr, routab.
Mahomet se contentait souvent pour tout repas de dattes et de lait. Le
hadith Boukharit LXV 356 rapporte ces propos du Prophète : « Celui qui
mange sept dattes ajwa chaque matin sera hors d’atteinte du poison ou
de la magie les jours où il en mange. »
« Si le
lait est la mère des Arabes, la datte en est la tante » dit le
proverbe. C’est vrai, qu’ils t’ont donné la vie, mais c’est vrai aussi qu’il
est difficile d’avoir des parents si beaux, si souverains, si impériaux, si
bons. Comment peut-on s’épanouir auprès d’une mère à la beauté tellement
resplendissante et tellement verdoyante ? Elle est source de vie, la halte
dont rêve tout voyageur, elle est bonheur, elle apaise les morsures du
soleil, rafraîchit à ses eaux vives les chairs endolories. Comment peut-on
exister auprès d’un père si élancé, si magnifique, qui est tout à la fois
force et grâce, vigueur et élégance ? Tous deux t’ont donné tant d’amour,
petite datte, petit fruit du miracle que tu peux en donner à ton tour. Comme
tes parents, tu es généreuse, tu donnes ta douceur à tous sans compter. On
raconte qu’après s’être délecté de la pulpe, le nomade, le touareg, le
bédouin offrent le noyau à son chameau et que celui ci rit de bonheur, de
ravissement de déguster cette amande dure dont la pellicule est encore
miellée. Oui, peintres, sculpteurs, graveurs dessinateurs t’ignorent, ils
n’ont d’yeux que pour tes parents, mais tant d’autres ont su déceler ta
douceur, ta valeur, alors les artistes, tu t’en moques un peu n’est-ce pas ?
Tu n’entres pas par la voie royale dans les cuisines, la gastronomie te
boude, mis ta forme oblongue et ta taille menue font de toi le premier
bonbon de l’humanité. Tu es la friandise que chacun peut avoir à portée de
main, les souverains te dégustent dans des vaisselles d’or et d’argent, les
nomades, les paysans t’emportent, morceau de tendresse après l’effort, tu
leur rends l’énergie et le sourire. Au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, il
n’est pas un festin une célébration où tu ne sois présente. Nul besoin de
grands chefs pour te préparer, nul besoin de sauces raffinées, de marinades
ou de sirops pour exhaler ta saveur. C’est, crue, naturelle, que tu régales
avec le même bonheurs petits et grands princes et mendiants.
Le voyage du mot
Sumérien :
gis-sig, (palmier dattier)
Akkadien :
gisimmaru (palmier dattier), libbi gisimmari ( branche de palmier dattier)
Akkadien sallupu
(datte)
Egyptien :hiéroglyphes : buno, phuno, bni, benrt, amt, bnrit
Bniw vin de
datte
Grec:
Latin :Dactylifera
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