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LA BOMBE LENTE |
Quand l’Ayatollah Khomeyni quittait sa résidence d’exil de Neauphle-le-Château
pour rejoindre Téhéran, en 1979, peu d’observateurs, s’imaginaient que
cet épisode de l’Histoire du XXe siècle représenterait l’amorce du
processus historique essentiel du XXIe siècle.
Bien au contraire, nos mentalités, encore empreintes des enseignements de la
guerre du Vietnam et des conflits sud-américains ou africains des années
60/70, n’y voyaient qu’un épisode supplémentaire de la grande saga des
mouvements de libération populaire.
Peu de temps après, le conflit soviéto-afghan nous fit prendre fait et cause
naturellement pour ces courageux Moudjahidin, qui canardaient les hélicoptères
de l’Armée Rouge à coup de fusils rafistolés. Personne ne semblait avoir
de doute sur le camp qu’il fallait soutenir.
Parallèlement, en Europe de l’Ouest, surtout en France et en Belgique, on
assista au grand et rapide flux migratoire en provenance d’Afrique du Nord
et d’Afrique noire, qui, accentué par la politique de rapprochement
familial décidée au milieu des années 70, bouleversa, en quelques années,
le paysage sociologique de ces pays d’accueil. La France, par exemple, vit
apparaître dans ses banlieues de nouvelles communautés qui modifièrent les
rapports sociaux mais qui, aussi, l’enrichirent d’une culture gaie et
sympathique. Les intonations aiguës des titis parisiens laissèrent la place
à un néo-accent qui était le résultat du brassage des intonations de ces
populations avec celles des autochtones.
Certaines franges des communautés chrétienne et juive commencèrent à réagir
à ce qu’elles vivaient comme une menace pour l’intégrité des bases
religieuses et de la civilisation qu’elles s’étaient efforcées de bâtir
durant des siècles. On vit apparaître les tendances intégristes chrétiennes,
dont Monseigneur Lefebvre était l’incarnation principale. Côté juif, on
assista également à un regain de ferveur religieuse, inhabituel depuis des décennies,
et la scolarisation en établissement privé prit un nouvel essor, autant, à
tort ou à raison, dans le but de soustraire sa progéniture à ces nouvelles
fréquentations, qu’à des fins quasi militantes, en opposition à ce que
l’on n’appelait pas encore intégrisme islamiste. De fait, c’est au
cours de cette période que s’effectuèrent et le financement des mosquées
occidentales par l’Arabie saoudite, et l’infiltration wahhabite dans la
pensée religieuse musulmane européenne.
On approchait ainsi de ce siècle - «qui serait religieux ou ne serait pas»
-, avec tous les ingrédients de cette bombe lente qui n’avait aucune raison
de se déclencher tant que l’opposition Est-Ouest régissait encore le sens
de rotation de la terre.
Bien sûr, le basculement d’un affrontement à l’autre ne fut pas aussi
tranché que cela, et les attentats anti-américains - comme celui de Beyrouth
ou la prise d’otages de Téhéran – préfiguraient, avec vingt ans
d’avance, l’horreur du 11 septembre 2001.
Mais c’est en novembre 1989, date de la chute du Mur de Berlin, que le vide
laissé par le communisme fut comblé par la montée en puissance de l’intégrisme
islamiste. Celui ci allait dorénavant prendre en charge tant l’enfant
pakistanais réduit à l’état d’esclavage, que les paysans des régions
du tiers-monde, incapables de nourrir leurs familles malgré un travail
harassant et inhumain.
L’Amérique ne comprit pas les messages brouillés que lui envoyaient des
organisations semi-occultes en tuant, ici des civils américains en vacances
ou sur leur lieu de travail, là des soldats dans leurs bases militaires. Le
11 septembre 2001, le message fut reçu cinq sur cinq et la troisième guerre
mondiale pouvait commencer.
Que s’est-il passé pendant ce temps dans les sociétés d’Europe de
l’ouest ?
Au lieu d’un rejet de la communauté musulmane sur base d’un amalgame –
injuste, à priori – de ses fidèles à ces nouveaux ennemis de
l’Occident, on assista, au contraire à un mélange exacerbé des cultures.
Alors que la génération des immigrants nés à l’étranger continuait à
vivre en vase clos, celle de leurs enfants parvint à s’intégrer sans
grande difficulté.
Au début des années 80, cette génération semblait prendre le chemin
habituel des précédentes vagues d’immigrations - polonaise, italienne ou
espagnole -, sans que rien ne laissât supposer l’apparition des fractures
à venir.
Il y avait, certes, dans ces familles, la singularité d’un patriarcat et
d’un machisme traditionnels, dont les jeunes filles continuent, jusqu’à
ce jour, à subir le poids, puisqu’elles ne peuvent généralement se marier
que dans leur communauté.
Les garçons, en revanche, n’eurent aucun mal à se libérer du joug
familial et culturel, et ne se privèrent pas de s’unir à des européennes
séduites par un exotisme, lui même magnifié par les mutations orientalistes
que l’on pouvait observer dans différents domaines artistiques - musique,
couture, architecture, etc. Bref, le "beur" devenait l’archétype
du nouveau "lover".
Mais, progressivement, la modification du décor politique international finit
par perturber la donne et poussa ces individus, devenus des couples, à se
rapprocher de la religion musulmane. Dès lors, on assista très rapidement à
une radicalisation des esprits et à des conversions à l’Islam de jeunes
femmes françaises, dites «de souche», avec port du voile à la clé.
Les enfants nés de ces unions ont très rarement été prénommés Thomas ou
Nicolas, mais plutôt Karim ou Rachid. La première génération de ces
couples mixtes ayant près de 20 ans, on peut constater qu’en grandissant,
ils ne se revendiquent presque jamais d’autre chose que de l’Islam. Ils
sont en général très impliqués dans le conflit israélo-palestinien, et
certains ne cachent pas leur sympathie pour des entreprises telles que Al Qaïda.
De plus, ils reçoivent le soutien inattendu des anciennes forces
progressistes, sevrées de la lutte des classes, et qui, frustrés de ne plus
avoir d’opprimés à défendre, n’ont pas hésité, trente ans après
avoir scandé «Ni Dieu, ni Maître !», trente ans après avoir manifesté
pour la libéralisation de l’avortement, à prendre fait et cause pour des
organisations religieuses islamistes où les droits de la femme sont bafoués.
Autre fait saillant : le recul de la République et de la laïcité.
L’Education Nationale, creuset essentiel de nos valeurs républicaines, a
abdiqué, à plusieurs reprises, dans des affaires de port du voile islamique,
là où, symboliquement, aucune exception n’aurait du être tolérée, de la
même façon qu’on ne cède jamais aux chantages terroristes. L’argument
de l’impossibilité de séparer vie religieuse et vie publique pour un
musulman ne tient pas la route et tout se réforme quand on veut faire montre
de bonne volonté.
L’Islamisme a imbibé l’ensemble de nos sociétés et a provoqué une montée
d’un cran du positionnement par rapport à la religion coranique. Ceux qui
étaient de fervents musulmans se sont rapprochés de l’intégrisme. Ceux
qui étaient simples pratiquants sont devenus de fervents musulmans, et
certains, qui n’étaient pas musulmans, le sont devenus. Lorsque l’on
salue un musulman, la classique poignée de main occidentale a été remplacée
par un mouvement de l’avant-bras vers le cœur, révérence enseignée dans
les écoles coraniques.
Même si, en apparence, l’ensemble de la communauté musulmane en Europe se
comporte de façon civique et pacifique, on ne doit pas oublier que, dans
toute entreprise déstabilisatrice, le pourcentage d’activistes requis est
faible. 10% suffiraient pour imposer leur credo à une majorité silencieuse.
Il faut bien convenir qu’il s’agit là d’un bouleversement imprévu de
nos sociétés, et que les réactions sont largement, voire majoritairement
hostiles à cette mutation. Ceux qui observent ces changements comme une
usurpation d’influence, se rassurent en général en tablant sur le fait
qu’à partir d’un certain seuil d’islamisation de la société, la
nation saura dresser à temps les barrières salutaires qui bloqueront le
processus. C’est sans compter avec le fait qu’au fur et à mesure que
cette islamisation s’étendra, la proportion d’individus auxquels elle
posera problème diminuera. Autrement dit, cette extension se nourrira
d’elle-même et le risque de voir le drapeau de l’Islam flotter, un jour,
sur cette vieille Europe étourdie, est possible, si ce n’est probable,
d’autant que la lenteur relative de ce bouleversement pourra le rendre
insensible aux observateurs peu vigilants. La possibilité d’une inversion
du processus apparaît d’autant plus hypothétique que l’on sait de
quelles intolérances sont capables les nations musulmanes envers les autres
croyances et les autres philosophies.
Aujourd’hui, mettre en garde contre ce risque est particulièrement malaisé.
Comment, en effet, pouvoir exprimer ces craintes sans être taxé de raciste,
d’agent sioniste, ou de suppôt des Yankees impérialistes. Les terroristes
intellectuels font bonne garde et bénéficient de la complicité involontaire
de médias, inconscients de ces données du problème, si bien que cette bombe
lente ne sera jamais découverte ni désamorcée, bien que tout près de nous,
juste à nos pieds.
Il n’est peut-être pas trop tard pour que nos dirigeants réagissent.
Certains veulent promouvoir un Islam de France plutôt qu’un Islam en
France. C’est peut-être un premier pas.
Jean-Pierre Chemla
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