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L'ISLAM A – T – IL PEUR DE SON AVENIR ? |
(texte d'une conférence donnée au Bnai Brith (loge
Tsedek))
Un grand poète syrien Nizar Kabbani a dit "L'histoire arabe
contemporaine est celle d'un interminable 1492", puis il poursuit
"Quand annoncera-t-on la mort des arabes?".
L'expulsion d'Espagne de 1492 a mis fin à l'hégémonie arabe sur une partie
de l'Occident. La chute de l'empire ottoman en 1917 a donné le coup de grâce
à l'hégémonie politique de l'Islam.
L'Islam a eu son heure de gloire dans les sables d'Arabie où il est né au 7ème
siècle quand Mahomet a vaincu par l'épée aussi bien les tribus juives de Médine,
les tribus chrétiennes de Najrane, que les tribus païennes de la Mecque. Il
eut son heure de gloire dans le monde quand ses disciples menèrent au pas de
course les tribus arabes aux portes de l'Atlantique, du Massif Central et de
la Chine.
L'Islam apportait avec lui un dynamisme nomade charriant une culture, une
connais-sance et un humanisme hérités du judéo-christianisme et qui
bousculaient l'archaïsme local des régions conquises. Bien que spécialistes
de la razzia et du butin, les arabes conquérants ont réussi à installer en
Espagne, pendant un laps de temps limité, environ trois siècles, à cheval
sur l'an 1000, un âge d'or qui rend Amin Maalouf nostalgique : "J'ai
envie, pour me consoler, et pour continuer à espérer, de revenir en pensée
à cet âge d'or d'Al Andalous. Alors je me mets à rêver. A rêver d'un
Proche Orient où musulmans, chrétiens et juifs s'inspireraient d'Al Andalous
pour tenter l'expérience de la vie en commun"
Mais ce n'est qu'un rêve nostalgique, tout simplement, car le monde
arabo-musulman est en décalage politique, économique et social par rapport
à l'Occident. Certains parlent de décadence, mais personnellement je
resterai plus prudent et je ne parlerai que de décalage, qui peut aller
parfois jusqu'à l'antinomie. Je vais essayer de cerner ce décalage sur le
plan de la pensée politique et de l'idéologie, sur le plan de la nation et
de la communauté et sur le plan culturel et économique.
Le Coran est un livre hétérogène qui a subi des influences contradictoires.
Sa rédaction par un groupe sous l'égide du Calife Othman est sujette à
caution eu égard à une tradition orale qui a suivi la révélation de
Mahomet; pourtant une trentaine d'années seulement séparent le premier jet
verbal de l'écrit consigné.
Les règles politiques et socioéconomiques les plus importantes qui
s'appliquent dans le monde arabo-musulman découlent d'une interprétation du
Coran qui a été figée depuis le début.
L'Islam qui applique le Coran peut aussi bien donner une idéologie d'un régime
politique conservateur qu'une utopie révolutionnaire, aussi bien un message
d'égalité qu'un système aristocratique et hiérarchisé. Cela dépend des
hommes et du moment.
Mais les mots eux sont le reflet d'un inconscient collectif et ne peuvent
tromper.
Les mots sont le reflet des coutumes d'un peuple nomade du désert. Politique
en arabe se dit "syassah", qui sous entend la maîtrise d'un cheval
sauvage, l'idée d'un seigneur qui dompte ses sujets. La loi coutumière qui
s'impose est la "sharia'h", qui connote l'idée d'un chemin qui mène
au point d'eau, si rare. S'écarter de ce chemin, c'est se condamner à mourir
de soif. Ces 2 mots résument le régime politique arabe et islamique: pouvoir
concentré autour du chef, entouré d'une élite qui le choisit. Pour
continuer l'image hippique, l'élite ce sont les garçons d'écurie de mon
exemple, qui, en contre-partie du libre choix de nommer leur chef, font acte
d'allégeance. Et le peuple, représenté par les chevaux maîtrisés, n'a qu'à
obéir aux ordres, moyennant quoi, l'avoine disponible sera équitablement
distribuée entre les sujets.
L'obéissance n'est due au chef que dans la mesure où il se conforme aux règles
qui découlent du Coran. Mais le droit à l'obéissance des sujets est un
droit souverain, à caractère absolu, qui est donné en contrepartie de l'équité
exigée dans la distribution des ressources disponibles. Le pouvoir peut être
délégué, mais pas partagé ni séparé. Le chef est à la fois politique et
religieux. Par contre, l'élite se partage entre celle de la science
religieuse et du savoir (ahl al i'lm et al ou'lama) et celle de l'épée (ahl
al sayf), avec une prééminence de la première sur la seconde.
Le régime politique le plus adapté à l'Islam semble être un régime
autocratique éclairé. Après toutes les expériences auxquelles il nous a été
donné d'assister depuis un demi-siècle, on constate un échec dans tous les
pays arabes ou islamiques qui ont essayé de se rapprocher des normes
occidentales ou de les mimer. L'Islam a tout essayé, un socialisme ou un
marxisme arabe, un arabisme laïcisant, un populisme islamique, un
parlementarisme dictatorial. Selon nos normes, on peut considérer comme un
succès partiel l'expérience d'une monarchie parlementaire comme la Jordanie
où la société évolue selon l'Islam, mais sans trop de soubresauts grâce
à l'encadrement bédouin, et celle d'une démocratie autoritaire, laïque et
islamisante, comme la Turquie, grâce à l'encadrement d'une armée laïque.
Vous remarquerez que ce sont les régimes les plus favorables à Israël, car
ils n'ont pas besoin d'alibi pour justifier un échec ou de bouc émissaire
pour détourner la haine de leur peuple. On constate donc un décalage
important avec l'Occident qui, depuis la dernière guerre mondiale, ne jure
que par la démocratie, régime qui n'est pas directement transposable en
Islam.
Je n'ai examiné que l'aspect politique de la société musulmane et c'est un
premier décalage. On peut aller plus loin et constater un décalage dans l'idéologie.
Le musulman a une mentalité de conquérant et de combattant (nahda, thawra,
jihad), quand l'occidental recherche l'apaisement et la satiété. Nahda,
renaissance ou renouveau, est perçu par l'arabe du désert comme l'état
robuste de son cheval, ou le sein gonflé de lait d'une de ses femmes qui
vient de lui délivrer un fils. Thawra, la révolution est un mot qu'un nomade
du désert n'aime pas trop car il connote le tourbillon de poussière, la tempête
de sable ou le taureau dans l'arène. Jihad est le suprême effort, celui de
la guerre sainte, nécessaire contre l'infidèle, le "qafer".
Le musulman recherche la prééminence et la dignité quand l'occidental
recherche lui un sens à la vie. Le musulman rejette la différence et veut
islamiser le monde, quand l'occidental est œcuménique et friand de diversité.
La paix "salam" n'est donnée qu'à celui qui se rend (istislam),
soit il se convertit à l'Islam, soit il accepte un statut de seconde zone, de
protégé. Sinon le jihad est permanent, seulement entrecoupé par des trêves
ou "houdna", le temps de reprendre le souffle et d'affûter ou
d'accumuler des armes. Pour l'occidental, la paix est une perfection et une plénitude.
Sur le plan de la Communauté, le musulman arabe a la nostalgie de la grandeur
du désert où il peut se déplacer librement avec son troupeau ou sa caravane
dans un espace qu'il peut conquérir pour en effacer les frontières. Il veut
reconstituer cet espace par la "ouma" la nation-mère arabe, mais il
est à contre-courant du nationalisme exacerbé des ethnies et du morcellement
des états par affinités locales.
Faire partie de la communauté arabe, c'est aller vers le centre, vers l'intérieur;
c'est le sens de "djamé'e", aller vers la mosquée pour se réunir.
A contrario, celui qui se rebelle ou qui simplement conteste est un
"kharej", celui qui quitte la communauté, ou un "fareq",
celui qui s'en sépare. L'Occidental a tendance, lui en contraste, à cultiver
l'individu et à favoriser l'épanouissement personnel.
La collectivité patriarcale et la famille arabo-musulmane sont en fort décalage
par rapport aux tendances occidentales à favoriser l'individualité, la
famille limitée en nombre, éclatée, monoparentale ou gay. La femme arabe
est dépréciée et n'a même pas le statut d'un mineur non émancipé. Je ne
vais citer qu'une sourate du Coran qui résume le statut de la femme, Sourate
4/38: "Les hommes ont autorité sur les femmes du fait qu'Allah a préféré
certains d'entre vous plutôt que d'autres, et du fait que les hommes font dépense
sur leurs biens en faveur de leurs femmes. Les femmes vertueuses font oraison
et protègent ce qui doit l'être, du fait de ce qu'Allah consigne. Celles
dont vous craignez l'indocilité admonestez-les! Reléguez-les dans les lieux
où elles couchent! Frappez-les! Si elles vous obéissent, ne cherchez plus
contre elles de voie de contrainte!"
Sur le plan de la culture, la langue arabe et l'Ecriture du Coran ont donné
le ton dans le monde musulman: le mode de pensée est mythique, poétique,
imaginaire, affectif opposé au rationalisme occidental. Le mode d'expression
est verbal et grandiloquent, voire mensonger, cherchant à impressionner,
quand l'occidental a tendance à classer et à ordonner, à rechercher la
logique et la vérité. La coutume, la tradition orale ont préséance sur
tout écrit, traité ou constitution. Le mimétisme remplace l'inventivité ou
l'originalité. La soumission sans condition à D. ôte le libre arbitre et
donne naissance au conformisme. L'esprit critique est déconsidéré et découragé.
Sur le plan économique, l'arabe est souvent resté avec l'esprit du troc et
du qualitatif. Il s'adapte mal au plan, à la productivité et au quantitatif
occidental, ce qui explique en partie la pauvreté dominante du monde
musulman.
Le musulman est ainsi à contre-courant des tendances que l'on constate en
Occident depuis la dernière guerre mondiale: démocratie contre autocratie,
multiplication des nations contre un désir ardent de reconstituer une seule
nation arabe, laïcité contre religion, individu contre communauté,
individualisme contre démographie galopante, bureaucratie et égalité par
l'imposition contre fraternité et aumône, modernisme contre arabisation, libération
de la femme contre sujétion de la femme…Et les écarts ne finissent pas de
se creuser depuis le jour où H'assan El Banna, le premier chef de la confrérie
islamiste égyptienne "les Frères Musulmans", a proféré ces
propos fondateurs en 1928, avant la création de l'Etat wahabite en Arabie:
"l'Islam est dogme et culte, patrie et nationalité, religion et Etat,
spiritualité et action, Coran et sabre". C'était tout un programme.
A contre-courant des tendances occidentales et n'ayant pas les moyens de ses
ambitions, l'Arabe a le sentiment d'échec. L'absence de remise en question
des dogmes religieux lui donne un sentiment de frustration par rapport au développement
de sa propre individualité et de sa propre prise de conscience. L'absence de
progrès économique, la pauvreté et la corruption des élites, la démographie
galopante, la sujétion de la femme et la saturation des métropoles donnent
une dimension dérisoire à sa volonté de prééminence et de conquête. Le
sentiment d'échec de l'arabe ou du musulman va se transformer en haine contre
celui qui définit les normes de la réussite, c'est à dire l'Occidental représenté
par les Etats-Unis et son "rejeton, enclavé au beau milieu de la nation
arabe", Israël. Ce même sentiment d'échec va inciter tout citoyen même
éduqué ou nanti, non à s'ouvrir vers la modernité mais à s'enfermer dans
un islamisme rigoriste.
Mais dans le monde arabo-musulman, il y a les îlots de richesse fortuite due
au hasard de la géographie et non au travail et au génie personnel. Ces îlots
de fortune représentés par la péninsule arabique, "al djazirah",
plus précisément par l'Arabie wahabite, vont essayer de justifier et
d'utiliser cette fortune. D'où d'abord une politique de grandeur et de dépenses
princières pour obtenir ce qu'il y a de meilleur à acheter dans le monde
occidental, depuis les parfums jusqu'aux armes les plus sophistiquées.
Convoitise ou fascination? Le deux, mon général! Le but est d'effacer les
humiliations subies face à l'Occidental et faire recouvrer sa dignité à
l'Arabe. Le but est aussi d'essayer de compenser les frustrations dues à une
trop grande rigueur, d'apaiser la peur de disparaître un jour si la manne pétrolière
s'épuisait. Certains Occidentaux disent que le flot d'argent arabe déversé
dans les œuvres sociales et religieuses a pour but de calmer les extrémistes
locaux et de donner bonne conscience aux nantis. Peut-être à court terme,
mais le but à long terme est hégémonique. Quatre centres arabes ont déjà
cherché à créer une certaine hégémonie avec beaucoup de bruit mais sans
succès: le Caire, Damas et Bagdad, et dans une moindre mesure Tripoli. Depuis
deux générations et en silence, l'Arabie et certains émirats multiplient et
développent dans le monde entier trois armes d'endoctrinement à l'intégrisme
islamique: la madrassa, la mosquée, et l'ONG, englobant des confréries
islamistes et des associations caritatives ou de propagande! Ceci avec la bénédiction
des anglo-saxons qui n'y voyaient que du bien et qui croyaient naïvement maîtriser
la situation grâce à la CIA! Depuis peu, on peut ajouter une 4ème arme, la
télévision par satellite "al Jazirah", qui a l'ambition d'être la
CNN arabe.
En fait, grâce à un langage poétique et religieux et à un discours
mensonger distillant la haine et appelant à un jihad permanent, des bombes
humaines à retardement sont fabriquées pour faire sauter tout l'Occident!
Mais les B52 américains pourront-ils bombarder des écoles, des centres de
soins et des lieux de culte? Là, il y a un décalage éthique, puisque dans
sa fureur, l'Arabe ou le Musulman n'hésite pas à incendier des synagogues et
des temples ou à transformer un lieu de culte ou de sépulture des infidèles
en mosquée.
Sauf exception et pour des buts hégémoniques, l'Islam n'a pas réussi à intégrer
le progrès et le modernisme occidental et il a peur de son avenir car le pétrole
n'est pas éternel chez lui et il n'est plus rare ailleurs.
L'Occident et l'Islam sont arrivés à des impasses dans la compréhension
l'un de l'autre.
Les deux pôles ont besoin de révisions déchirantes pour y parvenir. Mais
l'Islam est-il capable d'autocritique? Je ne le crois pas, car le rêve de
reconstituer la "ouma", la nation-mère de l'Islam est dominant.
L'Arabe veut réellement restaurer un califat mondial au détriment des
valeurs occidentales, avec toutes les forces et tous les moyens disponibles.
La situation est résumée par le sheikh arabe le plus écouté d'Arabie,
Hamoud al Shwaibi, aveugle et sourd, à propos de l'intervention étrangère
en Afghanistan: "les Musulmans sont en guerre permanente et celui qui
aide un infidèle est un infidèle".
Je rappelle qu'en mars 1980, Ghoulam Rassoul Sayaf, président de l'Alliance
islamique afghane contre l'invasion soviétique disait: "Les moujahidin
(ceux qui font le jihad), armés de leur foi, combattront l'infidèle (le soviétique
à l'époque), même à main nue…La lutte des afghans musulmans ne concerne
pas seulement l'Afghanistan mais le monde entier. Il s'agit d'une guerre
sainte contre l'infidèle. Les soviétiques ont envahi notre pays non
seulement pour des raisons stratégiques, mais surtout pour écraser le
mouvement islamiste qui menace la sécurité de l'Urss. Ils ne peuvent pas se
permettre une défaite infligée par des combattants islamiques. La guerre que
nous menons est un combat entre deux idéologies hostiles, l'Islam et le
Communisme!" La réaction de la CIA à ces propos a été de former et
d'armer ce qu'on a appelé les "afghans" devenus plus tard
"talibans". Les Etats-Unis et la CIA sont en train de faire des révisions
déchirantes à l'égard de l'Islam, notamment à l'égard de l'Arabie et qui,
à ce jour, ne sont pas encore terminées.
Sur le plan personnel, rien de nouveau à l'horizon: déjà en 1945, pour démystifier
la victoire américaine, mon professeur d'arabe décrivait New York à des
gamins que nous étions, la comparant à Sodome, une ville de la fornication,
donnant maints exemples sur la manière sordide de faire l'amour à l'américaine.
Il y a 21 ans ici-même, je dissertais sur les rapports de l'Islam avec le
marxisme, l'Urss venant d'envahir l'Afghanistan et l'islamisme s'étant
installé en Iran. Je concluais que l'Islam aurait raison du totalitarisme
russe, tout en soulignant que l'Occident était tout autant menacé, car quand
l'imam Khomeini comparait les Etats-Unis à Satan, il rejetait en fait ses
valeurs, tout autant que son modernisme et sa technologie. Depuis cette conférence
du 26/1/81, nous savons ce que signifient les régimes islamiques en Iran, au
Soudan, en Somalie, en Afghanistan. Nous fermons les yeux sur des régimes
dangereux flirtant avec l'islamisme en Iraq, en Arabie, au Pakistan et
ailleurs. Depuis cette date, la population musulmane dans le monde a presque
doublé et la menace totalitaire se précise à nos portes. Dans l'état
actuel de la situation, l'avenir de l'Islam passe par la violence; et celle-ci
sera encore plus virulente si nous pratiquons l'apaisement et ce qu'Alexandre
del Valle appelle l'"islamiquement correct".
Pour qu'il prenne à nouveau le chemin de la lumière et combler ainsi le vœu
d'Amin Maalouf, il faudrait que l'Islam abandonne sa volonté de régression
dans l'obscurité et la moiteur de la "Ouma", la "mère-nation",
et que le musulman fasse la paix avec sa propre féminité. Et ce n'est pas
pour demain…
Albert SOUED, écrivain
www.chez.com/soued
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