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BREVE RENCONTRE


   
 
Il faisait chaud et dans l’air flottait un parfum d’été, comme une reminiscence ; le ciel était bleu marine, constellé d’ étoiles …

Un semblant de magie avait opéré en cette nuit divine : le soleil avait rendez-vous avec la lune …

Elle était dans un état de «recomposition» . Elle ne voulait plus être une desperate wife à ruminer des pourquoi… à imaginer des comment…
Elle voulait redevenir une Samantha, une Carrie, une Charlotte…. Trois femmes en Une !

Elle se préparait depuis quelques temps à baisser la garde ; elle savait que ce jour précis, elle ouvrirait enfin la porte de la cage dans laquelle elle s’était volontairement enfermée à double tour.

Cela ne faisait pas très longtemps que cet homme , de vingt ans son aîné, hantait ses rêves jusqu’au bout de la nuit ; il avait pointé son doigt , à l’horizon , sur le point culminant de sa sensibilité, par petites touches , avec des riens qui font du bien … et parfois même , pleurer.

Elle battait des bras au fond de l’eau trouble pour remonter à la surface et vivait en apnée; elle ne maîtrisait plus rien et semblait être atteinte d’ autisme à son contact; seuls leurs violons vibraient ensemble, sans un regard ou à la dérobée.

Elle observait parfois ses doigts agiles caresser avec douceur ou énergie les cordes; elle
avait envie d’y mêler les siens tandis qu’il jouait.....

Elle écoutait religieusement son Maître , se nourrissant de «concertini» qui semblaient être écrits pour elle; d’ailleurs, ne l’avait-il pas voulue ainsi, en «extasie» devant son savoir faire?

Seules quelques paroles prodiguant son enseignement de la musique parvenaient à s’extraire de son mutisme… Et puis, elle n’était que son élève…
Elle basculait alors dans un imaginaire où tout n’était que beauté, calme et volupté; elle était en pleine phase de cristallisation…tandis que lui semblait si loin …

De si de la, s’envolant en sol, elle lui donnait la réplique, son violon vacillant comme une voix perdue dans la nuit, allant crescendo, ponctué de pizzicati qui en accentuaient sa sensualité; ils renforçaient la grâce de son port de tête; à l’unisson, ils concentraient tout leur génie dans les ultimes et haletantes mesures... c’était une sonate en nuances qui confessait les quatre saisons de l’amour.

De nouveau, ils se séparaient, sans dire ces mots banals: «à bientôt« , pour de nouvelles retrouvailles plus éloignées , dans le temps…

Savait-il, savait-elle ? C’était le silence absolu; après tout, ils n’étaient que des inconnus dans ces rencontres en pointillés….

Cette harmonie n’existait que par leur amour commun de la musique classique et de la représentation: c’était une raison suffisante pour se revoir et préparer les concerts du Conservatoire .

Rien ne pouvait arriver ; elle était encore dans ses souvenirs …. D’ailleurs , se posait elle la question?

Mais tout n’était que faux-semblants pour masquer l’attraction de plus en plus évidente ; le rapprochement était à son point culminant; ils en craignaient sans doute les retombées: elle était si puérile et lui n’était qu’un vieux lion…

Le temps avait passé pour lui à pas de géants et voilà qu’une bouffée d’air pur envahissait peu à peu sa poitrine …


Elle se sentait enfin forte et il n’était pas question de détruire ce long travail ouvrant sur la «lourde» de la liberté , celle qui délivre de tout envahissement de la pensée.

Il semblait lui-même plutôt épris d’indépendance; cependant, il se rapprocha d’elle de manière habile
, décidé à faire enfin le premier pas après cette longue série de pas de danse …

La musique conférant une justification à leurs égarements, leur première rencontre se profila , enfin;
Elle n’était pas dupe … Les jardins du Palais Royal étaient à mille kilomètres d’ici et tout était possible…

Elle s’y prépara dans une excitation mêlée de joie intime ; elle était enfin déterminée pour faire de ce jour la re-création du monde avec cet homme séduisant aux cheveux fous, noir de jais, masquant la blancheur des années : tout était clarifié dans sa tête: c’était une volonté partagée…

Le fruit était presque mûr et il allait enfin le cueillir:
Elle était sa gourmandise interdite depuis si longtemps… son fantasme!

Elle s’enduisit le corps d’huiles essentielles d’ylang, contournant délicatement ses arrondis pour s’identifier à la caresse de l’autre, s’auréola d’un nuage de musc ; elle dessina ses yeux vert amande d’un fin trait d’eye liner en ourlant sa bouche sensuelle d’un nacre de rose.

Elle enfila sa robe soyeuse lilas , en manque d’oxygène , dénudant discrètement sa gorge remplie de taches de rousseur; elle serra sa taille pour mettre en valeur ses hanches de femme. Ses longs cheveux roux étaient relevés en un chignon savamment négligé , dégageant ainsi son visage au teint de porcelaine , légèrement hâlé par le soleil; il irradiait de ce désir qui l’habitait .

Elle avala à la hâte plusieurs gorgées de Johnnie Walker, le seul, à ce jour, capable de la faire basculer dans un état second; elle se sentait si nerveuse à l’attendre là, sans rien faire, incapable de mettre de l’ordre dans ses idées; il allait arriver…

«Voulez-vous boire un verre», s’entendit-elle lui dire avec assurance ….. Il ne se le fit pas répéter …
Il était là, troublé tel un adolescent , un collier de fleurs sur sa chemise entrouverte qu’il passa aussitôt autour de son cou , délicatement , en y déposant un baiser furtif : que vous êtes belle!

Parlez moi de vous … il l’avait assaillie de questions; que cherchait-il ? simple curiosité ou réel intérêt? Il détenait encore tous les pouvoirs«hiérarchiques».

Peut être était-ce sa méthode pour l’attirer dans son piège de séducteur .. c’était un latin et elle était aux antipodes des latins …

Elle n’avait pas honte de son statut de «fausse vierge effarouchée»… d’ailleurs, qui donc avait réussi à la convaincre du contraire, si ce n’etait lui, de manière détournée; L’homme au regard bleu«laser « voulait tout savoir, détaillant chaque angle de sa «fillonnière» de transit ….

Puis ils se reprirent et s’en allèrent , un peu à l’étroit dans cet ascenseur des années folles qui oblige au rapprochement .

Intrigué par sa «retenue» malgré son insolente féminité toute en désinvolture, elle finit par lui avouer son attraction , aidée par le pouvoir désinhibiteur de l’alcool; elle était enfin libérée …. Il ne répondit pas , peu surpris et plutôt gêné; à présent, c’était à lui de se laisser aller à cette douce torpeur: celle des gens «honnêtes» dans un moment d’égarement ….

Ils déambulèrent sur la plage de l’île , déserte en cette fin de journée , les pieds souillant le sable blanc humide, échangeant tour à tour des paroles sans intérêt dans un jeu de séduction plutôt suspect…

Ils allaient de nouveau se quitter ….. il n’était que de passage .

Tout était presque dit dans cette retenue frisant «l’indécence»; c’était maintenant ou jamais! les grillons et cigales formaient chœur au loin et les premiers rayons de lune dessinaient un faisceau de diamants scintillants sur l’écume de la mer.

Elle avait envie d’une étreinte , d’un baiser du vainqueur , d’un ailleurs , d’un …..
elle ne contrôlait plus cette pulsion si longtemps enfouie …. la brise légère des soirs d’été rend si amoureux!


« On se fait la bise et on se quitte», lui dit-elle . il est tard à présent….

Elle s’apprêta à se rechausser quand elle l’ entendit murmurer avec douceur, dans un souffle : «j’ai envie de vous «… ti voglio bene piccolina !


Ce jeu n’avait que trop duré, prenant sans doute le temps de mûrir.... Ils tremblèrent sous ces baisers en terre inconnue , le cœur battant la chamade… Leurs mains se promenèrent longuement sur leur peau , presque nue, affrontant leurs regards embrumés, sans un mot.

Elle voulut tout lui donner à cet instant précis sans attendre en retour ce qui devait être son essentiel!

Il lui offrit son plus bel hommage et la libéra de ses chaînes…. elle déposa alors un cadeau à ses pieds, avec tendresse, doucement …. Comme pour le remercier….


Nadine Tibi

 

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