|
|
Avant l'arrivée des Français en Tunisie, pendant l'été, les habitants de Béja s'engageaient à un effort considérable pour
accumuler des provisions, afin de pouvoir faire face à l'hiver qui était en principe très rude et les
routes étaient impraticables à cause de la neige ou de la boue. Il y avait des Bédouines qui
allaient en groupe de famille en famille pour aider à préparer ces provisions. Ces femmes portaient avec elles deux pierres
rondes et plates dont une avait au milieu un trou conique qui servait à mettre le
blé qui devait être moulu. Chaque pierre était lourde. Une servait de base et celle qui avait le trou on la faisait
tourner à l'aide d'un bois dur. La femme tenait ce bois avec la main droite et poussait de sorte qu'elle faisait
tourner la pierre qui écrasait le blé. Les Bédouines apportaient avec elles
aussi des tamis avec des mailles de différentes grosseurs. D'abord elles moulaient le blé, ensuite elles le passaient par différents
tamis pour séparer le son de la graine, et puis elles passaient le reste pour séparer la
semoule fine de la grosse semoule. La semoule fine servait pour faire la Mhamssa, (des pâtes) et avec
la grosse semoule elles faisaient le couscous.
Les femmes préparaient certains produits et les hommes préparaient d'autres. Toutes les provisions à base de blé
étaient en principe la tâche des Bédouines. Celles-ci préparaient le couscous à l'aide de tamis fins afin
de lui donner l'épaisseur qu'elles désiraient, ensuite elles le faisaient cuire à la vapeur dans des couscoussiers. Le couscoussier se
composait d'une marmite haute et bombée en terre cuite qu'on appelait el Bourma et d'une
passoire appelée Keskèss, aussi en terre cuite, où l'on mettait la semoule grosse et on la couvrait.
Puis elles l'étalaient sur des draps blancs qu'elles étendaient sur les terrasses. Le couscous séchait au soleil . C'est
pour cela qu'on l'appelait "Coussksi Chemch" (couscous de soleil). Une fois séché elles le mettaient dans des sacs, de même, elles
préparaient des petites pâtes rondes, qu'on appèle la Mhamssa. Celles-ci n'avaient pas
besoin d'être cuites comme le couscous. La pâte de semoule de blé dur était passée par un tamis aux
mailles plus grosses que celui qu'on utilisait pour le couscous. Ensuite on les faisait sécher sur des draps blancs qu'on
étalait sur les terrasses comme pour le couscous. Les maisons avaient toutes des toits plats qui étaient des terrasses.
Plus tard les femmes mettaient tous ces sacs de couscous et de pâtes dans une chambre qui servait de garde-manger ou dans
un coin de la maison que l'on réservait pour les provisions.
Une fois que les Bédouines finissaient leur travail, c'était le tour de la maîtresse de la maison d'entreprendre d'autres tâches:
celles des provisions de légumes, de la viande, du merguez et de la osbana be tabel (des
saucisses de viande avec du coriandre) que l'on séchait au soleil. La maîtresse de la maison
et ses enfants ou des membres de la famille coupaient les tomates en deux et elles les mettaient sur des planches pour
sécher au soleil. Ensuite, elles les passaient sur un fil, en guirlandes, puis elles
les accrochaient sur des cordes pour les laisser bien sécher au soleil.
Quand ces tomates étaient dures, elles les méttaient dans des sacs. Elles faisaient de même avec les piments piquants rouges
entiers. Ces piments servaient plus tard pour la préparation de l'harissa.
Une autre façon de préparer les tomates: on les râpaient sur des plateaux avec une petite bordure et tout le jus des tomates
devait s'évaporer entièrement ne laissant qu'une pâte rouge. Les femmes formaient cette pâte
en boules, qu'elles mettaient dans des jarres et les couvraient d'huile d'olives. Certaines
femmes faisaient cuire les tomates et préparaient des sauces qu'elles mettaient dans des récipients en verre.
L'harissa se préparait avec des piments secs, de l'ail, du coriandre, du cumin et du sel, que les femmes écrasaient
ensemble avec des pilons en cuivre jaune. Ensuite ellee la mettaient dans des récipients et elle les couvraient
d'huile d'olives. Certaines femmes faisaient des pâtes plates coupées en long, qu'on appelait la "Rechta". D'autres femmes faisaient
cette même pâte avec des oeufs. On occupait les vielles femmes en leur donnant de la pâte
pour faire des Helalem. Ce sont des petites pâtes longues d'un centimètre et demi de forme
cylindrique et pointues des deux côtés. Elles les roulaient entre le pouce et l'index, et ensuite on les faisait sécher au soleil. Les
familles juives faisaient aussi des pâtes très fines aux oeufs. On les roulait en boules de deux milimètres de diamètre, on les
appelait Nikitous et on les servait les samedis dans une soupe de poulet.
Certaines familles faisaient du Harouss, cela resemble à l'Harissa mais avec des piments verts frais, non piquants, qu'on
écrasait au pilon, on ajoutait du coriandre et du sel, puis on ajoutait de l'huile d'olives et on
le mettait dans des petites jarres en verre. Les enfants étalaient ce Harouss sur des tranches de
pain. Le Harouss est plus fréquent dans le sud de la Tunisie.
Quand le travail de toutes ces provisions était terminé, les femmes coupaient des petits morceaux de viande de deux par
deux centimètres, elles les couvraient de sel, puis elles les enfilaient sur un fil, à l'aide d'une
aiguille et elles faisaient de cette viande des guirlandes et les accrochaient sur une corde
pour les faire sécher au soleil. Cela s'appelait:"Qadid". On faisait de même le merguez en mélangeant de la viande de
boeuf avec de la viande de mouton avec beaucoup d'ail, de l'harissa, des graines de
fenouil moulues, du coriandre et du sel, certains mettaient du cumin. Puis on enfilait cette viande
hachée dans des boyaux fins de mouton, et à chaque dix centimètres de longueur on les tournait pour les séparer, mais
sans les couper, puis on les étalait sur la corde comme des guirlandes.
Certaines femmes faisaient sécher aussi des fruits en guirlandes, d'autres faisaient des confitures qu'elles gardaient
dans des récipients en verre.
Les hommes préparaient certains légumes pour les conserves comme les olives vertes, qu'ils cassaient avec un marteau ou
avec le pilon. Ils les mettaient dans des jarres avec de l'eau, du sel et du citron puis ils
ajoutaient toutes sortes d'épices, comme, du coriandre, et du poivre noir en grains. Certains les
faisaient avec du vinaigre au lieu de citron. Les olives noires, on les étalaient dans des jarres, couche par couche, en
mettant du sel entre les couches d'olives. De la même façon que les olives vertes on conservait les piments, les cornichons, les tomates
vertes, des petites aubergines etc. Ensuite on les métaient dans la chambre à provisions
ou dans un coin pour l'hiver.
Il ne faut pas oublier que chaque maison avait aussi des jarres pleines d'huile d'olives comme provision.
Cette occupation amusait les enfants et la plupart du temps les enfants allaient chez les voisins pour ne pas déranger les
femmes qui travaillaient.
Le temps de la Aoula créait une ambiance et une entraide amicale entre tous les voisins. Ces occasions permettaient aux
femmes d'échanger des nouvelles et de se connaître. C'était ainsi que l'on jugeait le caractère des filles
par leur travail et leur enthousiasme. A chaque étape du travail la maîtresse de la maison servait de la nourriture et pendant les pauses
elle servait du thé. Quand quelqu'un voulait demander la main d'une jeune fille,
la famille du jeune homme allait chez les voisins pour se renseigner sur le caractère de la jeune fille. La saison d'été
permettait aux habitants honnêtes de travailler et prévoir les réserves pour l'hiver et aussi de mieux
se connaître.
Il est à noter que le couscous est une création de nécessité. Comme dans le désert l'eau est très rare, les Bédouins
l'utilisaient à double fonction, l'une pour faire cuire la viande dans la marmite d'eau et l'autre pour faire
cuire d'autres denrées comme la graine du couscous ou le blé avec la vapeur, dans le "Keskéss".
Extrait du livre "Sa'adoun et le prince" par Emile Tubiana
Mirodirect@aol.com
|