LE WEB DES JUIFS TUNISIENS
" J'AURAI DES CAUCHEMARS PENDANT TOUT LE
RESTE DE MA VIE "
Par Marc Seager
Source: " The Sunday Telegraph"
Le photographe britannique, Mark Seager, qui était en train de faire un reportage sur les
réfugiés palestiniens, s'est trouvé pris dans la foule lors de l'abominable lynchage
des deux soldats réservistes de Tsahal à Ramallah, le 12 octobre dernier. Il a été le
seul journaliste à assister à la scène et, lorsqu'il a essayé de prendre la photo qui
aurait pu faire sa fortune, la foule s'est retournée contre lui avec une telle haine,
qu'il a craint pour sa vie. Son appareil photo a bien entendu été détruit. Voici son
témoignage exclusif, qui a été publié dans l'hebdomadaire britannique The Sunday
Telegraph.
Nous informons les lecteurs que ce témoignage contient des détails qui peuvent choquer.
" Ce jour-là, je suis arrivé à Ramallah vers l0h30 et j'étais juste en train de
monter dans un taxi sur la grand-route qui mène à Naplouse pour filmer des funérailles.
Soudain une foule de Palestiniens est arrivée, hurlant et dévalant en courant la colline
proche du commissariat.
Je suis sorti de la voiture pour voir ce qui se passait et j'ai vu qu'ils traînaient
quelque chose derrière eux. Au bout de quelques instants, ils se sont trouvés devant moi
et, à ma grande horreur, j'ai vu qu'il s'agissait du cadavre d'un homme qu'ils tiraient
par les pieds. La partie inférieure du corps était en feu et la partie supérieure
portait des traces de balles. La tête avait été frappée à un point tel qu'elle avait
été réduite en purée et ressemblait à de la gelée rouge.
J'ai pensé que cela devait être un soldat car j'ai reconnu le pantalon kaki et les
chaussures. J'ai pensé: "Mon Dieu ! Ils ont tué ce type" Il était mort, il
devait être mort, mais ils continuaient à le frapper avec rage, lui donnant des coups de
pied dans la tête. On aurait dit des bêtes sauvages.
Ils étaient à un mètre à peine de moi et j'ai tout vu.
Instinctivement, j'ai pris mon appareil photo. J'étais juste en train de cadrer la photo
quand un Palestinien m'a frappé au visage. Un autre Palestinien a caché l'objectif et
crié "Pas de photo, pas de photo !" tandis qu'un autre type m'a frappé au
visage et m'a dit: "Donne-moi le film !"
J'ai essayé de sortir le film mais ils se sont tous rués sur moi et l'un d'entre eux m'a
arraché I'appareil des mains et l'a jeté sur le sol. J'ai su alors que j'avais raté
l'occasion de faire la photo qui m'aurait rendu célèbre, et puis j'avais perdu ma
lentille préférée, celle que j'avais utilisée partout dans le monde. Mais cela
m'était égal: j'avais peur de perdre la vie.
Pendant ce temps, la foule a con-tinué à battre le type qui avait l'air d'être un
soldat et elle était de plus en plus en furie, criant "Allah Akbar" (Dieu est
grand.) Ils traînaient le cadavre de cet homme derrière eux, dans la rue, comme un chat
qui joue avec une souris. C'est la chose la plus horrible que j'aie jamais vue. J'ai
pourtant couvert les événements au Congo, au Kosovo et dans d'autres endroits sensibles.
Au Kosovo, j'ai vu des Serbes battre un Albanais, mais ça n'avait rien à voir avec cette
scène. Il y avait ici une telle férocité, une haine si incroyable et une telle furie
que leur visage en était déformé.
A ma grande frayeur, je me suis alors rendu compte que la haine dont ils faisaient preuve
à mon égard était la même que celle qu'ils avaient témoignée envers le soldat avant
de le faire sortir du commissariat et de le tuer. J'ai réussi à me sauver et j'ai couru
sans m'arrêter ne sachant pas où j'allais. Je n'ai pas vu l'autre type qu'ils ont tué,
celui qu'ils ont jeté par la fenêtre.
Je croyais que j'avais appris à bien connaître les Palestiniens. J'étais allé chez eux
six fois cette année et je m'étais rendu à Ramallah tous les jours pendant 16 jours. Je
les trouvais gentils, hospitaliers. Je sais qu'ils ne sont pas tous pareils et je suis
quelqu'un qui pardonne facilement, mais je n'oublierai jamais ce que j'ai vu. C'était un
meurtre des plus barbares. Lorsque j'y pense, je revois la tête de cet homme, une tête
fracassée. Je sais que j'aurai des cauchemars pendant tout le reste de ma vie.
Ce soir-là, quand je suis rentré à Jérusalem, je me suis rendu compte que j'étais le
seul
photographe sur place et les gens me demandaient tous si j'avais pu prendre une photo, me
disant que cela m'aurait rendu célèbre.
J'étais en tel état de choc que, pour la première fois, je n'ai pas appelé mon amie
qui était restée à la maison, à l'ouest de Londres, enceinte de cinq mois. Elle était
très inquiète, bien sûr, parce qu'elle a vu ce qui s'est passé à la télévision et
elle savait que je me trouvais à Ramallah.
Elle en était horrifiée et lorsque je lui ai parlé, le lendemain, elle m'a demandé:
"Est-ce que tu as vu ce qui s'est passé ?" Je lui ai simplement répondu
positivement mais que je ne pouvais pas vraiment en parler.
Ensuite, j'ai entendu d'autres details pires encore : comme lorsque la femme d'un des
soldats a
appelé son mari sur son télé-phone portable pour voir s'il allait bien et ils lui ont
répondu qu'ils étaient en train de l'assassiner ! Après ce que j'ai vu, c'est quelque
chose que je peux bien croire.
J'aime ce pays. Rien ne me ferait plus plaisir que de voir les Israéliens et les
Palestiniens fumer ensemble un narguilé, mais aprés la haine que j'ai pu constater ces
derniers temps je ne pense pas que cela puisse se produire de mon vivant.
Regardez depuis combien de temps ils parlent de paix: depuis 1993. Et puis, en quelques
semaines, ils sont à nouveau à couteaux tirés. Il semble qu'il soit plus facile de
haïr que de pardonner.
Je n'ai pas pu prendre la photo qui m'aurait rendu célèbre, mais au moins je suis vivant
et je verrai nâître mon enfant. "
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