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La Coexistence

   


Rien ne se perd dans le monde et dans l'univers. Il est de notre devoir de confronter la vérité lorsqu'on se sent mûr. Le bonheur de l'un ne peut pas être crée sur le malheur de l'autre. Certains ne connaissent peut-être pas les bases morales de cet enseignement. Il faut peut-être avoir été éduqué pour cela. L'éducation varie entre pays, entre régions, entre religions et même entre familles. Il suffit d'un leader pour conduire son peuple dans un sens ou dans un autre. Un leader est jugé selon ses actes et ses décisions, s'ils reflètent ou pas le bien-être du peuple. L'histoire nous démontre qu'un bon leader, même s'il n'a pas été élu par le peuple, finit par être aimé, grâce à ses actions positives. N'importe quel régime est bon, si le peuple est heureux et qu'il jouit de la justice et de l'ordre public sans peur. Il faudrait pour certains toute une vie pour saisir certaines vérités, pour d'autres c'est très vite ou bien jamais. Il n'est pas donné à chacun de distinguer entre le faux et le vrai. Il est dur de savoir qui a raison mais chacun en soi-même sait quand il a tort.
Le fait d'être soi-même victime ne donne pas le droit de faire d'autres victimes.
"Tu aimeras ton prochain comme toi-même," nous conseille la Bible.
"Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, pareillement vous aussi faites-le pour eux" (Matthieu MT 7-12).
Malheureusement quand la confiance est ébranlée, elle laisse la place à la méfiance et aux faux jugements. Ceux qui dirigent tombent souvent dans les pièges qu'ils se créent eux-mêmes. Certains sont encouragés par des conseillers qui souvent servent leurs propres intérêts, d'autres par l'esprit de grandeur ou par le nationalisme tout court. Le nazisme et le communisme avaient causé des tragédies sans fin, des changements de frontières et des mouvements de populations. Des peuples entiers ont été déracinés de leurs maisons, de leurs villages ou de leurs villes, des millions ont été massacrés. Par contre, d'autres ont regagné leur indépendance.
Nous jouons tous avec le vrai semblant de la justice, tant que nous n'aurions pas saisi son vrai sens. Il est facile de plaider son point de vue, mais il est courageux de reconnaître le point de vue des autres. Certaines faiblesses humaines triomphent, mais certains progrès se font sentir partout dans le monde.
Nos ancêtres étaient sans doute plus avancés que nous dans certains domaines et bien en arrière dans d'autres. Ils n'étaient pas encombrés par tout ce matériel qui nous ensorcelle et paralyse nos âmes, mais ils avaient une vie dure. Les injustices continuent sous une forme ou une autre. Celui qui cherche la justice, la trouvera dans le tréfonds de lui-même et de sa conscience.
Le peuple juif a vécu des siècles en harmonie avec les peuples arabes. Comme dans le passé, il faudrait beaucoup de bonne volonté et surtout du courage pour confronter les problèmes créés de part et d'autre. C'est la sagesse de Salomon dont on a besoin aujourd'hui, et non pas des personnes qui s'explosent parce que leurs leaders les ont conduites à cette philosophie de héros morts. Ce que nous avons besoin, ce sont des héros vivants, qui savent façonner la paix pour les nouvelles générations.
A quoi servent le génie humain, nos philosophies et nos cultures, s'ils conduisent les hommes à l'abattoir? Sommes-nous troublés par un certain progrès? Il faut retrouver la vie où les mots: "je t'en prie" ou "que Dieu te garde" conservent encore leur valeur et où la bonté dépasse la force de la loi. Il faut comprendre le sens de la vie et émerger au-dessus de la matière froide. C'est la chaleur humaine qu'il faut chercher pour sentir la force de l'amour. Y a-t-il plus beau que cette considération, que nos vieux appréciaient et respectaient? Que nous restera-t-il si toute la vie humaine se baserait uniquement sur des lois rigides, sans tolérance ni grâce? On ne peut pas guérir toutes les maladies avec le même médicament.
Nous devons créer l'atmosphère propice de confiance réciproque, comme nos parents nous l'ont enseigné, pour jouir de la paix et de la douceur de la vie. Ce n'est pas avec la malice, ou avec la force, ni avec la haine, le regret, ou l'amertume que nous pourrons atteindre le tréfonds de nous-mêmes. La richesse est bonne si l'homme sait l'employer, mais pour trouver le bon chemin que nos géants, nos prophètes ou nos maîtres ont tracé pour nous, il faut d'abord trouver son calme.
Nos grands nous ont donné les bases du chemin à suivre, qui commence par notre conduite quotidienne envers nos prochains et nous-mêmes. Moïse, Bouddha, Jésus n'ont jamais prêché l'usage de la force envers nos semblables.
"Celui qui meurt dans le combat va droit au paradis." Ainsi nous enseigne le saint Qur'an, mais de quel combat s'agit-il? Ne se réfère-t-il pas au combat à l'intérieur de nous-mêmes, qui est le plus grand combat de la vie? Nous aurons tôt ou tard à le faire. A quoi servent les prières que l'on récite comme des perroquets? N'est-il pas préférable de dédier notre temps à nous-mêmes et à nos prochains? Les paroles de nos prophètes nous enseignent la charité, la bonté, l'amour, la pureté et l'honnêteté. Ce sont les bases de leurs enseignements. Chacun a le droit de prier à sa façon, l'essentiel est qu'il trouve le calme et la sérénité en lui-même. Notre conscience doit être toujours d'accord avec nos décisions, afin que nous puissions créer l'atmosphère propice à notre épanouissement. Il faut ouvrir nos coeurs et rester propres, ne pas garder un esprit de vengeance ou de revanche ou tout ressentiment envers qui que ce soit, si nous ne voulons pas être conduits vers l'abîme.
Chaque minute et chaque jour doit servir à l'homme pour s'élever au-delà de la matière et des mesquineries de tous les jours. L'homme pourra ainsi élever son esprit et son âme vers la volonté de notre Créateur. Chacun peut interpréter les paroles de ces prophètes à sa guise, s'il le veut, mais ce n'est pas seulement cela qui nous aidera dans la vie.
Nous avons hérité déjà à la naissance trois forces naturelles:
"La force de la création",
"La force de la volonté",
"La force de la foi". Si nous saurions user de ces trois forces nous pourrons accomplir des merveilles.
Les personnes simples et honnêtes, qui confrontent tous les jours la nature, comprennent sans doute mieux le sens de la vie. Ils nous paraissent parfois trop simples, mais c'est justement dans la simplicité absolue que la vérité peut se dévoiler à nous. Certes, il est bien d'atteindre un niveau intellectuel, à condition que celui-ci ne nous fasse pas perdre la simplicité qui est née avec nous.
A quoi servent nos religions, si elles n'aboutissent pas à une sagesse universelle. Ces religions devraient nous enseigner à préserver d'abord la dignité de l'homme et le sacré de la vie humaine. Les hommes du monde ne sont-ils pas les enfants de la lumière? Que m'importe à quelle religion mon prochain appartient? Aucune religion n'est meilleure que l'autre. Je les respecte toutes. Chaque religion a dans son essence les traces divines. Il faut simplement les pratiquer honnêtement, avec beaucoup de tolérance envers les autres et envers soi-même, sans excès ou fanatisme.
Il faut savoir créer tous les jours la joie dans le coeur.
"Le coeur rempli d'amour ne meurt jamais" (Omar Khayam).
Tôt ou tard nous devons nous confronter. Nous devons confronter la vie en face sans image et imagination. Il faut prendre du recul avant d'avancer plus loin, mais ne pas rester cloué sur la même place par souci de ne pas faire d'erreur. On dit bien que:
"Celui qui fait quelque chose, fait des erreurs et seuls ceux qui ne font rien n'auront pas l'occasion de faire des erreurs". Il vaut mieux appartenir à la catégorie des hommes qui agissent qu'à ceux qui ne font rien. On se presse pour ne pas perdre le temps, mais il ne faut pas le perdre en agissant hâtivement. Un proverbe dit:
"Il faut vivre comme si nous devrions mourir demain, mais il faut apprendre comme si nous devrions vivre éternellement".
Nous avons connu l'hospitalité, la politesse, la tolérance, la gentillesse et la générosité. La sagesse que nos parents et nos ancêtres nous ont laissée pourrait disparaître avec le temps, si nous restons insensibles à nos prochains dans le présent et dans le futur. Voici l' héritage spirituel que je voudrais laisser à mes enfants, à ma génération, aux Musulmans, aux Chrétiens et aux Juifs. Nous voyons disparaître devant nos yeux la génération qui nous a précédés et qui nous avait nourris de sa sagesse. Certains on déjà vu le départ de leurs parents. Ils nous ont donné des exemples pratiques de la vie, de l'harmonie et du respect pour son prochain. Notre génération porte un fardeau bien lourd, elle est le trait d'union entre les générations passées et celles du futur. Il est de notre intérêt de jeter des ponts, si cela est nécessaire, en rappelant à tous ceux qui ont oublié, ou qui ont quitté jeunes, le bon et le beau que nous avons connus.
La nouvelle génération née à l'extérieur du pays de leur parents, ne sent ni la nostalgie, ni le regret, tout juste si elle a la patience d'entendre les souvenirs des parents. Prise par les nouvelles cultures, elle est parfois à l'opposé de ses parents, mais elle sent la nostalgie imprégnée dans le coeur des parents. On la voit d'ailleurs dans les mariages et les fêtes se perdre même pour un moment, comme elle le dit, dans l'ambiance qu'elle prétend ne pas être la sienne. Cette réticence est le résultat d'une certaine insécurité due à l'influence de deux cultures juxtaposées. Quant aux parents, qui ont quitté leur pays natal, ils ont du mal à s'adapter à leur nouvel environnement tout en voulant garder leur héritage et leur mode de vie.
Quand on écoute la musique de ses parents, on se rend compte qu'on est différent. Que nous soyons des diplômés d'université ou des simples ouvriers nous sommes sensibilisés par cette musique et propulsés dans un monde qui n'existe qu'en nous et si ceux qui nous entourent ne se réjouissent pas avec nous de ces sons que nous aimons, nous ne sentons pas à l'aise. Par exemple la musique orientale est entièrement différente que la musique occidentale.
Ceux qui ont vécu avec différentes communautés et en bon voisinage, reconnaissent la valeur de la diversité ethnique et savent la communiquer à leurs enfants. Nos mamans chrétiennes, musulmanes ou juives, nous disaient:
"Chamaillez-vous mais ne vous battez pas."
J'ai connu Tunis lorsque la Hara et la Hafsia existaient encore, lorsque Bab Esuiqa grouillait de vie, lorsque Souk El Legrana et Souk Enhass étaient pleins de marchants italiens, juifs, maltais et musulmans, ensemble ils animaient la vente et l'achat.
Il est certain que l'on trouve quelque chose de semblant dans d'autres villes du monde, mais quelle comparaison? Lorsqu'à Sidi Mardoum ou à Sidi Bouhdid je pouvais prendre mon café ou mon thé assis sur une chaise basse et me relaxer, lorsque je pouvais me mélanger à mes amis italiens ou musulmans pour se rendre à Halfaouen, à Bab El Khadra ou à la place ElBahri et écouter ensemble la même musique d'Ali Riahi, de Jouini, ou de Saliha, parfois sans même connaître les voisins de table, nous faisions ensemble un Kif. Peu m'importe à quoi nous croyons, après tout, nous sommes les seuls à se comprendre. Alors oublions les erreurs causées par des mauvais politiciens ou par le fanatisme religieux ou national, "Esmah!" Oublions! Construisons sur ce qui nous unit.
J'ai visité Tunis avant et après, le goût du café n'était pas le même. On m'a fait visiter récemment La Goulette, La Marsa, Salombo, Hamam Elif, Rades, et bien, c'est bien triste. On veut comparer le Tunis d'hier avec le Tunis d'aujourd'hui, sans les communautés juives qui y avaient existé pendant des siècles, ou "Halquelouad" La Goulette sans les Italiens et les Maltais? La Tunisie me paraît être mutilée de ses parties les plus actives, que ce soit du point de vue économique, intellectuel ou culturel et ceci parce que certains politiciens n'étaient pas clairvoyants ou que les circonstances ne l'avaient pas permis.
A mon avis le mal est plus profond, nous ne pouvons même plus faire un petit tour chez le père Baïza pour déguster d'un michoui avec un huitième de Boukha Boukhobza ou chez Khamous ou le matin un homs bel camoun ou une Herguemin chez Daida. Oui, on me dit que je peux avoir cet apéritif à Beer Sheva, à Belleville, ou à Montreal. Je sais que je peux avoir tout cela même chez moi, mais ce n'est pas le côté gourmandise qui me fait souffrir, loin de là, c'est l'anéantissement de toute une culture qui ne pourra plus jamais être reproduite par quiconque, même si on use les mêmes scènes, ce sont les acteurs qui ne sont plus là et sans eux une nouvelle génération grandira dans d'autres cultures. Voilà le grand mal pour tous les Tunisiens, une culture de plus de deux mille ans qui n'existe plus du jour au lendemain.
Je ne voudrais pas diminuer une musique quelconque, car chacune est une expression de la culture qui l'a créée. Chaque musique a une valeur spéciale pour les personnes qui ont grandi dans son atmosphère. Même entre Tunisiens, les goûts diffèrent. Il va de même pour les civilisations, chacune a sa valeur. Je ne reproche rien à personne, je fais simplement les constatations d'un homme, témoin de l'histoire, qui voit un monde, qu'il avait connu, s'éteindre pour toujours.
Aux États Unis on se sent peut-être un peu mieux que dans d'autres pays. Ceci est dû à la mosaïque sociale qui est composée de nombreuses ethnies et religions et surtout à cause de l'existence d'institutions transparentes, de la justice, de l'ordre public, en quelques sorte des libertés accordés aux citoyens et aux étrangers.
Certains centres, des lieux de rencontre ou des restaurants crées par les Juifs tunisiens dans plusieurs pays sont devenus aussi des places de rencontre occasionnelles. Les Tunisiens fréquentent les quartiers des restaurants tunisiens pour satisfaire l'envie du moment, d'autres viennent se réconforter. Ces quartiers sont devenus des lieux sociaux temporaires où l'on partage ses soucis et ses joies. On entend dans ces restaurants Musulmans et Juifs se dire, "Ya Khouya" (mon frère). Soyons honnêtes, au moins avec nous-mêmes, ne jouons pas avec ces mots sacrés. Si nous le disons, "Ya Khouya", alors qu'on le soit. Qu'on le dise seulement, n'est pas suffisant. Un Musulman tunisien n'a pas toujours autant d'affinité avec un Musulman d'Egypte qu'avec un Juif tunisien. Nous sommes des sémites et le monde ne nous reconnaît que comme tels. Ne sommes-nous pas les descendants d'Abraham? L'expression naturelle d'un Tunisien qui se manifeste sous une forme ou une autre et qui dit "Ya Khouya" doit rester honnête et pure car nous sommes vraiment des frères sémites. Nous sommes non seulement les descendants d'Abraham, mais aussi nous sommes apparentés du côté de Moïse, qui était Hébreu et qui avait marié Tzipora (ou Safra en arabe), la fille de Yetro qui était le cheik de Médian et qui appartenait aux tribus d'Arabie.
Nous sommes nés de la même terre qui est la Tunisie, le pays qui nous a vu naître. Le plus important de tout cela, c'est que nous vivions ensemble en paix et en harmonie entre les individus comme voisins du bâtiment, voisins du quartier et voisins de la même ville. Il faut reconnaître que ces moeurs paisibles se sont forgées pendant des siècles. Voici ce que j'appelle une vie en coexistence. J'espère qu'il ne faudra pas des siècles pour que les peuples du Moyen Orient atteignent ce genre de coexistence.

Emile Tubiana

           

 

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