La vie a La Goulette, part 8 par Aline Guetta Dinoia

LE WEB DES JUIFS TUNISIENS

Quand on parle de la Goulette, de quoi parle-t-on? On parle de maison blanches a fenetres bleues et barreaux noirs. Pour ceux qui ne connaissent pas la Goulette, oui, toutes les maisons sont blanches.
Mais tout le monde n'est pas President.
Il n'y avait qu'un seul President : le President Bourguiba. Et avant sa visite a la Goulette, tous les proprietaires de la Goulette ont recu l'ordre de repreindre l'exterieur de leur maison en blanc avec persiennes bleues. J'avais demande a mon pere : "est ce qu'on peut peindre notre maison d'une autre couleur?" Il m'a repondu : "non, on ne peut pas" : il tenait en main la lettre de la mairie avec les instructions. Tous les peintres de la Goulette etaient au travail pendant une semaine ou deux. Les rues furent nettoyees, les arbres casses replantes, les pavets repares... et finalement le grand jour est arrive : en decapotable noir, le President Bourguiba a traverse l'avenue Habib Bourguiba. Tout le monde etait dehors, enfants, adultes, vieillards et une foule de jeunes a suivi l'auto jusqu'a sa residence de Carthage.
Il souriait et saluait les gens avec sa main levee. C'etait un President aime et tres charismatique, un homme de courage qui s'est battu pour l'independence de la Tunisie. Comme Nelson Mandella, il etait alle en prison pour son pays. On m'avait dit : "les francais viennent ici, volent toutes les richesses du pays et les emmenent dans leur pays."
Je ne savais pas s'il y avait quelque chose de vrai en ca. Je ne m'occupais pas du tout de politique mais les etudiants tunisiens dans les annees 67 prenaient conscience de ce qui se passait et disaient : "c'est notre pays et on nous traite comme si c'etait leur pays" .(C'etait une jeune fille dans la classe de 4e qui avait dit ca apres avoir ete maltraitee par une prof francaise au CEG du Lycee Carnot.) Cette prof etait tres raciste, elle donnait les meilleures notes d'histoire/geo aux francais et nous traitait avec dedain. Les juifs de nationalite tunisienne ne pouvaient pas prendre anglais en premiere langue, ils etaient forces de prendre arabe. Les profs d'arabe n'enseignaient rien. alors pour passer en seconde, on nous fit passer un examen d'arabe. Bien sur, tout le monde a eu une note eliminatoire. C'etait une facon de se debarasser de nous pour ne pas aller jusqu'au bac. Moi meme, j'ai eu un zero en arabe et le jour ou il y eu la remise des prix, je ne suis pas allee prendre mon prix de francais. Le proviseur et Mr. Romieu etaient desoles de voir qu'ils m'avaient fait echouer et que je ne pouvais pas aller en 2nd. Ils donnerent le cadeau a ma mere (c'etait un livre). Tous ceux qui etaient dans mon cas (1967) etaient desorientes et durent aller dans d'autres ecoles commerciales privees (payantes) ou en France ou quitter l'ecole. Personne je crois ne choisit de refaire la 3e car en fin d'annee, ils nous auraient encore fait echouer en arabe. Pour le BEPC, malgre que l'anglais etait ma 2e langue, je l'ai choisi en premiere langue. Ma prof d'anglais qui etait une amie a compris ce qui se passait et a explique au prof qui faisait l'inspection que je n'avais que deux ans d'anglais (au lieu de 4) et j'ai eu le BEPC. Il ne m'a pas servie a grand chose mais au moins "I beat the system".
Pour en revenir a la Goulette, un autre jour ou toute la Goulette etait sortie dehors c'etait le jour de la fete de l'independence. Il y avait un defile et un monde fou dehors car c'etait l'ete je crois. On avait demande a tout le monde de participer et ceux qui avaient accepte, etaient dans le defile : des plus petits aux plus grands progressivement passerent dans le defile. Ca a ete un grand succes et apres tout le monde est rentre heureux, ennivres de bruits et de musique. Mais les annees suivantes les defiles ne furent pas aussi bien organises et finalement disparurent completement.
Tout le monde se rappelle aussi de la Goulette comme d'un village ou tout le monde se connaissait. En ete, le matin, on allait dans un cafe et on commandait un plat tunisien, c'est un plat avec tout ce que l'on met dans un sandwich au thon mais avec un oeuf en plus. Pour ceux qui ne connaissent pas : il y avait le thon, les olives, les salades, un morceau de citron beldi et l'oeuf a la coque, et on mangeait ca avec un petit pain italien chaud et delicieux. Je ne me rappelle plus du nom du cuisinier mais il avait des gros yeux qui lui sortaient des paupieres. Ceux qui l'on connu doivent s'en souvenir. Il servait tous les matins "du droah", je ne sais pas comment ca s'eppelle mais c'est une sorte de graine grise que l'on cuit a l'eau et que l'on sert chaud avec un peu de sucre et de la "cannelle" dessus.

Je me rappelle d'une annecdote marrante : un matin, pour faire manger son fils, une mere assise a cote de moi, lui dit : "si tu ne manges pas, je vais le donner au chien" (il y avait un chien a cote de la poussette) et elle mit la cuillere devant le chien et l'enfant ouvrit la bouche et vite, elle lui enfila le droo dedans. Et elle recommenca le meme chantage pour chaque bouchee. Des fois, on allait juste a cote au magasin de frippe: les habits etaient par terre, a l'interieur, il y avait des sacs d'habits immenses venant des Etats Unis. De temps en temps, on les ouvrait si on ne trouvait pas ce qu'on cherchait par terre : Il y avait des choses extraordinaires : des robes tres bien coupees, des maillots de Hollywood et toute sorte d'habits pour hommes et femmes. et apres, on allait au marche ou faire des courses.
L'apres midi, on sortait prendre des granites vendues a plusieurs endroits, pour nous rafraichir. Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est, ce sont des glaces faites avec de la citronnade dans un contener, place dans une autre contener plus grand, entoure de glace qu'un marchant faisait tourner manuellement et la citronnade se transformait en glace sur les parois interieures du contener.
De temps en temps, le soir on allait prendre une brique a l'oeuf ou autre. Personne ne sait qui faisait les feuilles de briques, eh bien c'etait une dame qui habitait a cote de la gare et qui avait chez elle plusieurs engins dont le couvercle etait en peaux de bete pour faire secher les feuilles de brique. C'est un peu le meme systeme que de faire des crepes mais les feuilles de briques sont plus grandes et il n'y a pas d'oeuf dans la pate et elles sechaient la nuitpuis elles etaient enveloppees pour ne pas perdre leur elasticite et ne pas trop secher. Les rares Goulettoises qui la connaissaient, allaient chez elle si elles voulaient acheter des feuilles de brique pour les fetes ou pour en faire a la maison. Ceux qui ont vecu a la Goulette aussi doivent se rappeler de certains jours ou il faisait tres chaud et le sirocco venant du desert soufflait et les gens se precipitaient pour rentrer chez eux. Heureusement ca n'arrivait pas souvent. Les soirees etaient en general tres agreables. On allait quelques fois a un cafe pres de la plage de la Goulette Vieille et on ecoutait Oum Kalthoum et on buvait du the aux pignons en regardant la mer et les gens tout autour. Les marchands de jasmin nous vendaient des colliers en jasmin ou des bouquets de jasmin. Les femmes mettaient ca sur leur poitrine ou le tenaient a la main.
Certains musulmans fumaient du Hashish que le serveur leur apportait dans une sorte de bouteille.
C'etait une vie sans stress ou l'on pouvait s'asseoir dans des cafes pendant des heures et des heures sans se soucier du lendemain.

Aline Guetta Dinoia

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