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Les mémoires d'un goulettois.
Par Albert Siméoni ( Bébert)
Paris le 18/6/1989.
J'avais déjà narre auparavant ma situation de pré-adolescent bien 'gardé' par
ma maman car il fallait que je sois à portée de
voix quand elle me hélait du balcon..
Le Bouraz.
Récit.
Que pouvait-il bien y avoir là-bas à la pointe du Bouraz.? Le Bouraz comme on
le nomme encore aujourd'hui.
Jusqu'à un certain âge, je ne pouvais me permettre de dépasser une certaine
frontière que ma chére maman m'avait tracée
dans les limites de son porte voix. C'est à dire 50 mètres aux alentours de la
maison familiale. J'ai respecté cette directive
jusqu'au jour où j'ai eu mon indépendance à 13 ans.
Alors le Bouraz et son phare, ce point lumineux,c'était la grande aventure.
J'étais très curieux de le découvrir. Escalader-
les 'blocs' tels que mes amis me le rapportaient, attisaient ma grande
curiosité. Ces grosses pierres qui protégeaient ce long
bras qui s'avançait d'une centaine de mètres dans le ventre de la mer. L'oil
lumineux, dressé comme une béquille, signalait
aux navires de toutes sortes, l'entrée du canal de Halque-El-Ooued pour
poursuivre leur route vers le chenal qui mène à
Tunis. En longeant la voie ferrée du TGM.
Mes compétitions nautiques, excitèrent mon envie de franchir le pas. A
l'insu de ma mère. La piscine municipale 4 étoiles, un
plan d'eau souvent balayé par le vent ,été comme hiver, était à proximité des
blocs.
Ces allers-retour, sac au dos, aiguisèrent mon côté témèraire pour aller
conquérir ce haut lieu que je voyais de loin, debout,
sur ma plage de Goulette Casino.
J'avais une très grande appréhension car la voix de ma mère mariée à ma
conscience..me disait.
.' Yè ouldi.! Evite le danger.!'
Or les blocs étaient un danger.
Je décidais de passer outre en me soustrayant à son oil et à ses paroles
incrustées, à l'intérieur de ma tête.
Le mauvais temps sévissait cet après midi là, quand je quittais vers les 18
heures, mon entraîneur de natation Mimi Vigano,
avec comme secret, dans mes neurones, l'expédition tant attendue; Atteindre le
Bouraz.
Je contournais donc la piscine, bien décidé à affronter aussi bien ma
conscience scellée par la voix de ma progéniture qui me
disait sans arrêt.
' Yè ouldi..! Evite le danger..!'
Et le vent qui me fouettait le visage.
Je livrais un combat interne, et externe.
Je marchais donc, mon sac en bandoulière, vers le grand môle. Une centaine
de mètres à parcourir.
La plage de la Jetée, était devant moi. Je franchissais cette première
barrière, non naturelle, en ciment; le parapet de
protection qui retenait l'invasion de sable qui venait se déposer sur les
artères et ruelles de la ville. Par grand vent.
Je posais mon pied sur le granuleux. Les premières grosses pierrailles
étaient en vue. Et au fond, se dressait majestueux,
l'objet de ma convoitise.
Debout comme une vieille sentinelle.
Je sautais sur les premières pierres bien plus hautes que moi, tout en
évitant le faux pas qui m'aurait mis à mal. L'eau
s'engouffrait d'entre les grosses caillasses, pour se retirer L'écume vite
évaporée, laissait découvrire de petites poches
lacustres, dans lesquels crabes, petits gougeons et sparlottes barbotaient.
Surpris par mon oil, cette petite faune marine fuyait, extrapolant sans
doute à une mauvaise intention de ma part.
Je me baissais, par moment, pour scruter le petit fond marin, pour surprendre
de longues brindilles d'algues vertes se
mouvant, en ballet, par le flux et le reflux de l'eau. Elles dansaient sous
mes yeux une danse en va et vient, rythmé par le
grondement de la mer. Un mouvement dont j'ignorais le pas sous l'écho
encastré de la grande bleue, en effervescence.
J'en oubliais la voix de ma mère; La mer l'ayant étouffée par le petit
spectacle son et lumière qui m'était offert à quelques
centimètres de ma vue. Dans ma recherche de la jouissance visuelle et
auditive.
Je fis une étrange découverte..Une paire d'amis, agenouillée et penchée,
d'entre les excavations rocheuses, s'échinait à
pêcher en laissant leur fil à plomb 'Hamecenter' et 'Asticoté' au bout couler
dans la profondeur méditerranéenne..
\rouge{ 'Bébert'..! Chut ne fais pas de bruit.On pêche.!'.
Je n'en fis pas, laissant l'énorme vacarme régner à ma place.
Un peu plus loin, laissant mes investigations vivrent un moment délicieux,
je surprenais un jeune couple enlacé, malgré la
grande brise fraîche, entrain de se bécoter, coincé dans un petit abri de
fortune sans toit, à ciel ouvert, ayant comme paroi, les
grandes caillasses. Entre roches et mer.
Pourvu me disais-je que rien ne vienne faire trembler la terre.
Un vieil arabe, pris par défaut par mon regard inquisiteur de lynx
effarouchè, pantalon baissé, et mal inspiré, 'mgamez' (
agenouille) dans une inconfortable position, en équilibre précaire, une main
sur une roche et l'autre tenant sa 'kacachèbiè'
soulageait sans contrainte, dans la cuvette naturelle à fond bleu, sa retenue
enfin libérée. Kââd i khra. Sur la tête des
poissons.
Je sautais toujours de roche en roche, en prenant soin d'éviter les surfaces
glissantes, recouvertes de mousse verte/gluante
découvrant ainsi ce qui pouvait être surpris.
.
Et toujours la voix de ma mère..
'..Yè ouldi.! Evite le danger..!'
J'y étais et ne pouvais plus reculer.
J'abordais enfin l'allée centrale qui m'ouvrait la bonne direction; la voie
du phare.
La grande rumeur des vagues, parvenait à mes oreilles bien tendues. Du côté,
versant droit, je regardais l'étendue de la mer,
la grande bleue/ verte rugissante dont les 'béliers rageurs', les vagues,
venaient se fracasser comme des rouleaux
compresseurs sur les avants postes, les blocs, premiers remparts contre les
'casseuses de flanc'.
Je croisais un navire marchand qui tanguait sous les remous tandis que
d'autres au loin attendaient leur tour pour franchir le
canal.
La houle, le faisait battre la mesure comme une note folle posée sur du
papier à musique, qui ne tenait plus en place.
Les mouettes, ivres, éternelles compagnes des navires, avaient du mal à
planer au-dessus des flots en pleine bataille.; Un
combat inégal, contre le vent, se jouait devant mes yeux.
Je battais à présent le gravier de l'allée centrale qui mène à l'objet de ma
convoitise. Le versant gauche était caché à mes yeux
par ces grosses pierres posées disgracieusement.
Quelques pêcheurs téméraires, assis sur le rebord du môle, ajustaient tant
bien que mal, leurs lignes, redoublant d'effort
pour ne pas laisser leurs fils s'entremêler avec ceux du voisin, et que le
vent essayait de confondre.
Et toujours la voix de ma mère..
'..Yè ouldi.! Evite le danger..!'
Qui se mêlait aux rugissements de la grande bleue, déchaînée.
Je marchais, toujours résolu, contre vent et voix, à poursuivre ma marche
héroïque. Je piétinais depuis un bon moment le
ciment de la voie centrale, les yeux fixés sur la tourelle posée sur son
socle de béton. La grande cime, le point lumineux, le
phare, n'était plus qu'à quelques mètres.
J'étais enfin sous la tourelle. Je levais les yeux pour découvrir, une longue
échelle de coupée en fer, couleur vert/foncé et le
corps de la tour. Une porte, donnant accès à l'entrée au ventre du phare,
était fermée. Quelques endroits étaient rouilles. Je
venais de faire connaissance avec la grande 'concombre' d'acier. Notre
fierté.
Puis mon regard, fut hypnotisé par le grand large en perpétuel mouvement. Je
m'avançais un peu plus, dépassant de
quelques mètres le tronc de fer, pour me pencher par- dessus le môle. Je
dominais, à présent, fièrement, à une hauteur de 5
à 6 mètres, cette grande étendue rageuse et mugissante dont la grosse écume
bouillonnante à mes pieds, venait sans
relâche livrer bataille, au quotidien, tête baissée, contre le front
bétonné du bras de fer.
Je reculais..Car la voix de ma mère me disait..
'..Yè ouldi..! Evite le danger..!'
Sa voix recouvrait le vacarme assourdissant de celle avec qui j'ai ouvert les
yeux et qui m'a accompagné durant 45 ans; La mer.
J'avais relevé le défi et conquis la tour de fer. Notre phare.
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