Simon raccrocha le téléphone, satisfait.
Il avait dû quitter la maison très tôt ce matin, sans pouvoir prendre le petit
déjeuner avec sa femme Rachel. Aussi, dès quil eut terminé ce dossier urgent au
bureau, il lappela, persuadé quelle était déjà réveillée. Ils
bavardèrent pendant quelques minutes de tout et de rien, de ces mots inutiles et tendres
qui remplissent les couples de plus de vingt ans, qui rassurent et consolident jour après
jour une famille unie et banale.
Simon adorait Rachel. Il lavait rencontrée en France, pays où il était arrivé
adolescent, quittant une Tunisie natale et ancestrale, devenue hostile et invivable pour
ses parents. Sans bruit, ni remous politiques, ni intifada, ni camps de réfugiés, toute
cette génération de victimes de lHistoire avait dû abandonner, la mort dans lâme,
ce pays si cher à leur cur, sans quaucune instance internationale ne sen
offusque. Sans que personne ne revendique un droit de retour. Ces gens sétaient
tout simplement intégrés dans les pays daccueil, la France, Israël, les USA,
Pour Simon, cétait tout naturellement la France, car ses frères et surs aînés
y poursuivaient déjà leurs études. Puis, à la faveur dune opportunité dévolution
de carrière quil pouvait difficilement refuser, il partit avec sa famille aux USA,
à New York, où il habitait et travaillait maintenant depuis cinq ans.
Simon se leva et se dirigea vers la machine à café de son beau bureau, en rapport avec
le poste quil occupait dans cette riche firme américaine. Cette machine à café «
expresso » lui avait été offerte par Rachel, car il narrivait pas à shabituer
au café américain. Il prit un verre et le remplit du liquide chaud et délicatement
parfumé. Il se souvint de ce que lui disait son grand-père : « ia oueldi, le café,
même mauvais mauvais, dans un verre-verre, cest meilleur ».
Simon savait quil ne lui restait que quelques instants de répit avant que lagitation
habituelle du bureau ne commence. Il était là, appréciant ces instants de calme
relatif, savourant son café, debout dans son bureau, et contemplant ce beau paysage
depuis la baie vitrée : une belle fin dété sur la ville.
Au loin, une petite tache sombre grossit. Simon pensa, en un éclair, à son enfance ; il
lui arrivait parfois, le soir, pendant que son père achetait des journaux avenue Jules
Ferry à Tunis, de se placer dans laxe du terminus du TGM et de voir le train en
bois arriver vers lui, en ralentissant pour sarrêter en pleine ville, entre le
café de Paris, le Colisée, près du Palmarium et de la Dépêche, bref, en plein cur
bruyant de sa ville natale tant regrettée. Enfant, il se faisait des petites frayeurs :
et si le train ne sarrêtait pas
.quel malheur !!
Cette fois-ci, juste avant de mourir, Simon réalisa que cette tache sombre était un
avion qui sencastrait dans limmeuble de son bureau du World Trade Center.