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PATRICK KESSIS
L'affaire Slakmon, ou le chandail turquoise
une nouvelle...
Henri Slakmon vivait a Tunis au debut du siecle, commercant respecte et bien aime de sa
communaute qui se desolait de le savoir encore celibataire a trente deux ans. Pourtant sa
mere et ses tantes n'avaient cesse de le sermoner et tente d'organiser des rencontres,
souvent a son insu , avec de ''belles jeunes filles a marier '' mais rien n'y faisait, il
leur trouvait toujours quelque chose et s'obstinait a refuser toutes les propositions . On
alla meme jusqu'a imaginer qu'il avait des moeurs speciales, ou qu'il etait impuissant, ou
bien encore qu'il etait atteint d'un terrible maladie contagieuse.....
Henri se moquait bien de tous ces ''on dit'' car il savait au fond de lui qu'un jour il la
rencontrerait, celle qui lui etait destinee, son ame soeur, l'amour eternel. En
attendant , il se consacrait a la lecture de tout ce qui pouvait lui tomber sous la main
car il considerait que l'erudition et la culture lui etaient absolument indispensables s'
il voulait se monter a la hauteur de sa bien aimee, qui, a n'en pas douter, serait elle
meme issue d'une grande famille aristocrate, et par la meme, forcement tres cultivee.
Donc , il avait pris pour habitude , sitot la boutique fermee, de se rendre tous les jours
au salon de the de l'avenue Jules Ferry, rendez vous oblige de tout ce qui comptait de
lettres et d'intellectuels a Tunis a cette epoque, et ou il pouvait trouver toutes sortes
de journaux et magazines d'actualite ainsi qu'une bellle collection d' ouvrages de
litterature classique et
contemporaine mise a la disposition des clients de l'etablissement.
Et c'est la , qu'un jour , il la vit !
Des que son regard se posa sur elle il sut qu'il l'avait enfin trouvee, celle qu'il
attendait depuis si longtemps... Elle se tenait assise toute seule a une petite table du
fond de la salle, vetue d'une petite robe claire de coton blanc toute simple, pas
maquillee, ne portant aucun bijou clinquant, contrairement a la mode de ce debut de
siecle, et pourtant il se degageait d'elle une impression d'elegance absolue, de noblesse,
de beaute quasi divine.
Elle paraissait enveloppee par une lumiere chaude, un halo bleute autour d'elle, un peu
comme un tableau de Rembrandt auquel un magicien aurait insufle la vie. Un reve.....
Tout a son emerveillement , Henri ne s'etait pas rendu compte qu'il se tenait immobile au
milieu de la salle, l'air hallucine, et genant le passage des serveuses et clients autour
de lui. Sentant inconsciemment tous les regards se tourner vers lui , il se ressaisit et
d'un pas malhabile se dirigea vers la table la plus proche, non sans avoir au passage
remarque un petit sourire moqueur tout juste ebauche , de la jeune femme, et qui fit
battre son coeur comme un tambour. Il prit place a la table et pretendit se lancer dans la
lecture d'un magazine, ne pouvant detacher son regard et ses pensees de celle qui, il en
etait sur deja, serait un jour sa femme. Qu'elle etait belle, il n'avait jamais dans ses
reves les plus fous imagine une telle perfection, une telle grace, et autant de feminite
dans une seule et meme personne.
Soudain elle se leva et se dirigea vers la porte, et il ne sut plus quoi faire, devait il
se lever et tenter une approche, non ce serait extremement deplace , et puis de toutes
facons quoi lui dire, vous etes la femme de ma vie, je vous ai attendue pendant trente
deux ans, il risquerait d'etre totalement ridicule, ou alors il la laissait partir, au
risque de ne jamais plus la revoir, ou bien encore il la suivrait, discretement, pour
savoir ou elle habitait, toutes ces pensees confuses et contradictoires en un eclair, et
puis ca arriva , d'un coup , elle pivota sur elle meme d'un long mouvement gracieux et se
tournant vers lui , lui decrocha le sourire le plus eblouissant qu'il aie jamais vu, puis
aussi soudain qu'elle lui etait apparue elle prit la porte et quitta le cafe. Encore sous
le choc, Henri etait incapable du moindre mouvement, c'etait bien
a lui que ce sourire etait adresse, a lui et a personne d'autre, il n'avait pas
reve, elle l'avait bien remarque, lui Henri Slakmon, au milieu de tousces gens, ca voulait
bien dire quelque chose...
Il se precipita dans la rue pour essayer de l'apercevoir ou tout au moins de deviner dans
quelle direction elle avait pu partir, mais peine perdue, elle avait deja disparu, avalee
par la foule des badauds de ce debut de soiree. Ce soir la il ne put pas dormir, il
voulait qu'on soit deja demain, apres la fermeture du magasin, au salon de the , et peut
etre qu'elle reviendrait, oui surement qu'elle reviendrait, elle lui avait souri non, il
l'interessait c'est sur, il avait bien senti dans ce regard autre chose que de la simple
coquetterie oui c'est cela , elle serait la demain et il aurait le courage de lui parler,
il lui reciterait des poemes de Verlaine et de Rimbaud, et meme peut etre des vers de sa
composition, apres tout ne les avait il pas ecrit specialement pour elle au cours de ces
annees d'attente, il irait meme prier a la synagogue ce Dieu en qui il n'avait jamais
vraiment cru et qui venait de lui reveler son existence de maniere aussi flagrante sous
les traits de cette merveilleuse apparition.
Le lendemain se passa difficilement pour Henri, les minutes lui paraissaient des heures et
son esprit n'arrivait pas a se concentrer sur les differentes taches de son commerce et
quand il fut enfin l'heure de fermer , il se precipita comme un fou vers le salon de the
dont il franchit la porte , le coeur tambourinant dans la poitrine, et oh misere , elle
n'etait pas la !
pas possible, elle va arriver bientot, c'est sur, d'ailleurs hier il etait venu bien plus
tard, donc pas de panique, elle sera la tres bientot, et tout allait se passer comme
prevu, c'etait son destin apres tout, leur destin, et chacun sait qu'on ne peut modifier
son destin, patience Henri, patience....
Mais les heures passerent et elle ne vint pas. Bientot le cafe allait fermer, la nuit
etait tombee et une jeune fillle ne pouvait pas se promener toute seule dans la ville,
aussi tard. Desabuse Henri se resigna au fait qu'il ne la verrait pas ce soir, mais
finalement c'etait sans doute normal, elle avait eu un empechement, rien de bien grave,
elle serait la demain, ou peut etre apres demain, ou un jour tres prochain, mais elle
viendrait, elle le devait. Et donc, triste et resigne, il rentra chez lui , le coeur gros
mais quand meme plein d'espoir et de confiance dans l'avenir, il avait attendu si
longtemps pour enfin la trouver, il pouvait bien attendre un peu plus pour la conquerir,
et d'ailleurs ca lui permettrait de plus reflechir, d'affiner sa strategie, apres tout une
femme de sa classe ne saurait se contenter de quelques platitudes, il fallait
l'impressionner, la charmer, et peut etre qu'au fond ce delai etait salutaire,
certainement meme , il y avait une raison pour chaque chose, dans ce monde , patience
Henri, patience...
Ainsi, chaque jour, sitot ses devoirs professionnels accomplis, il se rendait au salon de
the, s'asseyant toujours a la meme table , face a l'entree, la guettant de tous ses sens,
pendants des heures , des jours , des semaines, mais elle ne vint jamais, et ses espoirs
se tansformaient en tristesse, il se laissait doucement mourir a l'interieur, il n'avait
plus le gout a rien, ne mangeait presque plus, ne comprenait pas pourquoi la vie lui avait
joue un aussi mauvais tour, lui qui pourtant n;avait jamais demerite, lui qui avait
toujours ete un bon fils, un bon citoyen, un bon juif, meme si pas tres pratiquant, peut
etre que c'etait pour ca apres tout , Dieu le punissait, mais non, ce sont des betises,
c'est simplement comme ca, pas de logique, pas de justice immanente, simplement la vie ,
magnifique parfois et absurde souvent. Il fallait qu'il en sorte, qu'il l'oublie, qu'il se
dise que c'etait un reve , que finalement il en avait retire quelque chose, a savoir qu'il
etait lui aussi capable d'eprouver ce sentiment merveilleux de l'amour, de s'ouvrir enfin
aux femmes, et que sans doute sa mere avait raison, il epouserait une jeune fille de bonne
famille, lui ferait une ribambelle de beaux enfants, et vivrait heureux comme la tradition
le veut.
Pour commencer, ne plus venir au salon de the, ca serait trop dur, chaque recoin, chaque
visage, lui rappellerait cette jeune femme, et ca c'etait malsain il fallait qu'il
l'oublie, qu'il la chasse de sa memoire, a jamais. Donc la vie reprit, a peu pres comme
avant, les affaires l'occupaient plus que jamais car il avait decide de se constituer un
petit pecule afin de pouvoir fonder une famille dans les meilleures conditions, mais
malgre tout la blesssure dans son coeur ne parvenait pas a cicatriser totalement, et un
jour , se sentant etouffer, il se dirigea sans meme reflechir vers les jardins du
belvedere, et s'assit sur un banc, ou il ne put reprimer des sanglots, comme un exhutoire
a tous ces mois de souffrance, comme si ses larmes mettaient un terme a sa longue attente
decue, marquant le point final a toute sa peine.
Soudain, il sentit son coeur exploser dans sa poitrine, elle etait la, devant lui, vetue
de la meme robe blanche qu'il lui avait vu porter quelques mois auparavant, elle etait la
, marchant sur la pelouse, aerienne, comme portee par une force mysterieuse qui la faisait
se deplacer avec grace et souplesse sur l'herbe encore humide de ce petit matin d'automne.
Elle etait la , telle que dans son souvenir, non encore plus belle, si cela etait
possible, et elle se dirigeait tout droit vers lui, completement tetanise et se demandant
si il n'allait pas avoir une crise cardiaque, tant son emotion etait grande, incapable de
bouger un muscle, ni meme de modifier la mimique stupide de son visage fige, dont il avait
vaguement conscience mais incapable de la moindre reaction.
Le monde cessa d'exister pour Henri, tout son etre semblait s'etre dilue dans une autre
dimension, il avait conscience d'exister mais comme dans un reve, elle remplissait tout
son espace visuel, tous les bruits s'etaient tus, seul subsistait le bruissement de
l'etoffe de la robe blanche, et finalement ses levres s'entr'ouvrirent et elle dit quelque
chose : il entendit des mots mais ne put en comprendre le sens, ca ressemblait a de la
musique, bienveillante et sacree, qui immediatement lui apporta un immense reconfort,
comme un baume sur son coeur meurtri, comme une onde bienfaisante et reparatrice..
Il fit un enorme effort pour se ressaisir, retrouver l'usage de ses sens, et puis tout
d'un coup tout rentra dans l'ordre, elle etait la , assise pres de lui, l'enveloppant de
son regard, le noyant presque dans le bleu profond de ses yeux, et toujours cette petite
moue moqueuse qui l'avait tant remue auparavant au salon de the.
Revenu de sa stupeur , Henri se mit a parler, comme il ne se croyait pas capable de le
faire, lui disant des choses si belles qu'il avait l'impression que quelqu'un d'autre
parlait a sa place, comme si il etait lui meme spectateur et acteur involontaire d'une
magnifique piece de theatre, dont ils etaient tous les deux les heros, et il lui posa des
questions auxquelles elle repondit de sa voix douce et chaude, et il lui raconta , se
racontat, lui decrivit sa vie , leur vie future, leur eternite, leur amour, et ils se
leverent et se mirent a marcher au hasard, inconscients du monde autour d'eux, et
echangeant des idees, se trouvant une infinite de points et de gouts communs, et de
sentiments, comme s'ils s'etaient toujours connus, et la vie etait belle , magnifique, et
le futur etait si plein de promesses.......
Tout en parlant, ils etaient sans s'en rendre compte, sortis du jardin et ils remontaient
maintenant vers l'avenue de Paris. Elle lui avait dit se nommer Lisette, vingt quatre ans,
fille unique et orpheline de mere depuis la naissance, elle vivait avec son pere dans une
petite maison du centre ville, d'ailleurs ils n'en etaient pas loin, et il lui faudrait
bientot rentrer, mon Dieu comme le temps avait vite passe , il etait deja dix huit heures
elle devait preparer le dinner, et puis il commencait a faire frisquet et sa petite robe
d'ete ne suffisait pas a la proteger .
Henri se precipita et lui offrit son chandail, pour lui tenir chaud jusqu'a parvenir
a destination. Sitot depassee la rue Hoche, ils tournerent a droite rue Danremont et c'est
la qu'elle lui expliqua qu'ils devaient se quitter car il n'etait pas bien vu qu'une jeune
fille se fasse raccompagner par un homme jusqu'a chez elle, tout au moins pas tant qu'il
n'aurait ete officiellement presente a son pere , mais c'etait encore premature n'est ce
pas ?
Allons , ils se reverraient demain, a la meme heure , au meme endroit, et pour sur,
bientot ils ne feraient plus qu'un , seraient lies a tout jamais dans une destinee
commune, c'etait sur , c'etait ecrit. Elle quitta le chandail pour le lui rendre, mais il
s'y opposa arguant que c'est la qu'elle risquait d'attraper froid, et qu'il pouvait
bien attendre jusqu'au lendemain, n'avaient ils pas rendez vous ? Et puis il lui allait si
bien ce chandail turquoise, qui mettait en valeur l'eclat eblouissant de ses grands yeux
bleus. Elle lui sourit, effleura ses doigts, et le quitta pour se diriger vers sa maison.
Toujours sous le charme, Henri resta plante sur le trottoir, envahi par une emotion
inconnue a ce jour et si forte qu'il se demandait s'il parviendrait un jour a la
maitriser. Puis, dans un eclair de conscience il se dit qu'il l'avait deja perdue une fois
et qu'il ne voulait plus prendre le moindre risque de la perdre a nouveau, aussi se mit il
a la suivre de loin, afin de tacher de reperer au moins la maison dans laquelle elle
habitait. Quelques metres plus loin elle tourna a droite dans une petite rue et entra dans
une petite batisse, comme un petit hotel particulier, vieux et completement decrepi.
Bon, elle n'etait donc pas riche, et c'etait encore mieux finalement, n'avait il pas
economise toutes ces annees de celibat pour un moment comme ca, il serait l'homme de la
maison, fort , et genereux, et procurant toutes les ressources necessaire a la nombreuse
famille qu'ils ne manqueraient pas de fonder ensemble, pendant qu'elle se livrerait a
toutes les taches de
maitresse de maison et de mere de famille nombreuse.
Que la vie etait belle , et comme l'avenir s'annoncait radieux. Lui, Henri Slakmon, se
sentait le roi du monde, il avait envie de chanter, de danser tout seul, de hurler sa
joie, et il se sentait plein de pitie pour tous ses congeneres qui eux n'avaient pas le
bohnneur de connaitre Lisette, et d'etre aime par elle, comme lui Henri Slakmon , maitre
de l'univers.......
Comme la toute premiere fois qu'il l'avait vue, il ne parvint pas a dormir cette nuit la ,
tout a l'excitation de leur rencontre et de la perspective du lendemainsi plein de
promesses. Des les premieres lueurs de l'aube il se dirigea vers le belvedere, s'assit sur
le meme banc, et attendit son arrivee. Tout comme la premiere fois au cafe, le temps
semblait s'etirer, et il sentait sa nervosite augmenter, mais il savait que cette fois
c'etait different, elle viendrait bien sur, les
choses avaient change, ils s'etaient reconnus, comme deux ames separees dans le temps et
enfin reunies, pour l'eternite. Patience Henri, patience....
Et les minutes et les heures passerent, et toujours pas de Lisette, etait il arrive
quelque chose, y avait il eu un probleme chez elle, son pere s'etait il oppose a ce
qu'elle sorte, c'est curieux, ca ne cadre pas , il s'est passe quelque chose...
Convaincu qu'elle ne viendrait plus, il se resolut a aller devant chez elle et a la
guetter a travers les rideaux de la maison. Lorsqu'il y arriva, toutes les lumieres
etaient eteintes, ils etaient donc sortis, il suffisait d'attendre, tapi dans l'ombre, ils
finiraient bien par rentrer...
De nouveau le temps s'etira pour Henri qui sur les coups de minuit decida que finalement
il ne servait plus a rien d'attendre, et que le mieux serait de revenir le lendemain et la
, c'est sur qu'il finirait par l'apercevoir et tenter de se manifester discretement.
Le lendemain, il reprit sa faction, toute la journee et une bonne partie de la nuit, sans
succes, bien qu'il ait distingue dans la penombre comme une petie lumiere vacillante a
travers les rideaux fermes, sans doute la flamme d'une bougie, mais rien de plus, personne
n'etait entre ou sorti de la maison.
Le jour d'apres il reprit la meme routine, et de meme le jour suivant, et celui d'apres,
jusqu'a ce qu'il en arrive a la conclusion que Lisette n'etait pas a l'interieur, sans
doute partie en voyage, mais pour combien de temps, et comme ca sans prevenir, c'etait
sans doute grave ou alors quoi, il ne savait plus , a cours d'hypotheses, a cours
d'imagination, a bout de forces,
il se dit qu'il ne tiendrait pas longtemps dans cette incertitude, il risquait tout
simplement la folie, il fallait faire quelque chose, mais quoi ?
Et puis soudain l'absurdite de la situation s'imposa a lui : il etait la , lui Henri
Slakmon, devant la porte de celle qui representait son avenir, son bohnneur, sa destinee,
sa vie, et pour de stupides raisons de conventions il n'osait pas se manifester, alors
qu'elle avait peut etre besoin de lui, qu'elle souhaitait peut etre qu'il se manifestat,
qu'il vienne a son secours....
Prenant son courage a deux mains, il traversa la rue d'un pas decide, frappa doucement a
la porte. Silence, pas de reaction, il s'enhardit et cette fois tambourina sur la porte
jusqu'a ce que finalement il entendit un leger bruit de pas et une petite voix demanda :
--- qu'est ce que c'est ?
--- excusez moi de vous deranger Monsieur mais je suis un ami de Lisette..
--- que voulez vous ?
--- simplement savoir si elle va bien....
silence.....
--- Monsieur etes vous la , je suis desole de vous deranger mais....
--- Allez vous en vous devriez avoir honte..allez vous en ou j'appelle la police..
--- mais monsieur, je ne fais rien de mal, je veux simplement savoir si elle va bien....
monsieur s'il vous plait...
--- allez vous en je vous dis allez vous en c'est monstrueux ce que vous faites...
--- mais je ne fais rien... s'il vous plait monsieur repondez moi, par un mot meme, dites
moi au moins si elle va bien... monsieur s'il vous plait..
Soudain la porte s'ouvrit sur un vieillard, tres maigre et decrepi, portant une longue
barbe blanche, le visage parchemine et exprimant une immense douleur melee a une colere
discernable a l'eclat menacant de ses petits yeux tres bleus, les memes yeux que
Lisette....
les deux hommes s'observerent pendant un moment, Henri surpris de decouvrir un homme aussi
age, et le vieillard apparement surpris de decouvrir un jeune homme bien mis, et de toute
evidence presentant un visage ouvert et exprimant a la fois de l'etonnement et de la
sincerite.
Le vieil homme semblait las et use, comme si la vie s'etait montree particulierement
cruelle avec lui, tout voute et semblant vivre dans un confinement total a juger par
l'odeur de moisi qui parvenait de l'interieur de la maison. Il sembla etudier Henri
pendant un long moment , puis finalement , a brule pourpoint lui posa une question :
--- comment connaissez vous ma fille ?
--- nous nous sommes rencontres par hasard au belvedere et avons ...sympatise..
Le pere de Lisette le regarda d'un air dubitatif et la lueur de colere, un moment
disparue, revint dans ses yeux, et il fit mine de fermer la porte.
--- attendez , s'il vous plait, monsieur, ne fermez pas la porte, je veux seulement savoir
si elle va bien , c'est tout , je vous promets de m'en aller sitot que vous m'aurez
repondu...
De nouveau, le viel homme sembla se tasser sur lui meme, la colere sembla s'evanouir pour
faire place a une immense tristesse et , comme a regret, il prononca ces mots terribles
--- jeune homme, vous devez faire erreur, il n'y a pas de Lisette ici, on vous aura mal
renseigne.
--- Mais je.....
--- ecoutez Lisette etait le nom de ma fille , mais elle est morte , il y a plus de trente
ans, et vous etes trop jeune pour l'avoir connue, desole, mais il y a erreur, alors
rentrez chez vous et essayez plutot de retrouver votre Lisette mais pas ici monsieur, pas
ici...
--- mais ce n'est pas possible.. c'est ici , j'en suis sur...
Devant l'air desespere de Henri, le vieil homme sentit tout d'un coup qu'il se devait de
se montrer un peu plus charitable, et que de toute evidence le jeune homme ne presentait
aucune menace, et qu'il ne meritait sans doute pas une telle agressivite
--- ecoutez jeune homme, vous m'avez l'air bien mal en point, et si vous ne voyez pas
d'objection a la compagnie d'un vieillard un peu accariatre, je vous propose un the a la
menthe, avec un peu d'eau de fleur d'oranger, ca vous remettra d'aplomb comme un rien,
d'ailleurs j'en ai moi meme grand besoin. Allez entrez et ne faites pas attention au
desordre, vous savez un vieil homme comme moi , tout seul...
Henri ne se fit pas prier et emboita le pas au vieil homme , et se retrouva dans un salon,
au meubles tres anciens , recouverts de poussiere, et cette odeur de moisi...
--- installez vous et detendez vous, je vais preparer le the , je serai de retour dans
quelques minutes....
Henri prit place dans un des fauteuils , qui degagea immediatement un nuage de poussiere,
et se mit a observer autour de lui, ayant l'impression de faire un voyage dans le temps,
aucun meuble ou objet ne semblait avoir moins de trente ans, y compris l'absence de toute
lumiere electrique, uniquement une petite lampe a huile dans un coin dont la lueur
projettait des ombres inquietantes sur les murs recouverts d'une toile de jute marron qui
avait du etre blanche a ses debuts.
Qu'est ce que tout cela signifiait, sans doute le vieil homme avait il perdu la raison , a
force de vivre dans le passe, et c'est pour ca que Lisette etait si pressee de rentrer
pour s'occuper de lui...mais pourquoi avait il dit qu'elle etait morte, quelle horreur, et
puis ou etait elle, il ne pouvait pas le lui demander sans risquer de declencher sa fureur
a nouveau...
Il pouvait l'entendre s'activer dans la cuisine, occupe a preparer le the, et mal a l'aise
il se leva et arpenta la piece quand tout a coup il tomba sur un tableau, une peinture, un
portrait mal fait, d'une jeune femme qui ressemblait etrangement .........a Lisette .....
Choque il se mit a l'etudier soigneusement et , bien que pas tres habile , le peintre
avait reussi a capturer ce petit sourire moqueur qu'elle avait arbore tout au long de leur
deux rencontres. Mais la peinture semblait tres vieille et pourtant il ressemblait a la
Lisette d'aujourd'hui....
Stupefait, il resta plante devant le cadre , ne sachant que penser, et soudain la verite
s'imposa a lui, il s'agissait sans doute de la mere de Lisette, fille du vieil homme qui
dans sa senilite, melangeait dans ses souvenirs sa fille et sa petite fille. Voila ,
c'etait bien ca, tout s'expliquait, il se sentait mieux, mais comment extirper du vieil
homme les renseignements pour retrouver Lisette, car c'etait certain , elle habitait
ailleurs, elle ne pouvait pas decemment vivre dans un tel taudis...
Tout a sa reflexion il ne l'avait pas entendu revenir, portant un petit plateau, sur
lequel etaient poses deux verres de the fumant.
--- ah je vois que vous avez retrouve ma Lisette, elle est belle non, vous voyez bien que
ce n'est pas la meme...
Ne sachant que repondre , Henri se contenta dee hocher la tete, se demandant comment il
allait pouvoir amener le pauvre homme a lui reveler l'adresse de Lisette..
--- ca fait maintenant trente ans qu'elle est partie, ma petite Lisette, partie au ciel
rejoindre sa maman et trente ans que je prie le bon Dieu de m'accorder la faveur de
pouvoir les rejoindre... mais je suis toujours la, fatigue, sans meme la force de me
rendre au cimetiere pour leur rendre visite, comme avant, je n'ai n'ai que cette maison et
ces objets pour me souvenir, je...
Disant cela, des larmes commencerent a couler sur les joues du vieil homme, et Henri se
sentit pret a pleurer egalement, tant sa douleur etait palpable et les emotions des
derniers jours aavaient fini par le fragiliser enormement. Pris d'une inspiration subite,
il se leva et dit au vieil homme la chose suivante:
--- Ecoutez monsieur, je ne sais pas quoi dire devant cette situation, vous avez ete tres
gentil dans les circonstances de m'inviter chez vous, et me raconter des choses aussi
intimes. Puis je vous proposer de vous conduire au cimetiere, je peux sans probleme louer
une caleche a deux pas d'ici, et si vous pouvez etre pret dans quelques minutes, je vous y
emmenerai volontiers, s'il vous plait acceptez, c'est le minimum que je puisse faire.
Tout en prononcant ces paroles, Henri s'en voulut terriblement car il savait bien au fond
de lui que c'etait plus par interet que par charite qu'il avait fait cette proposition.
Peut etre que confronte a la realite, le vieillard aurait alors un eclair de lucidite et
realiserait que c'etait sa fille, la mere de Lisette qui etait enterree et non pas Lisette
elle meme ...en tous cas il n'avait rien a perdre, et de toutes facons il ferait une
mistva en le conduisant au cimetiere
Le vieil homme s'empressa d'accepter la proposition, et une heure plus tard, le plus jeune
soutenant le plus age, ils arpentaient les allees du cimetiere, se dirigeant vers
l'endroit ou le vieillard pretendait que sa fille reposait et bientot ils s'arreterent
devant une tombe, qui portait cette inscription :
A ma fille bien aimee Lisette, 1856 - 1880
arrachee a mon affection le jour de ses 24 ans
et pose pres de la tombe, Henri vit, comme dans un cauchemar, ....son chandail
turquoise.....
Patrick Kessis fitifer@aol.com
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