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Les feuilles des ficus, jaunies et craquantes, jonchaient les caniveaux et
formaient un long tapis éphémère sur le macadam gris-noir de la chaussée goulettoise.
Une légère brise matinale les soulevait en tourbillons. Latmosphère était
emprunte par cette odeur de terre et de sel marin, propre à toutes les villes
en bordure de la Méditerranée et très caractéristique aux nez des goulettois.
Lété indien achevait la fin de lautre.
Les rayons du soleil séchinaient à traverser les premiers nuages
moutonneux de ce nouvel automne. Les mouettes sen donnaient à coeur
joie sur la plage déserte a présent rendu aux insectes. La mer, en pareille période,
soulevait ses enfants rageurs et écumeux pour les fracasser au pieds des murs
de béton des maisons milles fois rongées par le sel marin .
Tout était calme en ce matin de Septembre....Kippour est passè depuis quelques jours...
Rita ,comme à son habitude ,vêtue dun chandail vert déboutonné et dune
robe légère à fleurs sans boutons laissant apparaître sa combinaison et, chaussée
dune paire de mules, .....arpentait les rues et ruelles de la ville encore endormie
à cette heure matinale.
Elle était enceinte .....son gros ventre nallait pas tarder à vomir
sa première progéniture.
On la surnommée Rita de Panama....allez savoir pourquoi......peut être parce que
Panama, que je ne connais pas, est un beau pays..?.
Très belle..?..... Rita létait...Ses yeux bleus logeaient dans un visage de
Madone. Ses cheveux lisses, très noirs, pareils à une longue queue de cheval, ondulaient
sous sa démarche féline. A 20 ans, Rita était la coqueluche des hommes .....qui se
retournaient sur son passage.....elle était très attirante ....bien quun peu
dérangée...... un membre de sa famille était interné à lhôpital des fous de la
Manouba (centre hospitalier pour les aliénés mentaux). Elle portait donc en elle un sage
grain de folie. Cet handicap ne lempêchait nullement de se faire accepter dans les
bals par les jeunes gens dénués darriéres- pensées.
Rita se retrouva seule vers les 23 ans, suite aux décès de ses parents. Orpheline donc
.....seule contre tous.....contre toute la terre ......contre la société .....contre les
yeux concupiscents et avinés des hommes qui désiraient profiter de létat de sa
petite maladie. Ils ne voyaient en elle quun corps sans esprit. Alors La
Panama fuyait les souvenirs de sa maison.....les hommes malsains......elle rentrait
tard, se levait tôt pour oublier sa morosité....son sort qui ne la pas
gâtée.....sa vie décorchée. Elle était dune grande sagesse....parlait
naïvement. Ses paroles
puériles faisaient rire souvent ses pseudo amis. Douce comme je ne vous le
dis
pas......, mélancolique comme je ne vous le raconte pas. Un bout de chair me diriez
vous...? non.....une jeune fille vierge que la nature et le destin se sont unis pour ne
pas la choyer. Une nature et un destin qui sunissent pour se foutredes
êtres humains. Rita dans sa tête, se sentait bien ....alors lavis des autres ne
leffleurait même pas...
Roger ,le fils de René Z........,célibataire et réparateur dappareils ménagers
à domicile vivait avec ses parents. Ne trouvant pas de femme, il jeta son dévolu sur
lhandicapée et demanda sa main à .....personne. Rita, la simple desprit
..acquièsca ...sans se poser de questions....et dailleurs ont- ils des questions et
des réponses les débiles....? Ils se marièrent en privé...en famille et élirent
domicile dans la famille du garçon. Les gens lont su par hasard ...au détour
dun chemin.....dans un wagon de train.....autour dun café au Rex.
Ni bans...ni fête. On a ri à lunion.
Les mois passèrent et Roger était plus absorbé à trifouiller les ventres creux des
télés et frigos que le bas ventre de sa femme. Rita nétait pas à laise
chez ses beaux- parents....alors elle sen est retournée dans la rue ....tard le
soir.....tôt le matin. Sans grandes illusions. Son mal empirait de plus en plus. Les
années passaient sans retenue.
De la belle Rita ....il ne restait quun visage fané.....sans fard....une robe
rapiécée......et pas de mules. Lécho de sa voix résonnait dans lair quand
elle parlait seule. Les goulettois saperçurent de son état de grand délabrement
.....que pouvait-ils donc faire à présent quelle était mariée....
Et dailleurs quont tils fait lorsque La Panama était jeune
fille..?
Rien. La pitié.......? cette vertu ou sentiment ..quon offre gratuitement aux gens
lègers avec un soupir lancinant .... n a aucune valeur pour ceux qui la
reçoivent. Elle ne peut que sentendre... et puis Rita nen connaissait même
pas le sens.
5 ans ont passé depuis son mariage bidon. Par un heureux concours de
circonstances, Rita se retrouva enceinte. Les têtes bien pensantes, les génies de cette
époque ont vite déduit que sa grossesse était loeuvre dun inconnu.....Un
bâtard vivrait donc dans son ventre...?
La choun ara , la médisance allait bon train...mais Rita ....la pauvre Rita
de Panama, complètement dérangée, se moquait bien de ces ragots.....des méchantes
langues ciguées. Comment défendre sa vertu quand on est seule....malade et
sans arguments.......contre la meute...... cette horde de loups aux yeux et pensées
pleins de cancans scabreux.
Rita était enceinte de son mari qui trouva le temps, entre deux boulons à serrer, à
introduire son bout de chair rigide et graisseux dans le bas ventre de
lhandicapée.......sa bien aimée.
Rita ignorant sa grossesse .......comme elle ignorait tout lunivers...ne prenait
aucune précaution. Elle disait quelle avait pris du poids...tout simplement.
Ce que je viens de narrer, à présent, contient une grande part de vérité.....ce que je
raconte ici bas ......est la vérité....tout nue et crue.
Rita au neuvième mois ....à ressenti les premières douleurs .....vers les 5 heures du
matin, à laube de cet automne naissant .....la belle Rita .....ladmirable
Rita .......la magnifique fille aux tristes yeux bleus .....comme une chatte de gouttière
sest assise à même le sol, dos contre le mur, sous ma fenêtre, à quelques
mètres de mon lit, et avec un courage inouï....ni cris ....ni gémissements....sans
drap.....sans personne.....avec laide de D.ieu et de tous les anges de la terre et
du ciel qui lassistaient.....loin du monde sourd et de la nature aveugle .....les
jambes écartées .....Rita .....lancienne belle Rita de Panama.....la
folle poussa....poussa......et mit au
monde aux premiers rayons du soleil émergeants, un bébé....un garçon.....relié avec
son cordon......plein de sang.....mort sur le champ, sa tête ayant cogné le maudit
goudron noir.......AHHHH....mes fréres et soeurs.
Une ambulance la releva et la conduisit à lhôpital .
Quelques jours plus tard, elle réapparaissait dans la rue .....
Vous navez pas vu mon bébé....mon fils.....
Quelle disait à son entourage, à tout le monde dans la rue ,en berçant une
poupée de chiffon.
Ne vous émouvez pas mesdames....cest le témoignage que je vous narre avec beaucoup
de peine. Je me suis senti, alors que jignorais complétement le drame qui se jouait
à 3 mètres de mon lit, rempli dune tristesse incommensurable. Je dormais.
Des Rita avec ou sans Panama......vivent en grande quantité à travers le
monde ......elles foisonnent sur cette terre avec leur mille chagrins, en
silence.....parfois pas très loin de chez nous......prés de nos portes closes.
Albert Simeoni
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