Sami
A. Aldeeb Abu-Sahlieh: Circoncision masculine, circoncision féminine: débat
religieux, médical, social et juridique. Edité
par L'Harmattan, Paris, 2001, 537 pages. Prix:
290 Francs français ISBN: 2-7475-0445-X Table des matières dans:
http://members.nbci.com/nonviolence/Sami/articles/livre.htm Interview réalisé par
le Journal Le Courrier (Genève) Juriste à l’Institut de droit comparé de Lausanne, Sami Aldeeb, chrétien d’origine palestinienne, est spécialiste en droit arabe et musulman. Il a mené, durant plus de sept ans, une recherche sur la circoncision masculine et féminine et vient de publier un gros livre intitulé: «Circoncision masculine, circoncision féminine, débat religieux, médical, social et juridique»1. En préambule, il note quatre niveaux de gravité pour la circoncision féminine: amputation du capuchon, amputation du capuchon et du clitoris, amputation de ces deux organes et des petites lèvres, et enfin l'amputation des trois organes et fermeture du vagin ne laissant qu'un petit trou pour la sortie de l'urine et du sang menstruel. Cette dernière, appelée infibulation, ne concerne qu'entre 15 et 20% des femmes circoncises. La circoncision féminine dans les quatre niveaux est pratiquée annuellement sur environ deux millions de femmes, principalement africaines et musulmanes. Au 19ème et 20ème siècles des occidentaux, notamment aux États-Unis, ont aussi pratiqué la circoncision féminine pour lutter contre la masturbation, l'hystérie, l'hypersexualité, etc. Et aujourd'hui des femmes blanches se font circoncire en coupant le capuchon pour augmenter le plaisir sexuel!! La circoncision masculine connaît aussi quatre niveaux de gravité: amputation de la partie saillante du prépuce, amputation du prépuce et de sa doublure (pratiquée chez les juifs), écorchement de toute la peau du pénis (pratiqué par certaines tribus d'Afrique et d'Arabie), et enfin l'ouverture de l'urètre pour fabriquer à l'homme une sorte de vagin. Cette dernière, appelée subincision, n'est pratiquée que parmi les aborigènes d'Australie. La circoncision masculine dans les quatre niveaux est pratiquée annuellement sur environ treize millions d'enfants, principalement musulmans et juifs. Des chrétiens aussi pratiquent la circoncision masculine comme c'est le cas en Égypte, en Éthiopie et aux États-Unis. Dans ce dernier pays, environ 60% des enfants mâles sont circoncis pour différentes raisons aussi loufoques les unes que les autres: la lutte contre la masturbation, l'épilepsie et les infections urinaires, la prévention du cancer, et dernièrement la prévention contre le sida!! En Suisse, environ 5% des enfants mâles sont circoncis, souvent sans raison médicale sérieuse. Le Courrier: Pourquoi avez-vous traité de la circoncision masculine conjointement avec la circoncision féminine? Sami Aldeeb: Mon livre traite des deux circoncisions en comparant entre les désavantages et les prétendus avantages et raisons de ces deux pratiques. Et si je parle aussi de la circoncision masculine, c'est parce qu'on l'oublie souvent. Les organisations internationales et les pays Occidentaux, où bon nombre de garçons sont circoncis, ont choisi de lutter uniquement contre la circoncision féminine par impérialisme culturel parce que cette pratique n'est répandue qu'en Afrique. Or, on ne peut pas dire: «Nos normes sont meilleures que les vôtres». Ceux qui pratiquent la circoncision féminine rappellent qu’elle fait partie de leurs traditions, voire de leurs croyances religieuses, au même titre que la circoncision masculine chez les juifs et les musulmans. Il faut savoir, par exemple, qu’une femme non-circoncise ne peut pas se marier dans certaines régions. Pour moi, il n’est possible de lutter efficacement contre la circoncision féminine qu’en luttant aussi contre la circoncision masculine. Culturellement, les deux pratiques ont le même sens: purifier l’enfant. Et la question est la même: a-t-on le droit d’intenter à l’intégrité physique d’une personne? Les deux pratiques sont donc condamnables et doivent être condamnées, à moins d'avoir une raison médicale valable… ce qui est très rare. Le Courrier: Vous ne pouvez toutefois pas nier que la circoncision féminine a des conséquences physiques et physiologiques plus graves que la circoncision masculine? Sami Aldeeb: On ne peut pas simplifier comme cela. Tout dépend de quel niveau on parle. Ainsi les troisième et quatrième niveaux de circoncision masculine sont beaucoup plus graves que les deux premiers niveaux de circoncision féminine. Mais je le répète, je suis contre toute forme d’amputation. Le Courrier: Je me permets d’insister sur ce point, car, dans les faits, la circoncision féminine met souvent en danger la vie des jeunes filles et des femmes lors de l’accouchement, sans compter qu’elle diminue considérablement, voire totalement, le plaisir sexuel, ce qui n’est pas le cas de la majorité des circoncisions masculines. Sami Aldeeb: Toute généralisation dans ce domaine est fausse. La circoncision masculine diminue, elle aussi, le plaisir. Les auteurs juifs classiques comme Philon ou Maïmonides ainsi que Thomas d’Aquin et des auteurs musulmans classiques affirment que son but est de réduire le plaisir sexuel. Des hommes circoncis aux États-Unis et en Europe recourent actuellement à la restauration du prépuce pour avoir plus de plaisir sexuel. De plus, la circoncision masculine comporte des dangers pour la santé allant de l'hémorragie plus ou moins grave jusqu'à la mort dans certains cas. Il est même arrivé que des garçons ont dû être transformés en filles parce que leur circoncision a mal tourné. La circoncision masculine peut aussi avoir des conséquences psychologiques. Certains disent qu’elle pousse à la violence. D'autre part, comme je l'ai dit plus haut, certaines femmes occidentales recourent à la circoncision féminine pour augmenter leur plaisir sexuel. Le Courrier: Comment se fait-il que très peu d’organisme lutte contre la circoncision masculine? Sami Aldeeb: A travers mes recherches, j’ai découvert que le silence des gens est dicté par des positions politiques. Ils se taisent par peur d’être accusés d’antisémitisme ou d'anti-islam. Mais est-ce la faute de ces enfants d’être nés juifs ou musulmans? De plus, la circoncision masculine est inscrite dans la Bible. Il y a une certaine peur de contredire cette importante norme religieuse. Les tabous religieux sont les plus tenaces dans la société. Le Courrier: Pourtant, la circoncision masculine est pratiquée par différents groupes religieux? Sami Aldeeb: En effet, en plus des juifs et des musulmans, certains chrétiens prennent encore la Bible à la lettre et circoncisent leurs enfants. Ainsi, en plus des raisons pseudo-médicales, des fondamentalistes chrétiens aux États-Unis se réfèrent à la Bible: "Ce qui est bon pour le peuple de Dieu est bon pour l'humanité". On oublie cependant que la Bible prévoit aussi la lapidation pour adultère, la loi du talion, l'exclusion des femmes de la succession, la mise à mort de celui qui travaille le samedi, et j'en passe. Le Courrier: Par quels moyens pensez-vous pouvoir lutter contre la circoncision masculine et féminine? Sami Aldeeb: La pratique de la circoncision masculine et féminine est avant tout fondée sur des arguments religieux. De ce fait, il faut toujours commencer par voir ce que disent les normes religieuses. La circoncision masculine est obligatoire pour les juifs en tant que signe d'alliance entre Dieu et le peuple juif. Le chapitre 17 du livre de la Genèse a ordonné à Abraham de se faire circoncire et de circoncire ses enfants et esclaves mâles. Il faut pourtant se souvenir que le patriarche avait 99 ans au moment de sa circoncision!! Certains courants juifs, qui luttent contre la circoncision masculine, remplacent cette pratique par une simple cérémonie religieuse identique pour les filles et les garçons, estimant que l'amputation du prépuce du garçon est contraire au commandement: "Tu ne voleras pas". En ce qui concerne les musulmans, le Coran ne dit rien de la circoncision masculine et les récits de Mahomet à ce sujet sont contradictoires et peu fiables. On ne sait d'ailleurs pas si Mahomet lui-même a été circoncis. Quant aux chrétiens, le Nouveau Testament a aboli l'obligation de la circoncision et St. Thomas va jusqu'à considérer la circoncision par les chrétiens comme un péché mortel. En ce qui concerne la circoncision féminine, elle n’est mentionnée dans aucun texte religieux juif, chrétien ou musulman, si on excepte certains récits de Mahomet peu fiables. Le Courrier: Une lutte contre la circoncision masculine et féminine ne peut toutefois pas s’appuyer que sur des arguments religieux? Sami Aldeeb: Si vous parlez avec des gens religieux, l’argument médical ne porte pas. Il faut entrer dans le même système de raisonnement qu’eux et démanteler leur argument religieux. Sans cela, toute discussion se bloque. Mais si en plus vous traitez avec des médecins, des infirmiers, des sociologues ou des juristes, vous devez aussi discuter avec eux selon leurs propres arguments. Chaque interlocuteur doit être abordé selon son bagage culturel et intellectuel. Pour cette raison, la lutte contre la circoncision masculine et féminine doit être multidisciplinaire. C'est ce que j'ai fait dans mon livre en abordant aussi bien le débat religieux, que médical, social et juridique.
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