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Comment nous avons été sauvés
à temps du machiavelisme de la gestapo...(sans majuscule)
Juin 1942: les allemands occupent Mahdia par mer, terre, et air. Nos étoiles
jaunes etaient pretes pour les recevoir. C'était donc l'occasion ou jamais
de les inaugurer. Les allemands accompagnés de collabarateurs français, dans
leurs jeeps, ont vite fait le tour de la ville pour repérer toutes les
belles maisons juives, toutes requisitionnées dans les 24 heures.
Les boches sont venus frapper a notre porte pour nous dire que nous devions
quitter les lieux illico et que desormais notre maison devenait propriété de
la gestapo. Ils en ont fait une caserne de 200 soldats, loges et nourris.
Alors que nous nous dirigeions vers le bureau de mon père nous le croisons
en chemin car lui aussi avait été expulsé pratiquement a la même heure que
nous. Sans hesitation mon père dit: il ne nous reste plus qu'à aller à
l'huilerie s'assurer qu'ils ne l'ont pas réquisitionnée egalement; Nous
pourrons y rester le temps que cela durera, ce sera autant de gagné.
L'huilerie se trouvait à deux kilomètres de la ville. Nous l'avions trouvee
libre et tout de suite avions formé des lits de fortune avec des piles et
des piles de......... scourtins.
Le lendemain matin mon père "ce heros au sourire si doux", (honest)...
retourne chez nous pour découvrir la maison encore non occupee. Ayant les
cles, il prend le risque d'y entrer et d'emballer vêtements, draps,
couvertures, vaisselle, sans oublier surtout...coucoussier, KHARBAL (tamis)
et TBAAK ( plateau immense)....C'etait un jeudi matin. Je ne me souviens pas
exactement comment, mais vendredi soir nous avions notre très fameux
couscous boulettes délicieux comme a l'accoutumée.
Par la suite, cinq autres familles apparentées sont venues nous rejoindre.
Les gosses etaient nombreux. Défense absolue par nos parents de mettre le
nez dehors. Les journées passaient vite grâce à l'imagination de notre jeune
âge. J'avais onze ans a l'époque. Par contre les nuits étaient de vrais
cauchemars. Les patrouilles allemandes savaient pertinemment ou il y avait
des Juifs calfeutrés. Ils a'rrêtaient donc sous nos fenêtres et des heures
durant piétinaient avec claquements de bottes. Ce bruit était terrifiant. Il
m'a poursuivie des années entières. Il résonne encore dans mes oreilles
quand j'y pense.
D'autre part, une autre des maisons réquisitionnées a servi de lieu de
plaisir pour la kommandatur. Ils avaient pris à demeure avec eux, huit
jeunes filles Juives comme compagnes.....de lit. Par la suite, deux d'entre
elles se sont suicidées, les autres ont survécu tant bien que mal.
Un ami à mon père, Si Khaled Abdelwahab (pas le chanteur) son père, Si
Hassen Abdelwahab était ministre de la plume du temps du règne Beylical,
allait souvent dans cette maison pour réconforter ces filles et les supplier
de tenir le coup. Il aimait être bien avec tous les milieux pour savoir ce
qui se mijotait et sauver la partie concernée. Tous les soirs donc, il
visitait cette maison et occupait tous les officiers nazis avec les vins les
meilleurs, des diners somptueux prépares par son cuisinier jusqu'a
"saoulographie" totale, non sans avoir auparavant soutire d'eux tous les
renseignements désirés. Il ne les quittait que lorsque ils étaient tous
ivres morts et disait aux filles d'aller se coucher tranquillement, que rien
ne leur arriverait cette nuit là.
Un soir alors qu'il avait bien sympathisé avec le commandant, ce dernier lui
demande son avis sur une femme découverte par ses sources et spécifie qu'il
comptait la faire venir le lendemain pour ses besoins personnels. Très
intrigué, Si Khaled pose des questions pour découvrir avec stupeur qu'il
s'agissait de ma mère. Il avoue ne pas connaître cette dame. Apres s'être
assuré de l'orgie générale, il arrive à l'huilerie ou nous etions, il etait
quatre heures du matin. Après avoir expliqué les faits à mes parents, il
décide de nous prendre sur le champ dans sa propriété merveilleuse, située à
30 kilomètres de Mahdia, un ranch de toute beauté, conçu sur un modèle
americain.
Pour plus de sécurité Si Khaled s'était fait faire un laissez-passer de la
kommandatur. (on n'est jamais si bien servi que par soi-même)....Sur le
champ, nous voilà donc partis pour Tlelsa un tout petit, tout petit village
à neuf kilomètres d'El Djem (le très fameux amphithéâtre). Il a fait la
navette six fois pour faire en sorte que toutes les autres familles nous
rejoignent et s'assurer qu'elles ne soient pas torturées ou questionnées. Le
comique malgré le drame, est que chaque famille n'a pas oublie d'emballer
avant tout son couscoussier et accompagnements....
Si Khaled a poussé son hospitalité jusqu'à nous faire venir le rabbin tous
les jeudis pour que nous puissions manger cacher et ne pas manquer notre
couscous boulettes, tefina, etc....Nous avons été ses invités jusqu'en avril
1943, juste a temps pour célebrer Pessah à la maison.
Voilà une seule personne, un Musulman qui, au risque de sa vie, a sauve six
familles juives, qui a fait tout ce qui était humainement possible pour
épargner au moins les nuits a ces jeunes fille juives, qui ne s'est jamais
vanté de rien, qui est resté dans l'ombre sans rien revendiquer......Oui, il
y avait une seule chose, tous les vendredis soirs il sentait les arômes de
notre couscous boulettes....il savait que son couvert était toujours mis à
table, il s'amenait sans se faire annoncer; il savait que nous l'attendions.
Comme disait mon père, "Nul n'egal en faste, le faste de l'Oriental grand
Seigneur)
Si Khaled est mort quelques années après. ALLAH IRAHMOU !!!!
C'est en sa mémoire que je dédie mon récit d'aujourd'hui.
Le prochain episode sera dédié a mon professeur Si Djilani Sfar.
Annie Boukhris
Hannah4b@aol.com
Histoire publiee le 7
novembre 2001
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