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CETTE SMALAH, MON AIMEE- Roman 3
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La Tunisie, j'en ai de vagues souvenirs, des brides d'histoires, pour moitié racontées
par Maman, mes tantes, Mémé Smadja , ou un autre ; de ce pays qui abrita mes ancêtres,
je n'ai en fait que des photographies en noir et blanc sur lesquelles on ne peut remarquer
ni la couleur bleu du ciel, ni l'éblouissant soleil, mais qu'on y voit les gens en
maillot de bain, le blanc de la chaux des maisons qui se détache encore malgré le
jaunissement du papier photographique, les vêtements autochtones et surtout les chameaux.
De ces animaux étranges du désert, que de récits j'ai inventés ! Maladroits, et
répugnants, c'est l'impression qu'ils donnent parce qu'ils semblent toujours mâcher
quelque chose, avec leur mâchoires qui se décrochent d'un côté à l'autre, ruminant et
bavant, montés sur des membres en disproportion trop longs et trop fins, bossus, ils font
la fierté des gens du pays. J'ai une photographie sur laquelle on reconnaît un petit
garçon sur le dos d'un chameau, c'est mon jeune frère Jacquy que tient mon Papa pendant
que le chameau de la Marsa, retenu au puit par une longe, tourne avec indifférence. Ce
lieu, je l'ai entendu citer plus d'une fois, un peu tel qu'on le fait lorsqu'on rappelle
les souvenirs de vacances en France. Il fallait, pour s'y rendre, emprunter une automobile
; Papa qui était "moderne" posséda très tôt toutes sortes d'engins à
moteur, facilitant les déplacements ; il invitait donc parents et amis à utiliser sa
voiture et à se joindre à l'expédition d'un jour. C'est de ces sorties très agitées,
et insouciantes que j'ai gardé le goût des déplacements inopinés.
Avant de raconter certaines anecdotes que la famille a vécu lorsqu'elle était en
congés, il faut que je précise certains faits ; et le premier est d'une importance
capitale puisque j'ai noté par erreur que mes grands-parents ont eu huit enfants alors
qu'en réalité il y a huit filles et un fils, Gégé qui s'éteignit dans des conditions
terribles à l'âge de quarante-huit ans.
Mes tantes je les ai toujours adorées, admirées, autant que ma propre mère parce
qu'elles sont indissociables, elles forment un tout uni et désuni à la fois, elles ont
toujours cru en la vie, elles nous ont communiqué tous leurs goûts, toute leur
sensibilité.
Ma tante Mireille et Maman ont connu amour et mariage bien avant les autres, plus jeunes.
Ainsi, Humbert et Brigitte, mes cousins, et moi avons eu la chance de devenir les
préférés de cette équipe féminine qui nous trouvaient très beaux, mais la chose
était si spontanée et si subjective que je n'ai pas le droit de dire combien nous
l'étions en vérité. A la différence de mes parents moins à cheval sur les manières
d'élever un enfant, Tata Mireille et son mari Tonton Mitchou ne concevaient pas que l'on désorganise Humbert puis Brigitte et montraient plus de
restrictions lorsqu'elles accouraient et se disputaient la chance de les enlacer ou
celle de les promener ; il fallaient qu'elles attendent leur réveil, la fin d'un goûter
ou autre ; il ne restait donc que moi et Maman me "prêtait" volontiers à ses
surs. J'ai des souvenirs indélébiles de ces promenades, avec ma tante Claudette et
son futur mari, Tonton Jo, qui m'achetait du chocolat dont je me gavais, et que j'appelais
Tonton Chou ; avec ma tante Gaby et son futur époux, Tonton Freddy qui jouait le
photographe et dont j'étais le modèle à mon avis un peu trop gâté ; avec toutes
celles qui étaient encore jeunes filles et qui voulaient bien s'encombrer de la poupée
que j'étais pour elles. Les plus jeunes de mes tantes, Monette et Arlette, m'ont
pratiquement élevée, elles dormaient chez mes parents et s'occupaient de moi de jour
comme de nuit et il faut avouer que l'on reste très lié aux nounous qui ont été comme
une seconde mère et plus encore puisque les miennes étaient les propre surs de
Maman. Et chose extraordinaire, plusieurs années plus tard, en France, elles se sont mariées et ont eu chacune une première
fille, c'est moi qui chaque vacance, chaque week-end, ai pris le train pour devenir la
nounou de Nadine, la fille de Monette et Jacques, et de Sarah, la fille d'Arlette et
Bébert, lui aussi tunisien.
Humbert et Brigitte puis moi nous avons donc passé quelques années auprès de mon
Grand-père encore vivant, il fut pour sa couvée un Prince, le prince Noël Smadja ! Haut
de forme et cape de soie doublée de rouge, canne au pommeau doré, il fut le Maurice
Chevalier de La Goulette, celui qui avait le mot juste et qui ne montrait jamais ni
hypocrisie, ni déloyauté envers son prochain. Sa famille comptait des juges rabbiniques
et des rabbins, il fut l'intrus qui refusa ce genre de vie, il épousa ma grand-mère,
fonda sa propre famille et fut pauvre mais fier de ne devoir rien à quiconque. Maman
raconte comment ils se partageaient la tablette de chocolat noir au dessert : "
Un carreau chacun, disait Pépé Noël, - Merci, Papa, répondaient-ils en
chur ; - Qui veut un sou en échange de son morceau ? Un sou pour acheter un bonbon
? Disait-il ; - Moi! -Moi! -Moi! Moi! -
, criaient les enfants en tendant le
minuscule dessert". C'était là leur vie autour de ce père sérieux et néanmoins
plaisant, qui racontait des histoires et des blagues et qui adopta tous les gendres qu'il
y eut de son vivant. Mes cousins et moi avons été imprégnés de la force et du respect
de notre Pépé Noël, de son attitude princière devant la misère et la maladie, nous
avons sauté sur ses genoux et nous avons eu la grâce de manger à ses côtés ; j'ai le
souvenir de l'avoir connu qui se manifeste en ma mémoire comme un instinct pour toutes
les choses qui le concernait, j'ai aussi le souvenir de cette rupture subite et
douloureuse à sa mort ; c'est Maman, qui pour se guérir de la perte de ce père qu'elle
aimait plus que tout, a entretenu son souvenir en l'imprégnant en notre mémoire
encore aujourd'hui nous lui disons "Maman, raconte" pour faire renaître notre
fabuleux Pépé Noël. Il fut un vendeur de chaussures dans un grand magasin de luxe, mais
son salaire ne suffisait pas, alors il se priva de toute sortie, de toute fantaisie ;
peut-être en son cur amoureux, il n'y eut qu'un seul regret : il priva sa frêle
épouse du cinéma ou autre divertissement et réduit leur sortie à une chaise qu'il
mettait devant sa porte et qui attirait petits et grands autour de lui. Mémé Ginie,
toujours enceinte ou allaitant, ne s'en plaignit jamais, je crois, elle avait ses enfants
et ils lui remplissaient bien sa vie ! Ginie enceinte donnait à Noël l'espoir de voir
naître un fils, il n'y eu qu'un seul, Gégé ! Et Noël dut à chaque fois se contenter
d'une nouvelle fille ! Heureusement qu'elles étaient chaque fois plus belles et plus
charmantes, cela lui mettait un peu de baume au cur. Maman parle souvent d'une cour
attachée à leur maison, j'imagine l'agitation et les voix aiguës qui s'échappaient
au-dessus du mur.
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