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"Le
ciel est par dessus le toit si bleu, si calme, un arbre par dessus le toit
berce sa palme.
Mon D.mon D. la vie est la si simple et tranquille, cette paisible rumeur la
vient de la ville".....
Ce matin ces quelques vers de Verlaine ne cessent de danser dans mon
esprit....
Pourquoi Verlaine, Pourquoi aujourd'hui précisément ? Allez savoir .....
A ces quelques vers, des images se sont surexposées :
Par une belle matinée de Septembre, mon frère ,ma sœur et moi qui montons
dans un avion pour la toute première fois de notre vie !......
Un bel avion blanc sigle de lettres rouges "TUNIS AIR" tracées en Français
et en Arabe.
La vision de mon frère le bras en écharpe, qui nous guidait comme il le
pouvait, s'est encore mieux fixée dans ma mémoire.
Mon esprit et ma mémoire qui depuis ce matin vagabondent vers cette terre de
Tunisie quittée à tout jamais en Septembre 1968.
Ces images de la "terre perdue" qui me reviennent au rythme des vers de
Verlaine ,
un des poètes que l'on me demanda d'apprendre par cœur dans ma toute
première école Française......
Aujourd'hui loin de Tunis et même loin de Paris ,je me souviens;
plus de quarante années se sont écoulées et je me souviens de tout ou
presque tout.
Les pleurs de nos parents à notre arrivée à l'aéroport d'Orly, aux buttes
Chaumont l'appartement flambant neuf avec ...ascenseur,(une vraie
révolution!), le petit et si triste magasin de papa rue saint Maur, sa
dignité d'accepter sans jamais broncher, sa nouvelle et difficile situation
,
la dépression de maman, la révolte de ma sœur et sa fugue vers son "cher
Tunis", mes parents fous d'inquiétude pour elle , mon frère sérieux comme un
pape qui étouffait ses larmes d'avoir perdu ses repères et ses copains de la
Cite Boulakia.
Et puis le temps qui passe et fait son œuvre... maman et ma sœur qui
désormais sont comme "des poissons dans l'eau" a Paris ,la courageuse
intégration de mon frère; à Belleville le nouveau et si beau magasin de
papa, qu’il avait réussi a faire devenir le rendez vous du" Tout Paris Juif
Tunisien" et puis enfin, moi ,petite peste qui avait effacé à tout jamais
Tunis de sa tète, moi qui mettais un point d'honneur à rabrouer mes parents
lorsqu'ils s'aventuraient à me parler en judéo - arabe.
Moi qui ne jurais que par la France, ses auteurs et ses philosophes, sa
liberté et sa démocratie.
Moi qui d'un revers de mémoire, en toute ingratitude avais presque rayé la
Tunisie de la carte du Monde !!!!!
Et puis est arrivé ce jour de Mai 1994.
Ayant capitulé face aux assauts répétés d'une de mes amies,
j'ai repris un bel avion blanc, sigle de lettres rouges, mais cette fois
dans le sens :Paris -Tunis.
Le vol fut très rapide et s'est posé tout en douceur sur le sol Tunisien,
pourtant à peine débarquée il ne m'a pas fallu plus de deux ou trois minutes
pour littéralement fondre en larmes .... Tunis , j'étais a Tunis!
Cette terre tunisienne qui m'avait vue naitre 32 ans plus tôt, me tendait
chaleureusement les bras, a moi la française , la renégate, moi la "super
intégrée"!
Moi l’arrogante, la carriériste, fière de ses relations avec les people et
autres vip en tous genres, fière de tant d'argent gagné ,de ces voyages au
bout du monde avec hôtels mille fois étoilés.....
Moi la Parisienne dans toute sa splendeur......
Que s’est-il donc passe le jour de mon retour sur ma terre natale?
Tout simplement, pendant ces vingt six années j'avais oublié d'ou je venais
!
Qui j'étais réellement !
Une petite Juive Tunisienne en exil......
Depuis vingt six ans, je me prenais à tort pour une Française de France !
Je vivais dans le déni ; Celui de mes aïeuls qui ne connaissaient pas un mot
de Français, de mes grands mères qui cuisinaient la ganaouia plutôt que le
confit de canard, de mon école ou l'on chantait "Rhouia Jaco" et non "Frère
Jacques".
Tout au long de ces années, j' avais pris soin de tout effacer, même le
souvenir de Mahmouda ,ma première et unique nounou,
que j'ai aimé autant ,sinon plus que ma propre mère.
Tout effacer, pour mieux brouiller les émotions, la tristesse, le manque ?
Peut être ....
L'oubli comme une protection, un instinct de survie? Certainement....
Le déni comme un conditionnement afin de ne pas souffrir ? Également.....
Mais à quoi étais je arrivée après ces années d'oubli et de reniement?
A me perdre moi même : j’en suis sure aujourd’hui, je l’affirme avec force!
Les racines d'un être constituent son bien le plus précieux, son socle.
On se construit à partir de ses racines et de sa mémoire, on ne bâtit rien à
partir de cendres et d'oubli.
Petite fille traumatisée à qui l'on n'avait rien expliqué, ni le départ, ni
l'arrivée,
j'avais intuitivement et solitairement combattu l'adversité de la différence
en rejetant ,en niant ,ma réelle appartenance!
Ce jour de Mai 1994, je me suis retrouvée, rencontrée, serait même plus
approprié!
Plus jamais je n'ai eu honte ni de mes origines, ni de ma famille, ce jour
la je me suis enfin sentie bien !
La simplicité et la douceur de Tunis ont soufflé un nouvel air frais sur moi
et ma personnalité.
Arrogante et fière, j'essaye de ne plus jamais l'être depuis ce jour la !
Je ne peux pas l'être, car cela ne collerait pas avec là d'où je viens !!!!
et cette terre accueillante et douce c'est à elle que je veux m'identifier
et à aucune autre!
Aujourd’hui, il me faudrait au moins 17 h d'avion pour "rentrer" à Tunis,
que m'importe ?
C'est là d'où je viens et je sais que j'y retournerai ............
Evidemment je n'y vivrais pas....... mais j'y retournerai !
Laurent
FELLOUS
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