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A propos d'un "ami" français par Elie Barnavi |
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A propos d'un "ami" français par Elie Barnavi
LE MONDE | 07.08.01 | 12h20
Je ne sais ce qui m'a le plus révolté dans cette "Lettre à un ami israélien",
signée par Pascal Boniface (Le Monde du 4 août). L'hypocrisie du titre, qui
m'a rappelé fâcheusement un méchant pamphlet publié naguère par Ibrahim
Souss ? Le ton mielleux et patelin, qui masque mal une implacable hostilité ?
L'écart entre la tonalité de ce texte et celle, brutale, d'un autre qu'il a
commis, mais destiné à la consommation interne de son parti ? Le contenu,
riche en insinuations idéologiques mais politiquement vide ? Tout cela à la
fois, sans doute.
Occupons-nous du contenu. Nous sommes dans les "principes universels",
n'est-ce pas, alors au diable l'analyse politique. Car enfin, pourquoi la
"voie de la paix proposée par Barak", au dire même de notre censeur,
a-t-elle échoué ? Pourquoi le camp de la paix israélien est-il en lambeaux ?
Comment a-t-on glissé d'un processus de paix prometteur, qui semblait toucher
à son terme, à une campagne de terreur d'une envergure sans précédent, même
dans notre malheureuse région battue depuis si longtemps par les vents mauvais
de l'intégrisme religieux ? De Camp David à Taba, quel était le partage des
responsabilités des uns et des autres dans l'échec ? Sur quoi a buté la négociation,
puisque la "création d'un Etat palestinien indépendant et viable",
qu'il appelle justement de ses vœux, ne faisait pas problème, ni pour le
gouvernement d'Israël ni pour la majorité des Israéliens ? Ne cherchez pas un
début d'explication dans le pamphlet du directeur de l'Institut des relations
internationales et stratégiques.
Il est vrai que toute analyse politique procède d'une réflexion historique.
Or, en guise de réflexion historique, on a ce beau raccourci: "Un pays
occupe, à la suite d'un conflit, des territoires, en violation des lois
internationales. Trente-quatre ans après, cette occupation se poursuit, malgré
les condamnations répétées de la communauté internationale…" Que le
conflit en question (la guerre des six jours) ait été provoqué par
l'agression de l'Egypte de Nasser, puis, malgré les suppliques du gouvernement
israélien de l'époque, de la Jordanie; que, à l'issue de ce conflit, le
gouvernement Eshkol se soit dit prêt à restituer ces territoires en échange
de la paix; que ce ne soit qu'en 1988 (la déclaration d'Alger) que l'OLP se
soit prononcée du bout des lèvres pour une solution à deux Etats; qu'enfin la
plupart des Israéliens aient accepté de renoncer à ce qui constitue après
tout le cœur de leur patrie historique, en reconnaissant par cela même le fait
national palestinien – voilà ce que les lecteurs du Monde ne risquaient pas
d'apprendre sous la plume de M.Boniface. C'est un vieux militant de la paix qui
le leur dit : derrière la présentation tronquée et tendancieuse des faits se
cache la volonté de délégitimer l'Etat d'Israël et l'idéologie nationale
qui l'a fondé.
Bien sûr, M.Boniface n'est pas seul en cause. Son pamphlet participe d'un
climat malsain, où il est devenu de bon ton de charger Israël de tous les péchés
du monde. Dans le grand cirque médiatique et compassionnel qui obscurcit le
cerveau des citoyens, pardon, des consommateurs, la violence d'Etat, fût-elle défensive,
est toujours condamnable, celle qui s'exerce contre ses ressortissants et représentants,
fût-elle expressément justifiée par une idéologie destructrice, est toujours
comprise. Voyez la caricature de Serguei dans Le Monde du 2 août. Ce n'est plus
du Plantu, c'est du Konk. Encore un effort, citoyen caricaturiste, et vous
descendrez au niveau de votre illustre devancier. Dans le même numéro, Mouna
Naïm explique longuement que les "exécutions extrajudiciaires"
constituent "une pratique contraire au droit international", notamment
à la quatrième Convention de Genève sur la protection des populations civiles
en temps de guerre et la Convention des Nations unies sur les droits civils et
politiques. Ce qu'elle ne nous dit pas, c'est par quel tour de magie des
organisations armées vouées explicitement à la destruction d'un membre
souverain des mêmes Nations unies, et qui le prouvent tous les jours, relèvent
desdites conventions.
Pourtant, dans le même numéro de son journal elle a dû lire une brève présentation
du Hamas ("Une organisation islamique à la fois “sociale” et
militaire"), où est cité cet article fondamental de sa charte :
"Tout juif est une cible et doit être tué." Quel sens a dès lors
l'expression "exécutions extrajudiciaires" ? De quel appareil
judiciaire parle-t-on ? Les fous de Dieu viennent des territoires sous contrôle
de l'appareil d'Etat palestinien qui, lorsqu'il ne les encourage pas, ne fait
rien pour les arrêter. Dès lors, s'ils parviennent à franchir la ligne verte,
seule la chance peut encore les arrêter. Cela arrive parfois, comme l'autre
jour à Beth Sh'ean, où la vigilance d'un chauffeur d'autobus a évité un
carnage. Mais quel gouvernement responsable compte sur la chance pour protéger
ses ressortissants ?
Début juin, si l'on avait intercepté chez lui l'énergumène qui s'est fait
sauter à la discothèque de Tel-Aviv, on aurait épargné vingt et une jeunes
vies innocentes. Bien sûr, la communauté internationale aurait crié au
scandale. Qu'est-ce qui est préférable ? On a parfaitement le droit de
discuter la politique du gouvernement israélien, la presse et l'opinion israéliennes
ne s'en privent pas; on n'a pas le droit de ne pas présenter à l'opinion
toutes les facettes d'un problème d'une effarante et douloureuse complexité.
Il ne faut pas confondre critique et dénigrement.
Mais revenons à notre stratège. M.Boniface ne se contente pas de condamner
Israël. Il s'en prend à la communauté juive de France, en la menaçant,
excusez du peu, d'"isolement" pour prix de son soutien à Israël.
Suivons son raisonnement : Israël conduit une politique criminelle, à laquelle
seuls le souvenir de la Shoah et le soutien sans nuance de la communauté juive
de ce pays assurent l'"impunité".
Mais que les juifs y prennent garde, ils risquent de se trouver doublement
perdants : d'abord, en radicalisant plus outre les islamistes, ensuite, "à
moyen terme", en perdant la bataille de l'influence politique au profit de
la communauté musulmane, après avoir déjà perdu la bataille démographique,
enfin, en alimentant un antisémitisme qui ne demande qu'à relever la tête.
Ainsi, la communauté juive n'est plus un agrégat d'individus citoyens français
dont le combat contre le préjugé antisémite doit être l'affaire de
l'ensemble de la communauté nationale, quelles que soient par ailleurs les
affinités religieuses et idéologiques de ses membres. La voici redevenue
"nation" au sens prérévolutionnaire, qui ferait bien de faire le dos
rond afin de ne pas réveiller les vieux démons. Voilà ce qu'on lit en 2001
sous la plume d'un responsable socialiste français.
Encore les lecteurs du Monde ne disposent-ils ici, on l'a vu, que d'une mouture
édulcorée des véritables opinions de M.Boniface. Dans un mémorandum à
consommation interne du PS, notre homme ne croyait pas nécessaire de prendre
des précautions oratoires. Là, en conclusion d'un franc et haineux libelle
anti-israélien, à la limite de l'antisémitisme, il invitait ses camarades de
parti à abandonner leurs sympathies sionistes traditionnelles et à s'intéresser
de plus près au vote arabe. Voilà qui avait au moins l'avantage de la
franchise.
Que M.Boniface nous épargne son "amitié", car, avec des amis
pareils, qui a besoin d'ennemis ? Mais aussi, camarades socialistes, avec des
"stratèges" pareils, qui a besoin d'adversaires politiques?
Elie Barnavi est ambassadeur d'Israël en France.
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