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  Assad a Paris par Frederic Encel, Liberation 29-6-2001.

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Assad à Paris : une faute morale, une erreur géopolitique.

Président antisémite d'un Etat despote et sans poids sur la scène internationale... La France n'avait rien à gagner avec cette visite.

Par Frédéric Encel - Libération, vendredi 29 juin 2001

Il est reparti comme il est venu, le jeune président syrien; despote arc-bouté sur des discours et des convictions incompatibles avec la démocratie. Or, on aura beau faire les vierges effarouchées, la visite officielle à Paris de Bachar el-Assad n'est pas une première dans les annales diplomatiques de notre belle République des droits de l'homme: en recevant le dictateur alaouite en grandes pompes, les plus hautes autorités de l'État n'ont hélas rien inauguré de bien nouveau. Beaucoup ont protesté - en particulier à l'Hôtel de Ville mardi dernier - que "l'invité" avait tout de même récemment tenu des propos d'un antisémitisme qui eussent été passibles des tribunaux en France, manipulant par la même occasion un chef suprême de l'Eglise catholique sans doute humilié et meurtri par le piège, mais tenu au silence protocolaire en vigueur dans ce type de visites.

Il est vrai qu'en disant devant le pape des juifs qu'"ils tentent de tuer tous les principes de toutes les religions, de la même mentalité par laquelle fut lâché, puis torturé le Christ", propos jamais démentis à ce jour, Bachar el-Assad a emboîté le pas martial non seulement à feu son père Hafez, grand amateur de l'infâme équation sionisme = nazisme, mais aussi à l'indéboulonnable ministre syrien de la Défense Moustafa Tlass, grossier personnage ayant publiquement traité Yasser Arafat de "fils de 60 000 putes" et rédigé un pamphlet moyenâgeux dans lequel on trouve entre autres perles: "Le juif peut vous tuer et prendre votre sang, afin de confectionner du pain azyme. (Libération du 26/8/99)". Au sommet de la hiérarchie syrienne, on n'a guère la haine délicate!

D'autres encore - notamment Beate Klarsfeld - ont rappelé avec force l'asile offert au dernier grand criminel nazi contre l'humanité, Aloïs Brunner, condamné à mort en France et en Allemagne (et, récemment encore, à perpétuité par contumace à Paris), ou les massacres de Hama - entre 20 000 et 30 000 morts civils - au printemps 1982, officiellement la simple répression d'un complot islamiste.

Des patriotes français ont évoqué pour leur part le rôle joué par Damas dans l'assassinat de notre ambassadeur à Beyrouth en 1983, Louis Delamare, et dans la mort de plusieurs dizaines de soldats au Drakkar, QG du contingent français pour le maintien de la paix. Quant aux Libanais, il faudra à présent leur expliquer que la France, signataire d'accords de protection en bonne et due forme avec leur pays, a reçu chaleureusement le chef de l'Etat qui dispose de leur sort et de celui de milliers de leurs concitoyens disparus au fond des geôles syriennes ces vingt-cinq dernières années, celui qui pille l'économie libanaise par le truchement d'un million de travailleurs syriens envoyés gagner leur pain (en dollars) au pays du Cèdre.

Tout cela est connu. Et déplorable. Mais avoir poussé des cris d'orfraie, si justifiés soient-ils, n'aura ni intimidé la présidence de la République, ni convaincu Matignon, ni abattu la sempiternelle raison d'Etat.

En revanche, pourquoi ne pas contester la visite d'Assad, dont le bilan est du reste bien maigre, en raisonnant dans le même registre de la Realpolitik? Et de s'interroger sur cet acharnement à nouer et renforcer des relations avec un Etat paria devenu indigent au plan géopolitique? Au Quai d'Orsay, on répète ad nauseam qu'il ne peut y avoir de paix réelle au Proche-Orient sans la Syrie. Qu'en est-il réellement? En septembre 1993, Yasser Arafat prend le difficile pari de reconnaître Israël et d'entamer un processus de paix direct avec "l'entité sioniste". Damas fulmine et crie à la trahison, en vain. Un an plus tard, Hussein de Jordanie s'engouffre dans la brèche, au grand dam de son turbulent voisin septentrional. Damas menace, sans résultat. Par la suite, Oman, le Qatar, la Tunisie, le Maroc ouvriront des bureaux d'intérêt avec Israël (et même une ambassade pour la Mauritanie) à la consternation d'Assad père. Le "lion de Damas" rugit encore, et puis? Rien, ou presque. Manifestement, la baudruche se dégonfle.

Deux autres faits, militaires cette fois, illustrent davantage encore la faiblesse endémique du régime syrien. En octobre 1998, excédé par l'asile et le soutien actif de la Syrie procurés à Abdullah Öcalan, le gouvernement turc dépêche 60 000 soldats à la frontière syrienne en exigeant l'expulsion du leader kurde du PKK. Le bras de fer aura-t-il lieu? En effet, et ne durera pas 48 heures; Damas capitule en rase campagne et expulse immédiatement - autant dire livre pieds et poings liés - son protégé!

Plus récemment, en avril 2001, l'armée israélienne bombarde une base radar syrienne stationnée dans la Bekaa en représailles à un attentat du Hezbollah soutenu par Damas. Le camouflet est sans précédent depuis vingt ans. L'armée syrienne riposte-t-elle ou fait-elle semblant? Mobilise-t-elle, même partiellement? Se redéploie-t-elle? Point du tout. A peine si une protestation de pure forme est lancée en direction des agences de presse et des chancelleries.

Il faut dire que dans le cas du conflit avec la Turquie, le pouvoir damascène n'aurait eu à opposer, militairement, que de vieux chars soviétiques périmés dépourvus de pièces détachées, et, politiquement, que le soutien rhétorique de la Ligue arabe. En face, dans les deux cas: des armées modernes, et le tout-puissant appui américain...

Pourtant, le coup de boutoir au fond le plus décisif et le plus humiliant donné à l'épouvantail syrien, c'est encore, paradoxalement, le retrait unilatéral d'Israël du Sud-Liban, en mai 2000. Jusqu'alors, Damas arguait de l'occupation de cette région par Tsahal pour soutenir les actions armées du Hezbollah chiite pro-iranien, et occuper avec 40 000 soldats environ 70 % du territoire libanais. Or, sans le précieux justificatif israélien, l'argument ne tient plus.
Chrétiens et druzes secouent déjà fortement la chape de plomb syrienne, illégale non seulement au regard du droit international mais en vertu des accords interarabes de Taëf (1989). D'où un timide début de redéploiement (demandé par l'Elysée avant la visite d'Assad?) autour de Beyrouth.

En vérité, c'est donc d'un régime aux attraits bien contestables que Paris se fait l'ami depuis plusieurs années déjà, avec vraisemblablement pour unique motif qu'il est le seul au Proche-Orient (l'ex-ami irakien excepté!) à ne pas être allié à Washington. Détestée à l'intérieur, la minorité alaouite aux commandes (environ 9 % de la population) ne doit sa survie politique qu'à un népotisme et une répression parmi les plus flagrants au monde. Un pouvoir fort pour des résultats faibles: échec à incarner une puissance régionale, échec à recouvrer les terres perdues (Alexandrette, Golan), échec à sortir la population d'une misère endémique, échec à rompre avec le stalinisme économique et à faire fructifier les réelles richesses naturelles du pays, échec à présent à ingérer le Liban... A la limite, le principal succès du régime alaouite tiendrait presque à l'amitié gagnée de la France!

La France, au-delà de toute considération de nature morale ou humanitaire, avait décidément peu à gagner en nourrissant une idylle avec la Syrie de Hafez el-Assad. Mais quid de son fils? Jeune ophtalmologue éduqué à Londres et féru d'informatique, Bachar el-Assad avait a priori tout pour plaire, et pour réussir là où son père avait failli. Las. A ce jour et après une année de pouvoir, il n'a réussi qu'une seule chose: démontrer que la pomme tombe rarement très loin de l'arbre!

Frédéric Encel est docteur en géopolitique, professeur de relations internationales à Paris.

© Libération & Frédéric Encel, 2001. 

"Karine Gamrasni" <gamrasnikarine@hotmail.com


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