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Intifada, une année, déjà... Par Elie Barnavi |
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Intifada, une année, déjà...
Par Elie Barnavi
Publié le 27 septembre 2001, page 17
Juillet 2000. Dans le huis clos de Camp David, Yasser Arafat, Ehud Barak et leurs
collaborateurs sont réunis sous la houlette du président Clinton.
Il s'agit de démêler en quelques jours un écheveau vieux d'un bon siècle et que dix
ans d'un laborieux processus de paix n'ont fait qu'entamer.
La tâche est rude, peut-être impossible. Certes, n'en déplaise à la mode en vogue
dernièrement, il se passe à Camp David des choses intéressantes.
On y met sur la table des sujets jusque-là tabous, les implantations, Jérusalem. Les
Israéliens avancent des propositions inédites, que le monde entier, on l'a un peu
oublié depuis, tient pour audacieuses. Mais la rencontre est mal préparée, mal
engagée, handicapée par les relations tendues entre les deux principaux protagonistes.
Ceux-ci se trouvent en outre entravés par d'énormes difficultés internes: le
Palestinien est arrivé à Camp David en traînant les pieds, peu assuré d'une opinion
publique exaspérée par les lenteurs d'un processus interminable qui n'a pas tenu ses
promesses; l'Israélien, qui a poussé à la roue, est venu, lui, soutenu par la plupart
de ses concitoyens mais avec une courte majorité parlementaire. Sans même parler de la
volonté d'aboutir - j'y reviendrai -, les ingrédients du succès, à savoir le temps, la
confiance et le soutien des mandants, manquent cruellement. C'est l'échec.
Pour le président de l'Autorité palestinienne, la question qui se pose dès lors est
comment améliorer une offre israélienne à l'évidence insuffisante. L'objectif est
toujours de signer une paix en bonne et due forme avec Israël, mais en obtenant de
meilleures frontières, une souveraineté mieux définie à Jérusalem et une forme
quelconque de reconnaissance de ce fameux «droit au retour», faute de quoi il sera
incapable de «vendre» cette paix à son peuple. Comment s'y prendre? En recourant à la
violence révolutionnaire. La première intifada l'a emmené à Madrid, la seconde
l'emmènera à Taba. Avec ce calcul en tête, il déclenche les troubles du 29 septembre
(je dis bien 29 septembre, car la veille, jour de la visite d'Ariel Sharon sur le mont du
Temple, il ne s'est pratiquement rien passé), tout en continuant de négocier. Le but,
n'est-ce pas, est de parvenir à de meilleurs termes, pas de tout faire capoter. En effet,
au milieu des violences, la négociation va bon train. A la base de Bolling déjà, le 23
décembre, Arafat a endossé le plan Clinton, qui dessinait les paramètres acceptables
pour les deux parties d'un accord de paix éventuel. Enfin, à Taba, en janvier, il
obtient ce qu'il souhaitait: un Etat palestinien d'un seul tenant sur l'essentiel des
territoires occupés par Israël depuis la guerre des Six-Jours, une compensation
territoriale pour le reste, la souveraineté sur les quartiers arabes de Jérusalem, un
règlement honorable du problème des réfugiés. Il sait qu'il vient de saisir l'histoire
à la gorge. L'Etat palestinien souverain qu'il n'aurait jamais obtenu des frères arabes,
il l'a obtenu de l'ennemi sioniste, les armes à la main. Ce n'est pas tout le rêve
palestinien; mais, en homme d'Etat, il sait que le rêve doit donner du sens à la
réalité, jamais s'y substituer.
Il reste un problème de taille: Ehud Barak, que tous les sondages donnent perdant aux
élections imminentes, a-t-il les moyens politiques d'honorer ses engagements? Sans doute
pas, mais tant pis. En forçant la signature ne serait-ce que d'un accord-cadre, en
annonçant urbi et orbi que Taba a tenu ses promesses et en ordonnant la cessation
immédiate des violences ainsi que des discours de haine qui émaillent la presse
palestinienne, il préserve l'avenir. Il dispose de l'appui de l'Administration
américaine, de l'Union européenne et, surtout, de l'ensemble du camp de la paix
israélien. Il sait, en effet, que c'est là que se trouvent ses meilleurs alliés.
Désormais, quel que soit le gouvernement en place à Jérusalem, il lui sera impossible
de faire comme si Taba n'avait jamais existé...
Le lecteur aura compris: si le résumé de Camp David relève de l'histoire, tout le reste
est, hélas, de l'histoire-fiction. Reprenons le fil des événements. On s'en souvient
peut-être, le monde entier tient responsable de l'échec de Camp David le président de
l'Autorité palestinienne. De fait, l'homme s'est contenté de dire non à tout ce qu'on
lui proposait, sans se donner la peine d'avancer ses propres souhaits. Et, une fois
l'échec consommé, la question qu'il se pose n'est pas «comment améliorer l'offre
israélienne», mais comment se sortir de ce mauvais pas? Autrement dit, comment rétablir
en sa faveur une opinion internationale déchaînée et une opinion palestinienne amère
et manifestement hostile à tout compromis?
La réponse sera la même que dans le scénario-fiction: en recourant à la violence
révolutionnaire. Mais le point d'aboutissement devra être différent: si la première
intifada l'a emmené à Madrid, la seconde l'y ramènera. Ce qu'il cherche désormais,
c'est l'internationalisation du conflit. Il a deux modèles en tête, à ses yeux
complémentaires: le Sud-Liban, où, pense-t-il, une poignée de combattants déterminés
ont forcé pour la première fois Tsahal à une retraite sans accord; et le Kosovo, où la
communauté internationale est intervenue sur le terrain pour faire le ménage et donner
la victoire à la partie la plus faible.
Il n'est donc pas question de reconnaître les acquis de Taba: ses lieutenants ont beau
affirmer qu'on n'a jamais été aussi proche d'un accord, lui préfère traiter Barak de
fasciste devant le gratin du monde assemblé à Davos. Il n'est pas question non plus
d'arrêter l'incitation à la haine, qui atteint des sommets inconnus auparavant. Et il
n'est surtout pas question de mettre un frein à la violence, mais de l'intensifier.
Une année plus tard, le bilan se révèle désastreux. A l'heure où j'écris ces lignes,
au lendemain du dernier en date, et peut-être le premier sérieux, des cessez-le-feu qui
ont jalonné de leur impuissance «l'intifada des mosquées», 815 malheureux, dont 625
Palestiniens, ont payé de leur vie la stratégie bizarre du raïs. L'économie
palestinienne est en lambeaux, la misère règne, le pays est livré aux bandes armées
qui font dans la surenchère nationaliste et/ou intégriste. Arafat a certes conservé son
aura de chef incontesté du mouvement national palestinien; mais des voix de plus en plus
nombreuses et fortes s'élèvent dans son propre parti pour demander où les mène cet
homme dont les intentions sont devenues opaques pour ses plus proches conseillers.
C'est que rien ne s'est passé comme il l'entendait. Remarquable tacticien, il s'est
révélé piètre stratège. Comme tous les détenteurs du pouvoir absolu, Arafat comprend
mal les ressorts de la démocratie libérale, en confondant volontiers divergences
d'opinion et débilité du corps social.
Or le terrorisme non seulement n'a pas entamé la cohésion de la société israélienne,
il l'a renforcée. En faisant contre lui l'unité des Israéliens, il perdait tout espoir
de gagner cette guerre à l'usure.
Surtout, l'internationalisation du conflit s'est révélée une chimère.
Pourquoi? D'abord, parce que Sharon a refusé de se couler dans le moule que les
Palestiniens, le monde arabe et une opinion mondiale avide de clichés ont préparé à
son intention. Déterminé à éviter le piège qu'on lui tendait, le gouvernement d'Union
nationale a dosé ses ripostes en limitant autant que faire se pouvait les dégâts.
Ensuite, parce que les Etats-Unis ont refusé de jouer à ce jeu-là et que, sans eux, il
n'y a pas d'internationalisation possible. Aussi, parce que la violence, physique et
verbale, a fini par se retourner contre ses auteurs. L'entreprise de délégitimation
d'Israël a tourné court à Durban. Et l'on peut dater du 1er juin, date de
l'attentat-suicide de la discothèque de Tel-Aviv, le commencement de la fin de
«l'intifada des mosquées».
Enfin, le raïs a joué de malchance. Les bombes volantes qui ont enseveli des milliers
d'innocents à New York et à Washington l'ont mis du même coup devant le dilemme qu'il a
si mal résolu voici une décennie, au moment de la guerre du Golfe. Cette fois, il semble
avoir mieux choisi son camp. Or ce choix implique l'abandon irrévocable de la violence et
le retour à la négociation, aussi longue, âpre et difficile soit-elle.
Il est malheureux qu'il ait fallu tant de douleur pour allumer une petite lueur d'espoir;
il serait criminel de la laisser s'éteindre.
Elie Barnavi est ambassadeur d'Israël en France.
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