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Jose Bove en territoires pieges (Liberation 10/7/01) |
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"Les malheurs des Palestiniens viennent de leur direction politique corrompue et non des colons
israéliens, comme l'affirme le leader syndical."
José Bové en territoires piégés par Marc Lefevre, Philippe Gumplowicz et Pierre-André Taguieff
José Bové est un veinard. Alors qu'il s'apprête à planter une tente dans les environs de
Bethléem, en solidarité avec les paysans palestiniens, au nez et à la barbe des militaires de
Tsahal, il croise un groupe de cameramen et de photographes. Sans cette espèce de baraka
médiatique qui le protège des avanies des Etats policiers de France et de Navarre, on n'ose
imaginer au fond de quelle sinistre geôle de Tel-Aviv il serait allé croupir...
Le sujet ne prête pas à rire longtemps. Qui peut contester les souffrances du peuple
palestinien, et en particulier de ses paysans? Mais José Bové, à la vitesse de la flèche,
confond les responsables secondaires et le responsable principal.
Les responsables principaux du marasme actuel des paysans palestiniens ne sont pas les 30 000
colons israéliens fanatiques religieux. Ceux-ci ne représentent que 15 % des 200 000 colons
(sur 6 millions d'habitants) installés dans les territoires occupés par Israël depuis la guerre
des Six Jours de 1967. En majorité, les colons israéliens savent que, tôt ou tard, ils devront
évacuer leurs colonies. Ces 15 % d'irrédentistes, ceux que la gauche israélienne nomme les
«colons idéologiques», sont infiltrés par les services de sécurité intérieurs israéliens qui ne
toléreront pas que leurs débordements embrasent la région. Ces extrémistes religieux sont
honnis par l'immense majorité de la population israélienne qui voit ses filles et ses fils
risquer leur vie pour les protéger. Quand viendra le jour de les évacuer, les télévisions
occidentales feront part de leurs vociférations à l'opinion internationale, mais personne en
Israël ne les soutiendra.
La société palestinienne a des illusions pour toute perspective. S'il n'avait été aveuglé par
des idées prédigérées, José Bové aurait pu voir et faire savoir que le peuple palestinien n'a
comme issue politique que:
- une Autorité politique qui fait régner une terreur policière;
- une «opposition» représentée par des composantes religieuses fanatiques et extrémistes;
- un camp progressiste et laïque palestinien quasiment inexistant, dont les quelques
représentants sont muselés, attentistes ou impuissants.
La société palestinienne dans son ensemble est au bord de la guerre civile fratricide et ne
maintient sa cohésion que par le développement incontrôlé d'une stratégie de la tension avec
Israël. Les derniers attentats barbares, le blocage actuel, les pressions occidentales montrent
que cette stratégie ne mène le peuple palestinien nulle part. Sa si courte visite a seulement
permis à José Bové de conforter ses préjugés. Qu'il ne soit pas le seul à s'adonner à un tel
exercice rituel ne l'excuse en rien.
Faut-il rappeler que les bases d'un accord définitif, pour solde de tout compte, entre
Israéliens et Palestiniens, ont été tracées à Taba?
- Restitution de plus de 95 % des territoires occupés et compensation territoriale pour la
différence;
- souveraineté partagée sur Jérusalem et les lieux saints de toutes les religions;
- retour limité de réfugiés palestiniens, sans remettre en cause l'identité nationale
israélienne.
Yasser Arafat n'a pas su ou n'a pas voulu saisir cette opportunité historique d'une solution
pacifique au conflit. Cette solution repose sur le principe «deux Etats pour deux nations»,
avec une séparation nette permettant à ces deux Etats de se développer indépendamment; elle
laisse aux générations futures le soin de résorber les haines. Cette solution est la seule
possible. Yasser Arafat le sait, et Ariel Sharon l'admet également quand les micros sont
débranchés. Elle est défendue depuis toujours par le camp israélien progressiste et laïque, ce
camp de la paix qui s'est montré capable de rassembler des centaines de milliers de
manifestants dans les rues, celui qui se bat tous les jours contre les implantations dans les
territoires occupés. Ce camp de la paix défend fermement, en même temps, l'identité
nationale juive de son pays et n'acceptera aucun compromis sur cette question.
Le camp des opposants à cette solution des deux Etats, celle que préconisait d'ailleurs le plan
de partage de la Palestine mandataire en 1947, regroupe bizarrement, d'un côté les
extrémistes religieux des deux bords, de l'autre les tenants du libéralisme économique régional et d'une
zone ouverte de libre-échange.
Qu'en pense José Bové? S'il avait prolongé un peu son séjour, il aurait pu voir que le
principal responsable des malheurs actuels du peuple palestinien, c'est sa propre direction
politique corrompue, qui maintient son peuple dans la haine de l'Autre et dans l'illusion d'un
retour à la mère patrie de 1948. Une direction politique maintenue à bout de bras par les pays
occidentaux, en particulier par l'Union européenne et Jacques Chirac, et tolérée
comme un moindre mal par Israël, par peur d'une alternative politique encore pire, celle de la mouvance
islamique.
Quel paradoxe de voir les ennemis du communautarisme régional en Europe, et du technocratisme
de Maastricht - de voir donc certains défenseurs de l'identité des Etats-nations en
Europe -, soutenir des positions inverses quand ils traversent la Méditerranée! On se plaît à imaginer un
José Bové affirmant sa solidarité avec les extrémistes de droite allemands, après un
voyage éclair en Bohême pour soutenir le retour des Allemands des Sudètes.
Le Moyen-Orient n'a pas besoin de donneurs de leçons qui assènent leurs slogans creux à l'issue
d'un voyage express. Le Moyen-Orient a besoin de calme, de raison, de compréhension
mutuelle et de tolérance.
Au Moyen-Orient, les mots tuent. La guerre n'est pas un spectacle pour tout le monde.
© Marc Lefevre, Philippe Gumplowicz et Pierre-André Taguieff, Libération, 10 juillet 2001.
Marc Lefevre est physicien et directeur de sociétés; Philippe Gumplowicz est musicologue;
Pierre-André Taguieff est philosophe et politologue.
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