Kamikazes, par Elie Barnavi

« KAMIKAZES »

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par Elie BARNAVI ,
Ambassadeur d'Israël en France
Le Monde 6/6/01

La caricature (« Kamikazes », Le Monde daté du 3-4 juin 2001) met en scène deux barbus, également hideux. L'un, le musulman, porte une grosse bombe, l'autre, le juif, des valises et, enroulé sous le bras, ce que l'on devine être un titre de propriété d'origine biblique - deux symboles qu'on aurait préféré ne pas voir orner un dessin de Plantu, généralement mieux inspiré. Mais passons... Tous les deux, le juif et le musulman, sont ceints de leurs outils de travail, si l'on ose dire : le musulman d'explosifs, le juif - d'un chapelet de colonies.

Ce dessin est choquant. D'abord, parce qu'il s'étale à la une du Monde le lendemain du carnage qu'il prétend illustrer. Ensuite, parce qu'il établit une équivalence moralement inacceptable et intellectuellement inepte entre deux phénomènes que l'attentat de Tel-Aviv lui-même renvoie à deux ordres radicalement différents. On peut ne pas aimer les implantations juives en Judée, Samarie et dans la bande de Gaza, c'est même un cas de figure assez répandu ; mais qu'est-ce que cela a à voir avec les attentats-suicide ?

Enfin, peut-être surtout, parce qu'il ajoute à la confusion mentale d'une opinion publique qui n'en a vraiment pas besoin, et cela avec toute l'autorité intellectuelle d'un quotidien prestigieux et le talent d'un dessinateur que je tiens pour un des meilleurs éditorialistes de la presse française.

Toute action politique procède d'une idéologie. Celle de l'islamisme radical palestinien est on ne peut plus explicite : tuer les juifs partout où ils se trouvent afin de « libérer » l'ensemble de la Palestine, de la mer au Jourdain. Ecoutez les porte-parole des islamistes : le Hamas, le Djihad islamique se moquent des implantations juives comme d'une guigne, tout comme le Hezbollah libanais des fermes de Shebaa. Ce n'est pas Netsarim qui les intéresse, c'est Jérusalem. La stratégie de leur « combat » n'a de sens que dans cette perspective. En effet, pour qui souhaite récupérer les territoires perdus en juin 67 pour édifier un Etat palestinien indépendant aux côtés d'Israël, la dernière chose à faire est de s'en prendre à des cibles civiles au coeur de l'Etat hébreu - le meilleur moyen, à l'évidence, de souder la société israélienne et de lui assurer la sympathie de l'opinion internationale. Aussi bien, qu'Israël s'accroche aux colonies de peuplement ou qu'il y renonce, qu'il se retire de tous les territoires ou non, peu importe : le « combat » se poursuivra jusqu'à ce que le dernier juif de Palestine ait pris le chemin de l'exil ou se soit noyé dans la Méditerranée. Pis, comme on l'a constaté au milieu des années 90, plus l'espoir d'une paix prochaine se précise, et plus ce type d'attentats se multiplient. Le vrai ennemi des islamistes, c'est la paix.

Si toute action politique procède d'une idéologie, l'idéologie, elle, rend compte des types d'action politique. Le « désespoir » qui pousserait des jeunes gens à se faire sauter avec leurs oppresseurs putatifs n'existe que dans la propagande arabe, ou encore dans la tête d'Occidentaux dont l'esprit formé par des siècles de rationalisme refuse d'intégrer la logique fondamentaliste. Conditionnés par un lavage de cerveau professionnel, portés par une culture de la mort qui fait du martyre le couronnement de la vie du bon musulman, encensés par une presse irresponsable, ces garçons au front ceint du bandeau vert du shahid vont à leur perte le coeur en fête. Il est grand temps que l'opinion publique française et ses faiseurs comprennent : ce n'est pas le désespoir qui fait marcher ces pauvres pantins fanatisés, c'est, au contraire, l'espoir du paradis.

De ce scandale moral, Arafat est le premier responsable, et pas seulement parce que le Président de l'Autorité palestinienne est censé contrôler le territoire dont il a la charge. C'est lui qui a permis au djinn de sortir de la bouteille, sans trop savoir maintenant comment l'y remettre. Comme tant d'autres avant lui, il a cru pouvoir manipuler les fanatiques pour les besoins de sa politique ; comme tant d'autres avant lui, il découvre à son tour que ce sont eux qui le manipulent. Plus tôt il le comprendra, mieux cela vaudra pour son propre peuple.

Il faut espérer que la communauté internationale l'y aidera. Il est malheureux qu'il ait fallu payer de tant de jeunes vies ce timide éveil de la conscience universelle, mais c'est ainsi. Quoi qu'il en soit, elle aura fort à faire, la communauté internationale. Lorsque Joshka Fisher, témoin horrifié du massacre, a demandé au raïs palestinien s'il pouvait lui dire, en son âme et conscience, qu'il rejetait le terrorisme, le ministre allemand, ébahi, s'est attiré la réplique suivante : « tous les Allemands ont-ils, en leur âme et conscience, rejeté la Shoa ? »

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