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Les attentats-suicides détruisent aussi la culture palestinienne ! |
Par Salomon Pardess © Metula News Agency
Une fois lu l’article de Gilles Paris (Le Monde du 13 juin 2002) qui fait
apparaître, longtemps après ses confrères anglo-saxons et La Ména, qu’il
existe une critique palestinienne des attentats – suicides, vous vous dites
vraiment que ce n’est pas par hasard si l’auteur ne l’a pas titré «
L’incapacité de l’opposition palestinienne à prévenir cette forme de
terrorisme » mais « les attentats – suicides, arme du désespoir des
Palestiniens ». C’est un choix, un choix délibéré, non seulement de ne
pas analyser en profondeur la signification de ces attentats dans le contexte
palestinien, mais encore de les expliquer par le désespoir.
On ne sait si le journaliste souffre d’un principe de Peter qui lui joue des
tours, ou si le comité de rédaction du Monde est effrayé par ce qu’il
pourrait comprendre, s’il cessait de faire semblant de pouvoir expliquer des
décisions politiques par des causes affectives ! En tout cas, la preuve est là
qu’il préfère, comme nombre d’autres médias d’ailleurs, bétonner sa
pré-analyse du conflit israélo-palestinien, quitte à passer à côté de la
compréhension d’un des phénomènes les plus révolutionnaires du temps présent,
plutôt que de se remettre en question, et revoir l’ensemble de ses
conclusions à la lumière de ce travail.
Après tout, Le Monde, qui compte en ses rangs nombre de journalistes qui ont
appris ce que c’était qu’être « minoritaires », pourrait faire le
choix de soutenir l’analyse de ceux – très minoritaires en Palestine -
qui comprennent et expliquent que ces attentats sont les principales armes de
destruction actuelle de la culture palestinienne et de son rapport à la réalité.
J’ai eu l’occasion de parler, il y a peu, par exemple, du combat d’un pédiatre
palestinien (Monsieur Ahraf Ai-Ajrami (info 011605/2) contre la « culture de
mort » qui se répand dans les écoles de Ramalah et de Gaza. Contre la
culture de « meurtre », devrais-je dire, puisqu’il y a un double appel des
adultes : au meurtre de soi et au meurtre de l’autre.
Mais, non, ce quotidien préfère se ranger aux côtés des majoritaires,
soutenus d’ailleurs par nombre d’intellectuels palestiniens qui tournent
le dos à leurs responsabilités et se portent caution des impasses
symboliques et politiques de l’Autorité Palestinienne.
Lors d’une récente soirée à la Maison des Ecrivains (Paris), autour de la
protestation d’un écrivain palestinien contre la destruction de sa maison,
lors de l’opération Rempart, des écrivains arabes, musulmans ou non, ont
accusé Israël de détruire de manière systématique la culture
palestinienne, comme les Serbes en Bosnie ou les Talibans en Afghanistan.
C’est à ce genre de rumeur non seulement calomniatrice (s’il y a eu des
exactions contre certains lieux scolaires et universitaires, leurs auteurs en
sont jugés et des exactions isolées ne font pas une politique systématique),
mais porteuse de haine et d’appel au meurtre sous toutes ses formes, du
moment que ce meurtre est mû par la « légitime » vengeance, c’est à ce
genre de rumeur et à toutes les autres, que la presse occidentale dans son
immense majorité a décidé de ne pas combattre, que l’on doit la «
justification » explicite ou implicite des attentats – suicides.
D’ailleurs, dans cette même livraison du Monde, ne voit-on pas Gilles
Paris, toujours lui, donner la parole à Saleh Abdel Jawad, dont l’antienne
consiste à marteler que « ces opérations – suicides sont une réaction
humaine au système colonial israélien qui inflige depuis un demi-siècle
l’injustice, l’humiliation et la destruction économique au peuple
palestinien » et que « la politique israélienne a consisté à provoquer
systématiquement les opérations-suicides ».
Ce professeur d’université a un cheveu sur la langue et refuse d’appeler
« attentats » ces massacres. Mais, outre qu’il se contredit en les légitimant
politiquement comme une réponse au « massacre de musulmans en prière à Hébron
par un colon, Baruch Goldstein », d’une part, et en les dénonçant, de
l’autre, comme « danger pour le projet national palestinien », cet
intellectuel, qui a sûrement appris ses humanités dans les cours ou dans les
livres déshumanisés de nombre d’idéologues gauchistes français, auxquels
il faut désormais ajouter le sinistre Edgar Morin, et le non moins sinistre
Sami Naïr qui se débat comme il peut avec Claude Lanzmann, son insupportable
image en miroir des Temps Modernes, dissimule le nouveau cours théologique
que ceux qui commanditent ces attentats tentent d’imposer à l’Islam dans
son épreuve de force avec le judaïsme et avec la chrétienté.
Ces intellectuels –palestiniens, comme français- ont pris le parti de
mettre un mouchoir sur le sens de la convergence entre un argument théologique
(le nouveau discours martyrologique) et une stratégie politique (la délégitimation
d’Israël).
*
Avant de commencer mon analyse, je précise d’emblée au lecteur, qui peut
s’étonner que je parle aussi de rapport de force avec la chrétienté,
alors que c’est le judaïsme qui est actuellement combattu physiquement et
militairement par un courant minoritaire de l’Islam, que mon analyse des
attentats suicides prend en compte le fait que si le judaïsme d’Israël
devient la cible de l’islamisme radical, c’est parce que, bien que
traditionnellement considéré comme un rival insignifiant, il est perçu
comme gênant localement et pouvant irradier dans le monde, grâce au soutien
inconditionnel des Etats-Unis à Israël, alors que, pour sa part, la chrétienté
a toujours été perçue par l’Islam comme son rival numéro 1 (par le
nombre, le prosélytisme et l’implantation géostratégique). Les choses
n’ont certes pas changé, puisque les Etats-Unis sont considérés par
l’Islam comme une terre chrétienne, mais, le soutien des Etats-Unis à Israël
lui paraît aujourd’hui être un soutien au judaïsme local. C’est
pourquoi, si la majorité de l’Islam continue de ne pas appeler massivement
aux attentats – suicides, une minorité de plus en plus forte lui dispute la
prééminence dans le monde.
Il me faut également préciser, dans le même ordre d’idées, que, s’il
est tentant intellectuellement parlant, de relier le réseau d’Al Qaïda et
le réseau du Hezbollah, du Hamas, du Djihad islamique et d’une partie des
Tanzim par une unité organique, c’est parfaitement infondé à ce jour. Les
attentats du 11 septembre 2001 ont sûrement bouleversé les plans de Yasser
Arafat et, en tout cas, ils ne les ont pas renforcés.
Pour autant, ce serait une autre erreur aussi grave que de refuser
d’identifier des arguments théologiques convergeant entre ces systèmes qui
ont recours aux « bombes humaines », pour atteindre leurs objectifs.
Enfin, pour être encore plus clair, je précise que, pour moi, l’interprétation
du Coran qui justifierait les attentats – suicides n’est pas le Coran,
mais au contraire une lecture et une utilisation psychotiques de ce Livre.
C’est pourquoi, nous sommes en droit d’attendre qu’un jour, des autorités
théologiques et politiques de l’Islam se lèvent pour démasquer les
fausses interprétations du Coran. Ces autorités font actuellement la
politique de l’autruche. Elles espèrent toutes que la chrétienté (sur le
plan spirituel) et les Juifs (sur le plan physique) en feront les frais avant
que les attentats ne posent de sérieux problèmes à la cohérence interne de
leurs traditions interprétatives.
Si donc, avant de commencer à l’exposer, j’avais à résumer ma pensée,
je dirais ceci : la justification des attentats – suicides par les
Palestiniens se fait au nom d’une certaine lecture du Coran. Leur
utilisation se fait sur fond de confrontation de l’Islam avec la chrétienté,
mais, pour l’instant, ce sont les Juifs qui trinquent. Quant à ceux qui
sont envoyés à la mort et au suicide, l’Islam dans son ensemble
(majoritaire et minoritaire) pense qu’ils ne « trinquent » pas, mais
qu’ils sont sanctifiés.
*
Bien sûr, il est plus facile, pour un journaliste, de faire état des témoignages
des jeunes gens, qui sont en contact avec les Tanzim, comme le fait Stéphanie
Le Bars dans cette même page du Monde. C’est d’ailleurs indispensable
pour qui veut comprendre les mécanismes psychiques qui se mettent en œuvre
soit individuellement dans l’esprit des « candidats-kamikazes », soit
collectivement dans celui de leurs « instructeurs ». Mais, cela ne suffit
pas, surtout si l’on prétend expliquer aux lecteurs pourquoi les attentats
– suicides perdurent, malgré toutes les mesures de protection prises par
les Israéliens. Pour commencer à donner une explication de cette nature, il
faut dépasser le cadre strictement palestinien, ce que ne permet pas la réduction
de ces attentats à une arme de libération nationale.
Par ailleurs, il est impossible de défendre la thèse historique et politique
de Saleh Abdel Jawad, sans admettre que ce regard prétendument épistémologique
sur ce phénomène révolutionnaire est un des éléments dynamiques du
contexte politique même. Refuser de reconnaître une dimension théologico-politique
à ces attentats, c’est se couper de la réalité. C’est avec le même
genre de raisonnement que l’on a cru que les régimes de Staline ou de Pol
Port étaient des déviations d’un modèle originel exempt de criminalité.
C’est avec ce même genre de raisonnement que le philosophe Heidegger prétendait
pouvoir « spiritualiser » l’hitlérisme, avec le succès que l’on sait.
Lorsqu’on se trompe dès le départ, on est sûr d’aboutir, à la fin,
dans le mur. Cet universitaire et ces écrivains palestiniens ne savent peut-être
pas qu’ils vont être mangés tout crus, et ils préfèrent ne pas
s’interroger sur la sauce qui va accompagner le repas de leurs phagocyteurs.
Mais, ils devraient savoir que de nombreux exemples de libération nationale
ont montré douloureusement que les dindons de la farce sont toujours plus
nombreux que ceux qui les consomment suavement. Mais, après tout, c’est
leur problème. Contentons-nous donc, pour l’heure, de proposer quelques éléments
de lecture de l’argument théologico-politique que recouvrent les attentats
suicides.
*
Dans son livre The Cuture of Martyrdom, David Brooks,(voir son article traduit
de l'anglais par Liliane Messika pour Réponses-Israël) affirme que ces
attentats « ne sont pas seulement une tactique au sein d'une guerre plus
globale, ils débordent les objectifs politiques qu'ils sont censés servir.
Ils sécrètent leur propre logique et dénaturent la culture de ceux qui les
utilisent ». Brooks rappelle que si le Coran les interdit, les théologiens
et politiques musulmans n’ont rien trouvé à redire, lorsque le Hezbollah
les a utilisés peu après que les Etats-Unis ont eu des Marines à Beyrouth.
Bien plus, les autorités iraniennes les ont bénies et c’est au nom de
cette bénédiction que 60 employés de l'ambassade américaine trouvèrent la
mort en avril 1983, et environ 240 personnes parmi les Marines sur l'aéroport
en Octobre. D’ici à penser que les retraits des troupes américaines qui
s’en sont suivis, puis, en 1999, des troupes israéliennes, ont été
interprétés par ces autorités comme une preuve de la vérité théologique
des ces attentats, il n’y a qu’un pas qu’il est possible de franchir, étant
donné que, dès 1988, Fathi Shiqaqi, le fondateur du Jihad islamique
palestinien a tenté de démontrer qu’il n’y avait pas d’objections
religieuses à ces attentats –qui devaient toutefois rester exceptionnels-
et qu’il était possible de les introduire dans la guerre palestinienne
contre Israël. L’argument était donc clair : s’il était possible
d’obtenir, grâce aux attentats – suicides, le départ de ceux dont on ne
voulait pas, même comme soumis, parce qu’ils n’avaient pas le droit d’être
sur une terre « islamisée », alors ces attentats portaient bien en eux-mêmes
une des finalités de la prophétie de Mahomet.
C’est pourquoi, ils commencèrent à être utilisés de manière méthodique.
Par exemple, le Hamas les utilisa pour faire échouer le processus de paix
d'Oslo. Toutefois, ils ne furent massivement utilisés qu’après l’échec
des pourparlers entre Barak et Arafat à Camp David. Contrairement à Brooks,
je ne pense pas que le Président de l’Autorité Palestinienne ait accepté
ces attentats, puis les ait financés et, pour finir, programmés (du moins
certaines de ses composantes), parce que « la passion enflammée des
kamikazes a largement supplanté la grisaille du processus de paix ». Je
pense qu’il a choisi cette voie, parce que théologiquement parlant, c’est
la voie la plus révolutionnaire pour lui.
Il est curieux de constater que nombre d’analystes politiques des attentats
– suicides en Israël ou aux Etats-Unis ont bien perçu que ces attentats
sont des fins en eux-mêmes et ne peuvent être perpétrés que par des
personnes qui rencontrent les Tanzim, non parce qu’elles sont déprimées,
mais parce qu’elles le veulent et parce qu’elle veulent aussi subir un
lavage de cerveau qui les conduit à s’identifier à des cadavres déchiquetés
ambulants rejoignant d’autres cadavres au paradis. Mais ces mêmes analystes
écartent systématiquement l’idée que, tant du côté des instructeurs que
du côté des endoctrinés, ces fins sont théologico-politiques. Je ne parle
pas ici des fausses promesses qui peuvent être faites aux suicidés en
puissance sur la joie de la vie future et sur l’idée que se suicider est la
voie royale vers le paradis. Je parle du fait qu’il faut une adhésion théologico-politique
très forte pour que 70 à 80% de Palestiniens se déclarent désormais
favorables aux attentats – suicides.
Alors, de quel argument parlons-nous et de quelle adhésion ? De l’argument
du martyr et de l’adhésion au martyr. Dans Juifs en terre d’Islam,
Bernard Lewis rappelle qu’un « shahid musulman est tout autre chose qu’un
martyr juif ou chrétien. Un shahid est celui qui meurt sur le champ de
bataille, dans la guerre sainte, au nom de l’Islam. » Certes, pour
l’Islam majoritaire, « historiquement, comme le rappelle Malek Chebel dans
Le Sujet en Islam, on peut dater la fin de la guerre sainte du 9ème siècle,
lorsque le calife abbasside Harûn ar-Rachid (766-809) résolut de passer un
pacte de non-agression mutuelle avec l’empereur Charlemagne (742-814).
D’autre part, le Coran interdit la guerre sainte contre les Juifs, les Chrétiens,
les Zoroastriens et les Sabéens. Mais, pour l’Islam radical et minoritaire,
tout a changé depuis que les Juifs se sont donné un Etat en terre d’Islam.
N’étant plus des dhimmis, ils deviennent des prosélytes qui veulent entraîner
dans leur sillage les forces les plus vives de l’Islam. Or, comme rien, dans
le comportement d’Israël, ne va dans ce sens, les martyrophiles
palestiniens hallucinent un peuple et un Etat juifs qui contestent à
l’Islam le droit d’exister dans cette petite région du monde qui
s’appelle aujourd’hui l’Etat d’Israël.
Et c’est dans cette guerre théologique contre le judaïsme que cet Islam
tente d’enliser non seulement l’Islam majoritaire même, mais aussi la chrétienté,
Ce qui se joue autour des attentats – suicides, c’est l’issue même de
cette guerre.
Malek Chebel a raison de dire que, le doute demeurant « la chasse gardée des
plus hautes instances de la pensée et de la théologie musulmanes, il ne peut
être compté parmi les facteurs qui articulent l’être musulman à sa foi
». Cela est d’autant plus vrai, pour ce qui concerne notre sujet, que ce
doute devrait s’exercer sur la signification profonde théologique et
politique du retour des Juifs sur la terre de leurs ancêtres. Sur le plan théologique,
parce que les Juifs n’existent dans le Coran que comme un peuple dépassé
historiquement par la révélation de Mahomet, un peuple sans avenir théologique,
donc, politiquement, parce que l’interprétation traditionnelle du Coran
veut qu’il ne prévoit pas la restauration d’un Etat pour ce peuple sur
une terre qui a été au moins une fois islamisée.
C’est pourquoi, il est si difficile aux autorités théologiques et
politiques de l’Islam de dire non aux attentats – suicides. Elles
craignent qu’une condamnation soit interprétée comme une reconnaissance de
facto d’Israël et une rupture avec le Coran. Mais, plus elles se cacheront
derrière leur petit doigt, plus il leur sera difficile de revenir en arrière.
C’est à elles, et à elles seules, d’ouvrir tout grand leur charria. En même
temps, elles savent pertinemment que les attentats-suicides sont
autodestructeurs, non seulement des hommes et des femmes, mais aussi de la
culture et de la tradition des musulmans. Gageons donc que, dans un proche
avenir, elles soient contraintes de se déterminer avec beaucoup plus de clarté,
dans le sens, je l’espère, d’un rejet total des attentats – suicides.
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