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Lettre à un ami israélien, par Pascal Boniface |
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Lettre à un ami israélien, par Pascal Boniface
LE MONDE | 03.08.01 | 12h20 | analyse
De nouveau, tu vis dans la peur : celle des attentats qui peuvent, à tout
moment, éclater, qui peuvent tuer ou blesser un proche ou un inconnu innocent.
Tu crains pour tes enfants et tu te demandes quand tu pourras enfin vivre
tranquillement. Vivre normalement est une aspiration qui ne semble pas
exorbitante, mais te paraît inaccessible. Tu as le sentiment que jamais la paix
ne sera possible avec les Palestiniens, qu'il faut se résoudre à vivre encore
une longue période d'affrontements. Tu te demandes : que faire ? La voie de la
paix proposée par Barak a échoué. Tu as donc élu Sharon.
Mais la politique musclée de ce dernier ne t'a pas plus apporté de sécurité,
au contraire. Faut-il poursuivre dans la voie qu'il a initiée ? Se débarrasser
d'Arafat ? Réinvestir militairement les territoires occupés ? Le désespoir te
fait perdre une partie de ta lucidité. Tu ne vois pas que la poursuite de cette
politique conduira à plus d'attentats, et plus de critiques à l'égard de ton
pays au niveau international. Et elle conduira, à terme, pour les communautés
juives à l'étranger, à un danger d'isolement par rapport aux autres citoyens.
Le peuple juif a subi le plus horrible des sorts avec la Shoah. Alors que le mot
est de plus en plus galvaudé, lui seul a subi un véritable génocide, avec
l'intention de l'exterminer pour des raisons racistes. Face à ce traumatisme,
qui a été le point d'orgue de comportements antisémites répandus, où le
peuple juif a été bien seul, Israël représente un sanctuaire, la certitude
que cela ne recommencera jamais. L'Etat démocratique d'Israël – même si une
partie de la population qui y habite n'a pas les mêmes droits que l'autre pour
des raisons ethniques – est entouré de régimes autoritaires, si ce n'est
dictatoriaux. Il a dû lutter pour faire admettre son existence par ses voisins.
La défense d'Israël a prévalu alors sur toute autre considération.
Ces faits peuvent-ils, pour autant, justifier que la victimisation du peuple
juif lui donne une sorte de droit – pour ne plus être victime – d'opprimer
à son tour un peuple ? Pour que la Shoah ne se reproduise plus, peut-on
admettre la violation des droits des autres ?
Car enfin, imaginons : un pays occupe, à la suite d'un conflit, des
territoires, en violation des lois internationales. Trente-quatre ans après,
cette occupation se poursuit, malgré les condamnations répétées de la
communauté internationale. La population, dans ces territoires occupés, se
voit nier le droit à l'autodétermination et imposer des contraintes
exorbitantes, des lois d'exception. Destructions de maisons, confiscations de
terres, emprisonnements sans jugement, humiliations quotidiennes et, jusqu'à récemment,
torture, légalisée sous la pudique appellation de "pressions physiques
modérées", sont des pratiques courantes. Cette population se révolte,
demande la création d'un Etat indépendant sur les territoires occupés à la
suite d'un conflit, ce qui ne serait que l'application de la Charte des Nations
unies. S'engage un cycle de violence et de répression, où les forces de
l'ordre de la puissance occupante tirent et tuent régulièrement des
manifestants, et où des attentats font des victimes dans la population de
l'Etat occupant.
Imaginons un pays où le premier ministre a été directement lié à des
massacres de civils, principalement femmes et enfants, dans des camps de réfugiés
désarmés. Un pays où le leader du troisième parti au pouvoir traite les
membres d'une des principales communautés nationales du pays (les Arabes) de
"serpents, et même pire, de vipères" et propose de "les anéantir,
ces méchants, ces bandits, de leur tirer dessus avec des supermissiles".
Un pays où des extrémistes armés peuvent organiser en toute impunité des expéditions
punitives contre des civils désarmés.
Ce type de situation ne peut être accepté en aucune manière et en aucun lieu.
Elle l'est pourtant au Proche-Orient, principalement parce que le souvenir de la
Shoah crée une culpabilité collective à l'égard du peuple juif. Par référence
à ce traumatisme, ceux qui s'opposent à la politique du gouvernement d'Israël
sont soupçonnés de ne pas admettre qu'il soit nécessaire d'éviter une
nouvelle Shoah.
Or même si rien n'est venu égaler en horreur cette dernière, ce raisonnement
s'avère inadéquat, et même inacceptable. Aujourd'hui, les principales
victimes sont les Palestiniens, pas les Israéliens. Cela ne veut pas dire que
les premiers n'ont aucun tort, que la corruption n'existe pas dans les
territoires qu'ils contrôlent, qu'il n'y a pas d'attentats aveugles. Cela veut
dire que les reproches faits aux autorités palestiniennes ne sauraient masquer
les responsabilités des gouvernements israéliens. On ne peut pas mettre sur le
même plan l'occupant et l'occupé.
En tous les cas, c'est ainsi que le ressent en France la majeure partie de la
population. On est, à cet égard, frappé par l'évolution des jeunes,
notamment les étudiants, très partagés sur le Proche-Orient il y a vingt ans,
massivement émus et révoltés aujourd'hui par le sort réservé aux
Palestiniens.
A soutenir aveuglément une politique considérée par de plus en plus de
personnes comme injuste, pour ne pas dire odieuse, la communauté juive française
risque de s'isoler. Heureusement, les plus lucides et les plus courageux de ses
représentants font prévaloir leurs principes sur l'exigence de la solidarité
coûte que coûte avec Israël. Le lien entre la lutte contre l'antisémitisme
et la défense à tout prix d'Israël tourne court, et peut même s'avérer
contre-productif. On ne luttera pas contre l'antisémitisme en légitimant
l'actuelle répression des Palestiniens. On peut, au contraire et
malheureusement, le développer en agissant ainsi. On ne luttera pas
efficacement contre l'antisémitisme si l'on voit encore longtemps des soldats
israéliens tirer sur des adolescents qui jettent des pierres.
Tu dois t'interroger, ami israélien, sur les raisons qui font que ton
gouvernement, très largement soutenu auparavant, trouve aujourd'hui peu de défenseurs
hors de la communauté juive. Au fond de toi-même, tu sais qu'il n'est pas
suffisant de faire porter cette responsabilité aux médias. La politique
actuelle du gouvernement israélien conduit à une crispation, au repli sur soi
croissant d'Israël et des communautés juives. Ce n'est ni leur tradition ni
leur intérêt.
Créer un lien entre la lutte contre l'antisémitisme et le soutien à Sharon, fût-il
soutenu par Shimon Pérès, ne peut guère servir la première cause. Il y a des
cas – nous en avons connu de semblables en France – où la politique menée
par un gouvernement dessert la nation. Dans ce cas, ce n'est pas rendre service
à cette nation que de ne pas se démarquer du gouvernement en question. On ne
peut maintenir une balance égale entre forces de l'ordre israéliennes et
manifestants palestiniens, mettre en parallèle les attentats des désespérés,
prêts au suicide parce qu'ils n'ont pas d'autre horizon, et la politique
planifiée de répression du gouvernement israélien.
Le monde occidental est considéré par une partie de plus en plus importante de
l'opinion comme "injuste". Pourquoi ce qui vaut pour les Kosovars,
auxquels pourtant la communauté internationale ne reconnaît même pas de droit
à la souveraineté, ne vaut pas pour les Palestiniens ? Agir ainsi n'est-il pas
le meilleur moyen de développer le fanatisme des radicaux islamiques, de donner
du crédit à la thèse des deux poids, deux mesures.
En France, à trop permettre l'impunité du gouvernement israélien, la
communauté juive pourrait là aussi être perdante, à moyen terme. La
communauté d'origine arabe et/ou musulmane est certes moins organisée, mais
elle voudra faire contrepoids, et pèsera vite numériquement plus lourd, si ce
n'est déjà le cas. Il serait préférable pour chacun de faire respecter des
principes universels, et non le poids de sa propre communauté. Le respect de
ces principes exige qu'il y ait création d'un Etat palestinien indépendant et
viable. C'est la création de cet Etat qui donnera un horizon aux Palestiniens,
qui permettra à Israël de vivre en paix et aux parents israéliens de laisser
sortir leurs enfants sans craindre pour leur vie.
Pascal Boniface est directeur de l'Institut de relations internationales et
stratégiques (IRIS).
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