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Noir comme un juif


Noir comme un juif

Par Alexandra SCHWARTZBROD



C'était une nuit de 1990. Sud de l'Ethiopie. La famille marchait pieds nus depuis des semaines, sans eau ni vivres, se cachant des soldats et des brigands. Accablée par la peur de mourir mais portée par le rêve fou de cet avion qui l'attendait à Addis-Abeba pour l'acheminer vers Jérusalem. La Terre promise. Le père et la mère tenaient chacun un petit dans les bras. Et Sirak aussi, l'aîné, frêle adulte de 10 ans. Quand, à bout de forces, le jeune garçon a fini par craquer, son père s'est approché. «Tu ne peux pas pleurer. Un jour, tu seras un homme important. Et tu raconteras notre histoire.»

Treize ans plus tard, assis un peu raide sur une banquette de la brasserie Wepler, à quelques mètres du cinéma parisien où l'on projette en avant-première le film dont il est un des héros, Sirak raconte. «Quand l'avion a décollé d'Addis-Abeba, les enfants ont crié de terreur. On ne comprenait pas comment c'était possible de voler ainsi dans les airs. On était collés au plancher, on se cramponnait à tout ce qui passait. Cela nous faisait plus peur encore que tout ce que l'on venait de subir !» Alors que beaucoup de familles avaient perdu l'un des siens sur la route, celle de Sirak est arrivée intacte en Israël. Par quel miracle ? «La foi», répond le jeune homme sans l'ombre d'une hésitation, ses grands yeux en amande fixés sur l'invisible. «Sans elle, nous n'aurions pas survécu.»

Un récit entrecoupé de longs silences et de larmes escamotées. Le récit de ces juifs noirs, les seuls juifs parmi les Noirs d'Afrique, les seuls Noirs parmi les juifs du monde entier, extraits de la misère d'Ethiopie par deux gigantesques ponts aériens organisés avec l'aide des Américains par le Mossad (les services secrets israéliens) : les opérations «Moïse» (1984-1985) et «Salomon» (1991), qui permirent à plus de 20 000 juifs éthiopiens, les Falashas, enfin reconnus comme les descendants du roi Salomon et de la reine de Saba, de rallier Israël et d'y découvrir la culture occidentale. Et aussi le racisme et la violence. De cette aventure à la fois heureuse et douloureuse (des milliers de personnes sont mortes de faim ou d'épuisement avant de pouvoir accéder aux avions affrétés par l'Etat hébreu), Radu Mihaileanu a fait un film poignant, Va, vis, et deviens, qui est à ce point une leçon d'histoire que deux syndicats français d'enseignants et de parents d'élèves se sont associés au projet pour l'insérer dans la semaine de lutte contre le racisme à l'école.

Car tout y est : problèmes d'adaptation, culpabilité, rejet... Lui-même juif roumain émigré en France pour fuir la dictature de Ceausescu, Radu Mihaileanu sait tout des «bugs identitaires», comme il dit. Et Sirak peut-être plus encore, qui porte en lui deux tragédies, la Shoah et la colonisation qui, par un étrange raccourci de l'Histoire, s'entrechoquent aujourd'hui même en France.

Comme Shlomo, le jeune héros du film, Sirak, l'Ethiopien, est donc devenu israélien. Pas évident. L'arrivée en Israël d'abord. «On a roulé des heures dans un bus, personne ne savait où nous mettre. A Jérusalem, il n'y avait plus de place.» La famille échoue dans le nord du pays, à Kyriat Shmona, six personnes dans une unique pièce. Dur, mais inespéré vu l'enfer d'où elle surgissait. «On avait un toit, de quoi manger, et surtout on était tous ensemble. C'était l'essentiel.» L'école ensuite, où Sirak est le seul Noir. «C'était la première fois que j'entendais le mot "Nègre"... Je n'avais aucun copain, je n'ai jamais dit à mes parents à quel point cela avait été difficile.»

Et surtout l'«affaire» du sang. Au beau milieu des années 90, les juifs éthiopiens apprennent un jour par la presse que le sang qu'ils offrent en masse au centre israélien de transfusion sanguine est systématiquement détruit de crainte qu'il soit contaminé par le virus du sida. «Pour moi il y a un avant et un après cette histoire», dit Sirak, regard glaçant. Depuis ce jour, la Terre promise est pour lui «une promesse non tenue».

Mais elle reste un Eldorado fascinant. Au bout de trois ans, Sirak finit par s'y sentir chez lui. Beau comme un dieu, il fait tourner les têtes des jeunes Israéliennes «J'avais beaucoup de succès auprès des filles, ça a aidé», confesse-t-il, sourire au bord des lèvres. Il est chez lui, oui, mais pas au point d'enfiler l'uniforme. «Quand mes parents m'ont dit qu'il était temps de partir à l'armée, je leur ai dit que c'était impossible. J'avais vu assez de morts et de souffrances dans ma vie, j'avais fait des milliers de kilomètres à pied, je n'avais plus rien à prouver. Je savais que si j'y allais, je reviendrais détruit. Or, je voulais vivre.» Et puis, l'idée de combattre dans les territoires lui est intolérable. Lui qui appartient à une minorité méprisée en Israël ne se sent pas si éloigné de cette population palestinienne qui ne parvient pas à se faire reconnaître. «Je vis en Israël mais une partie de mon passé est dans les territoires», dit-il. Ses parents ne comprennent pas. Pour eux, l'armée représente le comble de l'intégration dans la société israélienne. «Tu es l'aîné, tu ne peux pas nous décevoir !», lui lance son père. Sirak tient bon et trouve le moyen d'y échapper. A ses frères et soeurs, il ressasse : «C'est vous seuls qui décidez de votre vie, on n'est pas en Afrique ici, on n'a pas besoin de chasser pour survivre !» Débarrassé d'un poids, il entame des études puis découvre le théâtre, la télé (où il devient célèbre grâce à une émission inspirée du Loft), et le cinéma.

«La première fois que j'ai vu Sirak, c'était sur une vidéo, se souvient Mihaileanu. Il avait les cheveux noués en catogan, il parlait avec les mains, il faisait très efféminé, j'étais effaré. Il ne correspondait pas du tout à ce que je cherchais. Mon assistant a insisté. Alors je l'ai auditionné. Je lui ai dit de mettre les mains derrière le dos et de rester immobile. Et là, tout est remonté dans les yeux. Il était extraordinaire. J'ai compris que s'il bougeait ses mains, c'était pour cacher toute la douleur qu'il contenait en lui.»

Sur le tournage, Sirak s'investit comme s'il s'agissait de son propre film, apprenant toutes les répliques par coeur, «coachant» les plus petits. Roschdy Zem, qui joue son père, est devenu quasiment un frère. «Avec lui, on était deux étrangers en Israël, c'est ça aussi qui nous a rapprochés», note l'acteur français d'origine maghrébine.

Aujourd'hui, seule sa notoriété naissante permet à Sirak de vivre à Tel-Aviv. «Les juifs éthiopiens n'ont pas les moyens de vivre dans cette ville. Et on ne les leur donne pas. Au téléphone, je n'avais aucun problème pour obtenir un rendez-vous avec une agence immobilière. Dès qu'on voyait que j'étais noir, la porte se refermait», raconte-t-il. Il applaudit l'Ariel Sharon d'aujourd'hui (« Ce qu'il entreprend, c'est bien, il faut arrêter de faire souffrir les gens, il nous faut la paix») certes, mais s'il rêve d'entrer dans une école de cinéma américaine, c'est aussi parce qu'on lui laisse peu d'espoir en Israël. «Des gens importants de la télé m'ont dit : "Tu as beaucoup de talent, le seul problème, c'est que tu es noir. Il faut que tu ailles aux Etats-Unis. Ici, tu resteras toujours un Ethiopien."»

 


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