Révolution sur fond d’occupation étrangère ! (info # 010807/2)

Par Sami El-Soudi © Metula News Agency


Je ne sais pas à quel jeu s’adonne l’AFP lorsqu’elle soumet à ses abonnés, durant trois jours, une dépêche annonçant qu’ "Arafat poursuit ses réformes (…) (Gaza AFP 05/07/2002)" ?

En quoi le limogeage des chefs de la sécurité de l’Autorité Palestinienne procède-t-il d’une réforme ? En quoi il modifie les fonctionnalités et les procédés de nos services de sécurité ? En quoi sert-il en aucune façon les intérêts de la population palestinienne ?

En rien, bien entendu !

Comme le confiaient avant-hier samedi à la presse les gens de l’entourage du raïs, "il ne faut pas voir dans le remplacement des chefs de la sécurité intérieure la poursuite des réformes entreprises, seulement la mise à l’écart des éléments en qui Yasser Arafat n’a pas une totale confiance".

Profitant sans doute de l’ignorance des enjeux véritables du Proche-Orient par l’opinion publique francophone (et elle y est largement pour quelque chose Ndlr.) l’agence de presse de l’Etat français fourvoie ses clients. Elle les empêche de saisir la portée des événements pourtant primordiaux qui secouent l’Autorité Palestinienne et que j’avais annoncés dès mercredi dernier.

Quand l’AFP ajoute que "Jibril Rajoub accepte son limogeage (Jérusalem AFP 04/07/2002)" elle participe à l’égarement de ceux qui lui font confiance. Je sais qu’à la Ména je suis un analyste et pas un réinformateur mais je lis aussi les dépêches d’agences et là, la manipulation de l’info, à moins qu’il ne s’agisse de pure sottise et d’incompréhension m’ont crevé les yeux !

Quels que soient les buts que ces gens poursuivent et les intérêts qu’ils servent, ils font vraiment du mauvais journalisme. D’autre part, s’ils pensent aider par une propagande pro-Arafat obtuse l’accomplissement de nos aspirations légitimes, ces Français se trompent. La Palestine a, plus que toute autre chose, besoin de clarté et de vérité. Le reste n’est pas ici sujet à pénurie !

Parce qu’en réalité, la passe d’armes entre Rajoub et Arafat est bel et bien en train de se dérouler, et encore, elle suit le plus extrême des scénarios que j’avais imaginé ! Durant le week-end, ça n’est pas moins de mille officiers des services de sécurité qui ont manifesté à Ramallah et à Hébron leur refus du remplacement de leur chef par Zouheir Manasra .

Quelques uns des manifestants ont été reçus à la Moukata, alors que ce sont les troupes israéliennes qui ont empêché une plus grande délégation d’officiers de se rendre en cortège à la résidence du raïs. Ceux qui ont réussi à parler à Arafat ont rejeté ses explications et l’ont averti qu’ils n’obéiraient pas à Manasra.

Pendant ce temps, les murs des deux cités se couvraient de portraits de Jibril Rajoub et de Yasser Arafat, ce qui, dans le langage de notre rue, signifie qu’ils soutiennent la démarche du colonel contre le vieux leader absolu de la cause palestinienne. Peu importe, dans le fond, comment se terminera officiellement ce bras de fer, l’important se situant dans le refus d’obtempérer aux ordres d’Arafat de la part de la seule force militaire digne de ce nom au service de l’AP et de l’émergence – décidée par les circonstances et par la mauvaise évaluation des rapports de forces par la Moukata – d’un chef de file pour l’opposition palestinienne.

Qu’on ne s’y trompe pas, les remous de ces derniers cinq jours modifient la base même du pouvoir en place et s’il fallait faire des pronostics visant à savoir qui sera aux commandes de l’AP au printemps prochain, je miserais sans hésiter sur Jibril Rajoub. En fait, Rajoub avait juste besoin de ce coup de pouce inopiné d’Arafat.

Rappelons que la raison à la source du limogeage des chefs des services de sécurité est à rechercher dans le but d’Arafat d’empêcher la réalisation du plan Bush. Laquelle réalisation passe par une période transitoire de dépolitisation et de sur-sécurisation des territoires administrés par l’Autorité Palestinienne. Les Américains envisageaient le renforcement des forces de la sécurité intérieures, car ils pensaient pouvoir faire confiance à Rajoub et à Dahlan dans cette perspective. Et les deux colonels ne sont pas insensibles aux chants des sirènes de Washington, loin s’en faut. Si on leur en donnait le loisir, ils prendraient même un plaisir non dissimulé à écraser les branches armées des mouvements islamiques, qui étaient instrumentalisées lors de l’Intifada par Yasser Arafat, dans sa dynamique d’insécurité stratégique. L’impossibilité d’en faire façon est l’une des nombreuses impostures promulguées par Abu Ammar et reprises par des âmes naïves ou naïvement sympathisantes.

Le fait primordial de cette révolte, consiste en ce que des éléments constitutifs de l’Autorité Palestinienne s’opposent ouvertement à l’Autorité de Yasser Arafat et dès lors, rien ne sera plus comme avant. Il faut connaître un peu le modus operandi des régimes arabes pour saisir ces signes avant-coureurs des changements de propriétaires. Ceux qui ne s’y sont pas trompés, ce sont les Egyptiens, en dépêchant le général Oumar Souleiman à Jérusalem et à Ramallah. Le général Souleiman est le chef des Moukhabarat, les très puissants services secrets égyptiens. Il est accompagné dans sa mission par le Dr. Ossama Elbaz, qui est souvent, et à juste raison, considéré comme le premier conseiller du Président Moubarak.

Officiellement, les deux émissaires des bords du Nil sont venus constater l’état des réformes entreprises par Arafat et s’assurer que les divergences au sein de l’establishment palestinien ne servent pas l’émergence d’un gouvernement de tendance Hamas. En réalité, les Egyptiens sont bien trop au courant de ce qui se passe chez nous pour se berner de ce type de fadaises. Et les Egyptiens ont ceci de particulier dans le monde arabe, qu’ils ne s’occupent QUE de la préservation de leurs propres intérêts. Dans cette optique, ils sont convaincus de la chute inéluctable du raïs et ils participent, du bout de la langue, aux discussions gérées par la Maison Blanche en vue de la préparation de l’après Arafat. Ceci dit, et même si le Président Hosni Moubarak abhorre le leader palestinien, Arafat a toujours et cependant constitué le lien égyptien à l’intérieur de la révolution palestinienne. Et pour les Egyptiens, comme pour la plupart des grands pays arabes, un levier vivace au sein de la direction palestinienne est absolument indispensable. Il est nécessaire afin de briguer le leadership du monde arabe.

N’oublions pas, à cet égard, que le locataire de la Moukata a passé le plus clair de sa jeunesse au Caire, où il a reçu l’essentiel de son éducation. Il parle d’ailleurs l’arabe avec des intonations égyptiennes clairement discernables pour une oreille exercée. Bien plus que tout cela, Arafat procède par des raisonnements égyptiens dans l’ordination de ses idées et quel que soit l’état conjoncturel de ses relations avec les dirigeants cairotes, il n’a jamais rompu le lien ombilical qui l’attache à l’Egypte.

Les émissaires de Moubarak sont donc des ambassadeurs, dans l’acception ancienne de la mission d’ambassadeur, qui viennent tâter le terrain pour voir à qui confier les intérêts égyptiens parmi la nouvelle vague des dirigeants palestiniens. Il viennent aussi se rendre compte de visu et constater par eux-mêmes du degré d’érosion du régime arafatien.

Il se pourrait bien que Yasser Arafat soit déchu par une émulation de son propre système du "diviser pour régner, diviser pour subsister" ! Cela, parce que les organismes qu’il avait conçus dans ce dessein étaient trop nombreux et trop indépendants en substance. Et si les hommes de Rajoub refusent d’obéir à Zouheir Manasra, ça n’est pas principalement parce que ce dernier, gouverneur de Jénine à l’époque de l’opération Rempart, a déguerpi de la ville bien avant l’arrivée des Israéliens. C’est surtout parce qu’ils sont bien équipés, bien entraînés et bien payés, par des services qui dépendent directement de la personnalité de leur chef Jibril Rajoub. L’ordre imposé par Rajoub est un peu à l’image des armées privées du Moyen Age chrétien, période durant laquelle les seigneurs levaient des armées, qui s’entretenaient en pillant les campagnes et en faisant respecter leur ordre, par l’usage de la terreur le cas échéant.

Rajoub est l’un de ces seigneurs justement, qui dispose de dizaines de business éparpillés sur tout le territoire palestinien. Comme les seigneurs de son genre, il pratique par le racket et la vente d’indulgences mais qu’en importe-t-il à ses soldats ? Ils touchent leur solde, les Israéliens les épargnent et les traitent presque comme leurs égaux et, de plus, dans la chienlit ambiante et dans la misère omniprésente de la Palestine de l’Intifada, leur chef poursuit une conduite logique et conséquente.

A l’heure d’envoyer ce papier, Yasser Arafat ne dispose pas des moyens d’imposer sa discipline à Jibril Rajoub – dans cette passe surréaliste, qui se déroule sous occupation israélienne, sans être le moins du monde dérangée par la présence des tanks juifs - . Soit Rajoub a reçu le feu vert de Washington, du Caire et de Tel Aviv (Jérusalem Sami, Jérusalem ! Ndlr.), soit, surpris par l’erreur du raïs, ces parrains de la nouvelle Palestine vont lui demander d’attendre encore un peu. De toutes les façons, ça n’est plus qu’une question du choix d’une conjoncture régionale favorable. Le décor et les figurants sont en place.

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