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"Sans ambiguïté", par Claude Lanzmann

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LE MONDE | 05.11.01 | 12h29 | analyse
"Sans ambiguïté", par Claude Lanzmann


Mon film Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures a été présenté au Festival de New York le 11 octobre, un mois jour pour jour après "le triomphe de la mort" dans les tours jumelles du World Trade Center - les Américains disent "the disaster". Le récit de Yehuda Lerner, le héros de la révolte de Sobibor, sanctifie la vie, absolument, au cœur de cet autre royaume de la mort qu'était le camp d'extermination nazi. Dans un geste de liberté fondatrice, animés d'un courage proprement surhumain, Lerner et ses camarades se réapproprient la violence et tuent pour mettre un terme au massacre des innocents. Les spectateurs new-yorkais comprirent que le film, sans l'avoir cherché, s'adressait à eux plus encore.

J'avais, la veille, survolé, venant du nord, la côte américaine dans un ciel bleu déchirant, clair et net, la baie de Boston, et l'aéroport de cette cité marine d'où Mohammed Atta avait lui-même décollé le 11 septembre par une identique matinée, pacifique et glorieuse. Il ne faut pas trois quarts d'heure pour relier Boston à Newark ou Kennedy Airport et je l'imaginais aux commandes de l'appareil dont lui et les autres fous de Dieu s'étaient emparés, fonçant à 600 à l'heure vers la tour nord qu'il apercevait maintenant, dressée à la pointe de Manhattan, miroitante signature de l'aventure et du génie humains.

Il faut s'interroger, s'étonner sans fin : que se passe-t-il, au dernier instant, à la seconde ultime, avant que l'avion ne se change en une tournoyante boule de feu, oui, que se passe-t-il dans la tête de ces donneurs de mort qui aiment tellement la mort qu'ils s'immolent eux-mêmes pour provoquer le plus terrifiant carnage ? Je suis resté des heures à scruter les photographies de Mohammed Atta et de Ziad Jarrahi. Leurs visages lisses et fermés ne livrent aucune clé. Les consignes et mots d'ordre pour les moments qui précèdent le passage à l'acte rendent peut-être tout plus opaque encore : ouvre ton âme et cire tes souliers, gaine fermement ton slip autour de tes bourses, on peut ainsi résumer sans trahir la monotone, lugubre et inepte litanie des recommandations dernières. Les 70 vierges qui attendent, au paradis d'Allah, les sexes calcinés des suicidés assassins n'énoncent rien d'autre que le désir honteux et la haine des femmes, en même temps que le désert irrémédiable des "civilisations de frères" (cf. l'Algérie).

Le 11 septembre fut, à la lettre, un événement inouï, inhumain, haïssable, qui ne souffre pas qu'on le condamne obliquement, au passage, en une génuflexion hâtive, comme pour s'en débarrasser au plus vite et revenir obscènement aux vieilles antiennes. Je ne crois pas, moi non plus, que les bombardements sur l'Afghanistan soient la réponse appropriée et suis d'autant plus à l'aise pour l'écrire que j'ai été parmi les minoritaires qui dénoncèrent les frappes contre la Serbie. Mais ceux qui, après un pareil crime, un tel meurtre de masse, un désastre qui porte atteinte à l'humanité entière, s'empressent de proclamer qu'ils ne sont "pas américains" ou semblent renvoyer dos à dos les tueurs et les victimes, cherchant des justes raisons à l'injustifiable, se mettant à battre leur coulpe et la nôtre - ce que j'ai appelé ailleurs un néopétainisme rampant -, ceux-là, c'est le moins qu'on puisse dire, sont incapables de diriger sur l'horreur un regard frontal, se réfugient dans la pire frivolité à l'instant même où ils prétendent penser et, quoi qu'ils en aient, légitiment le terrorisme.

Ont-ils vu, aux quatre coins de New York, les immenses panneaux mobiles, placardés des photographies des 6 000 disparus, d'avis de recherche désespérés des proches qui ne veulent pas y croire ? La plupart sont de pauvres gens, Portoricains, Mexicains, Chinois, Haïtiens, Arabes, etc. Mais "la résistance à la mondialisation marchande", pour reprendre la formulation tristement parodique d'un appel "lancé par 113 intellectuels français" (Le Monde du 22 octobre) vaut peut-être qu'on passe par pertes et profits cette douleur infinie, comme au meilleur temps du Savoir absolu.

Il est vrai que les mêmes déclarent condamner "sans ambiguïté" les crimes du 11 septembre. Se rendent-ils seulement compte du comique sinistre de ce "sans ambiguïté" ? Mais c'est l'appel tout entier, avec son vieil anti-impérialisme mécanisé et la lassante répétition des éternels signataires, revenus à leur haine originaire, celle d'Israël, plus coupable que Ben Laden, coupable de l'avoir créé, seul coupable pourquoi pas, qui atteste leur totale impuissance à affronter la nouveauté radicale de l'événement. Leur anti-impérialisme s'évanouirait sans doute comme par enchantement si un jour - ce qu'à Dieu ne plaise - l'OTAN ou les Etats-Unis lâchaient leurs bombes sur Israël.

Claude Lanzmann est cinéaste et directeur de la revue "Les Temps modernes".
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 06.11.01

 


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