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Sharon controle son escalade, par Michel Gurfinkiel |
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Israël : Sharon contrôle son escalade
Scénario : Raids contre les Syriens au Liban et contre les Palestiniens à Gaza : avec
l'escalade militaire, la stratégie israélienne change de vitesse. Les États-Unis n'apporteront
leur soutien que jusqu'à un certain point.
par Michel Gurfinkiel
Tournant majeur dans la crise du Moyen-Orient : le 16 avril, les Israéliens répliquent à une
opération du Hezbollah (où l'un de leurs commandants de char, quelques jours plus tôt, avait
trouvé la mort) en bombardant un radar syrien au centre du Liban ; le 17, après des tirs de
mortier palestiniens dirigés contre des localités du Néguev (et contre Shikmim, la ferme de
leur premier ministre, Ariel Sharon), ils envoient leurs chars à Gaza.
Dans les deux cas, il ne s'agit pas seulement de représailles, mais d'une montée en puissance,
d'une "riposte graduée" ou "escalade", au sens précis que ce mot revêt dans le langage
militaire. Jusqu'à présent, on frappait des comparses ou des prête-noms ; désormais, Tsahal
s'en prend à l'adversaire principal, en tant que tel.
« Chacun savait que derrière l'organisation intégriste libanaise Hezbollah, il y avait les
services secrets syriens et l'infrastructure de l'armée syrienne d'occupation au Liban »,
commente Aryeh Stav, le directeur de la revue géopolitique Nativ. « Mais depuis 1982, la classe
politique de Jérusalem s'interdisait tout affrontement avec Damas. » En visant, cette
fois, un
radar syrien, les Israéliens font sauter le tabou. Parenthèse : en 1982, quand les Israéliens
avaient défié les Syriens pour la dernière fois et les avaient écrasés, Sharon était
ministre de la Défense.
Le coût politique d'une rupture avec Arafat.
Même logique vis-à-vis des Palestiniens. Les Israéliens ont su très vite, dès 1994, que Yasser
Arafat biaisait avec les accords d'Oslo et continuait à encourager diverses formes de
confrontation : terrorisme, émeutes, "nouvelle intifada". Ils ont pourtant fermé les yeux.
Parce qu'ils redoutaient le coût politique ou diplomatique d'une rupture du "processus de
paix".
En envoyant les blindés à Gaza, ne fût-ce que pour quelques heures, Sharon indique que cette
situation est révolue. La ville de Gaza, en effet, se situe dans la "zone A" des Territoires
autonomes palestiniens (40 % de la Cisjordanie et Gaza) : le secteur où l'Autorité
palestinienne est quasi souveraine. « Nous n'avons pas l'intention de reconquérir ce qui a été
d'ores et déjà été accordé aux Palestiniens », expliquait Sharon dès le mois
de mars. « Sauf
bien sûr dans le cadre de la légitime défense... »
Des messages ont été envoyés à la Syrie.
L'"escalade" n'est pas la guerre. Elle est même destinée, en principe, à l'éviter : plus on est
explicite dans ses mouvements militaires, plus on met l'adversaire devant ses responsabilités,
et plus on diminue le risque d'un conflit survenant "par hasard" ou "par suite d'un
malentendu". Sharon et son gouvernement ont fait savoir à plusieurs reprises à la Syrie, au
cours des dernières semaines, qu'ils étaient prêts à reprendre les pourparlers de paix
interrompus le 1er avril 2000. Parallèlement, ils ont gardé le contact avec Yasser Arafat.
Sharon a chargé son propre fils, Omri, de servir de truchement avec le président
de l'Autorité
palestinienne. Un geste qui, formellement, va à l'encontre d'une loi israélienne interdisant à
un homme politique de confier des missions officielles aux membres de sa famille
mais auquel un
dirigeant arabe ne peut qu'être sensible.
Mais si l'"escalade" n'est pas la guerre, elle n'en repose pas moins sur la possibilité d'un
recours effectif à la guerre. La riposte graduée n'a de sens que si tous les degrés peuvent
être envisagés, y compris le degré suprême. « Notre armée est la plus puissante du
Moyen-Orient, et de loin », explique le général Efraïm Etam-Fein. Général d'armée jusqu'en
janvier 2001, il a démissionné pour « objection de conscience » : « Je ne pouvais accepter plus
longtemps l'autocensure que le gouvernement nous imposait. Le pays a droit à la vérité. »
Des sous-marins qui décuplent la dissuasion israélienne.
L'efficacité de Tsahal a semblé décroître dans les années quatre-vingt-dix. « Parce que le
gouvernement lui interdisait de faire son métier, la guerre, et d'utiliser pleinement son
potentiel », poursuit Etam-Fein. Un exemple : as mondiaux de la haute technologie, les
Israéliens sont aussi, sur le plan militaire, des spécialistes de la « gestion intégrée du
champ de bataille », c'est-à-dire de méthodes de combat combinant armes intelligentes,
surveillance électronique, imagerie et liaisons satellite. Mais jusqu'aux dernières semaines de
l'année 2000, Tsahal n'y recourait contre les Syriens ou les Palestiniens que de façon limitée.
Finalement, le commandant en chef, Shaul Mofaz, a obtenu le feu vert des politiques Ehud Barak
puis Ariel Sharon et son ministre de la Défense, le travailliste Benjamin Ben-Eliezer dans
un
nombre de plus en plus étendu de situations, y compris l'élimination "chirurgicale" de chefs
terroristes.
Un autre exemple. Israël est une « puissance nucléaire non déclarée » depuis le début des
années soixante-dix. Mais sa capacité de dissuasion a considérablement augmenté depuis
l'acquisition, en 1998, de sous-marins de fabrication allemande, indétectables par les ennemis.
Dans un scénario du pire, il pourrait désormais frapper toutes les capitales de la région, y
compris Téhéran.
Le gouvernement Sharon serait sans doute passé à la riposte graduée de toutes les façons, quel
que soit le contexte international. C'est l'opinion du journaliste de gauche Nahum
Barnea.
Figure noble et tragique, il a continué à défendre l'idée d'un compromis avec les Palestiniens
après la mort d'un de ses fils dans un attentat, en 1996. Aujourd'hui, il reconnaît : « Les
Syriens et les Palestiniens ne veulent pas la paix. S'ils l'avaient voulue, ils l'auraient
faite l'année dernière, avec Barak. Tant qu'ils n'auront pas évolué, Israël doit se défendre. »
En outre, l'arrivée au pouvoir de George W. Bush a facilité les choses. Le quarante-troisième
président des Etats-Unis, ranchman du Texas, éprouve une vive sympathie personnelle
pour Sharon, soldat-paysan du Néguev. Beaucoup de membres de son cabinet sont des chrétiens
fondamentalistes, attachés à la Bible et au peuple de la Bible. Mais surtout, la nouvelle
administration de Washington s'inquiète de la « dynamique extrémiste » qui affecte en ce moment
le monde arabe et musulman.
Bachar el-Assad se rapproche de Saddam Hussein.
Le vieux dictateur Hafez el-Assad était ce qu'il était : cynique, mais prudent. En 1990,
prenant acte de l'effondrement de son allié soviétique, il s'était rapproché des Etats-Unis et
s'était engagé, ne fût-ce que du bout des lèvres, dans un processus de paix avec Israël. Son
fils Bachar, qui lui a succédé en juin dernier, semble avoir fait d'autres choix. Il cherche à
consolider son régime, fondé sur la minorité alaouite du nord-ouest du pays, en s'alliant avec
les intégristes sunnites. Et il a esquissé une réconciliation avec l'Irakien Saddam Hussein, en
qui Hafez voyait l'« ennemi principal ».
L'administration Bush estime que le retournement du domino syrien peut avoir des conséquences
dramatiques dans le monde musulman. Il relance les espoirs des révolutionnaires en
Arabie
saoudite et dans les autres pays pétroliers du Golfe. Il renforce l'aile ultra du régime
islamiste en Iran. Dans ce contexte, le soutien à Israël n'est plus une affaire de sympathie
mais de nécessité stratégique. A condition que le gouvernement Sharon sache contrôler son
escalade.
Après le raid israélien de lundi au Liban, le Département d'Etat a appelé tous les pays de la
région à « mettre fin à une tension initiée par les agressions du Hezbollah ». Ce qui revenait
implicitement à justifier l'opération. Mais le raid à Gaza, le jour suivant, a été qualifié d'«excessif » et de « disproportionné »,
notamment dans la mesure où Tsahal ne semblait pas pressée de retirer ses blindés de la "zone A". Proportion : un mot-clé.
© Valeurs Actuelles 2001
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