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Sur le chemin de Durban |
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Par ELIE BARNAVI
Elie Barnavi est ambassadeur d'Israël en France.
LIBERATION, Le jeudi 30 aout 2001
Le racisme est une doctrine de hiérarchisation des groupes humains en fonction de
caractères génétiques indélébiles, aux antipodes du sionisme, héritier, pour
l'essentiel, de la Révolution française.
En novembre 1975, l'Assemblée générale de l'ONU adoptait une résolution assimilant le
sionisme à une forme de discrimination raciale. Ce faisant, elle oubliait que l'Etat
d'Israël, enfanté par cette même idéologie qu'elle vouait désormais aux gémonies,
avait été naguère fondé en vertu d'une autre de ses résolutions. Seize ans plus tard,
elle abrogeait la résolution de 1975. Le sionisme avait-il changé de nature?
L'Assemblée générale s'était-elle livrée à un examen de conscience? Ni ceci ni cela.
Simplement, les rapports de force en son sein avaient changé, et, le processus de paix
enfin lancé, l'atmosphère aussi. Partie nulle? Pas vraiment. Dans cette affaire, l'ONU a
perdu en crédibilité, et son ambition à jouer un rôle au Proche-Orient s'en est
ressentie. Kofi Annan a beaucoup fait pour rétablir l'une et l'autre. Il serait dommage
que tant de louables efforts soient à nouveau compromis.
Troisième acte. La Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la
xénophobie et l'intolérance de l'ONU doit se réunir à Durban du 31 août au 4
septembre. Evénement de portée considérable, ce rassemblement est censé établir à
l'échelle de la planète, dans un grand élan de fraternité humaine, une stratégie de
lutte contre l'un des fléaux les plus dégradants et destructeurs que l'homme ait
imaginé pour humilier et exploiter son semblable. Hélas, la Conférence est mal partie.
N'ayant apparemment rien appris de la farce lamentable de 1975, les Etats arabes et leurs
alliés de l'OC(Organisation de la conférence islamique) entendent remettre ça. Certes,
il ne s'agit plus de reprendre telle quelle l'équation stupide sionisme = racisme, trop
d'Etats, à commencer par les Etats-Unis et l'Europe, ne veulent plus en entendre parler.
Mais, à l'heure où j'écris ces lignes, la dernière réunion préparatoire de Genève
s'est achevée sur un constat de désaccord, alors que les documents projetés fourmillent
de déclarations incendiaires sur le sionisme, l'Holocauste et l'antisémitisme qui, mises
bout à bout, valent bien ladite équation, et pis.
Voici dix vérités simples, de quoi nourrir la réflexion de ceux qui s'apprêtent à
prendre le chemin de Durban et de leurs mandants:
1. Le sionisme est le mouvement national du peuple juif. Nourri par une mémoire
millénaire, inspiré par le mouvement des nationalités du XIXe siècle, rendu
incontournable par le génocide nazi et porté sur les fonts baptismaux par les Nations
unies, le sionisme aspirait légitimement à créer
un Etat-nation pour le peuple juif sur la terre qui a vu naître ce peuple.
Ce qu'il a fait.
2. Ce faisant, il s'est trouvé en butte à des nationalismes concurrents, arabe d'abord,
puis palestinien. Aussi bien, le conflit du Proche-Orient est un conflit national, au
même titre que tant d'autres conflits nationaux qui ensanglantent notre planète. Dans
chacun de ces conflits nationaux, il y a fatalement une part plus ou moins importante
d'ethnocentrisme et de xénophobie. Chacun appréciera, en fonction de ses propres
préférences idéologiques, de ses sympathies et de ses antipathies, la part
d'ethnocentrisme et de xénophobie chez les uns et les autres dans la guerre qui déchire
le Proche-Orient. Mais nul n'a le droit de dénaturer l'essence de ce conflit.
3. Stricto sensu, le racisme est une doctrine de hiérarchisation des groupes humains en
fonction de caractères génétiques indélébiles. Ainsi défini, il est aux antipodes du
sionisme, doctrine héritière pour l'essentiel, François Furet l'a montré en son temps,
de la Révolution française interprétée par le populisme russe.
4. L'Holocauste est et doit rester dans ce qu'il a de particulier le symbole de l'horreur
humaine dans ce qu'elle peut avoir d'universel. Le mettre au pluriel et le priver de
capitale(«holocaustes») n'est pas seulement un déni de justice et une insulte
insupportable à la mémoire des victimes; c'est aussi une éclipse de l'intelligence des
phénomènes historiques et un affaiblissement dangereux des défenses immunitaires de
l'humanité. Les mots comptent. Si CRS = SS, il n'y a plus de SS; si une baffe donnée
dans un commissariat est du fascisme, alors il n'y a plus de fascisme; si chaque
accrochage en Cisjordanie s'apparente à un génocide, alors il n'y a plus de génocide.
5. Et pour compléter cette tendance à la banalisation du langage, ajoutons qu'il n'y a
ni apartheid ni nettoyage ethnique en Israël. Pas de plages séparées, ni de cinémas
exclusifs, ni de places réservées à l'arrière des autobus. Les citoyens y votent selon
le principe «one man one vote». Il y a des généraux druzes, des Arabes siègent au
gouvernement, à la Knesset et à la Cour suprême. On a honte de rappeler ces évidences,
mais certains mots, employés à tort et à travers, n'ont plus de sens hélas! Est-ce à
dire
qu'Israël est un paradis des droits de l'homme? Non, bien sûr. Comme partout dans le
monde, du chemin reste à faire... Mais, de grâce, qu'on nous épargne à Durban les
souvenirs sud-africains.
6. Si le conflit du Proche-Orient n'a rien à faire à Durban, l'antisémitisme y a, lui,
toute sa place. On ne m'en voudra pas de rappeler ici ce qui ne devrait plus avoir besoin
d'être rappelé: inventé à la fin des années 1870 par le publiciste allemand antijuif
Wilhelm Marr, antisémitisme ne signifie point je ne sais quelle hostilité contre les
Sémites, mais la haine des seuls juifs. Dans cette acception raciale, l'antisémitisme
est donc une invention occidentale moderne - le vieil antijudaïsme chrétien, dûment
laïcisé. Introduits dans le monde arabe à la faveur du colonialisme et exacerbés par
la guerre israélo-arabe, l'antisémitisme et son frère siamois le négationnisme sont
devenus avec ces derniers troubles des armes de guerre d'un usage quotidien d'une
effrayante banalité. Il faut savoir que les propos récents du président Assad, qui ont
tellement scandalisé les Français, sont anodins comparés à ce qu'on lit, entend et
voit dans les médias arabes, dans les mosquées et les universités.
7. Le sort des Palestiniens n'est pas enviable (celui des Israéliens non plus, soit dit
en passant). Mais de la Tchétchénie à la Macédoine en passant par le Timor oriental et
le Soudan, des conflits autrement sanglants ne bénéficient guère des honneurs de la
Conférence mondiale contre ceci, cela et le reste - toutes guerres, pourtant, dont les
fleurs vénéneuses fleurissent en toute impunité internationale. La tentative de
singulariser Israël, dans cette arène internationale comme dans tant d'autres, constitue
un scandale moral.
8. La diabolisation de l'Etat d'Israël est non seulement moralement inacceptable; elle
est aussi politiquement absurde, du moins si l'on entend toujours faire la paix avec cet
Etat. En effet, on ne traite pas avec le diable, on le combat jusqu'à ce que la lumière
ait raison des ténèbres.
9. La diabolisation de l'Etat d'Israël et la mise au pilori de l'idéologie qui l'a
fondé constitueraient un véritable assaut non seulement contre cet Etat, mais contre le
peuple juif tout entier. Des juifs, je le sais, trouveront cette affirmation abusive.
Libres à eux de s'en désolidariser; mais, au-delà des pétitions de principe, je les
mets au défi de me prouver qu'elle est fausse.
10. Tout cela ne veut évidemment pas dire que la critique politique du gouvernement
d'Israël soit interdite à quiconque, juif ou non juif, et que toute critique du
gouvernement d'Israël s'apparente à l'antisémitisme. Mais, comme en 1975 à New York,
ce qui est en question vingt-six ans plus tard à Durban n'est pas telle ou telle
politique de telle ou telle équipe au pouvoir à Jérusalem, mais la légitimité même
et l'assise morale de la nation israélienne.
Pour conclure, l'objet de la Conférence de Durban est et doit rester la lutte contre le
racisme. Son détournement serait pire qu'un crime, une faute politique majeure.
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