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La convergence des totalitarismes |
PAR ALEXANDRE DEL VALLE* ET MARC KNOBEL**
22.04.2002
La percée des candidats trotskistes réunis et de candidats se revendiquant
de mouvances ultra-radicales dites « anti-mondialisation » atteste hélas de
la bonne santé, en France, des idéologies totalitaires d'extrême gauche. Le
plus choquant n'est pas tant le fait que des adeptes de la révolution
permanente soient si nombreux, mais surtout que l'extrême gauche apparaisse
si « sympathique », banalisée, légitimée, même. Il est vrai que José
Bové, Laguiller, Besancenot ou encore Toni Negri en Italie (idéologue des
Brigades rouges et des « anti-mondialisation »), en tant que pseudo-défenseurs
des « opprimés », des sans-papiers, ou des « martyrs palestiniens », se
positionnent systématiquement du côté des victimes, même si leurs maîtres
à penser (Lénine, Trotski, Mao, Pol Pot, etc.) furent de cyniques bourreaux.
En fondant leur identité et leur propagande sur la lutte contre le «
fascisme » et le « racisme », les adeptes du totalitarisme rouge n'auront
certes jamais l'air aussi terribles que les « fascistes » gris. Et
pourtant... Les événements qui ont marqué l'actualité récente –
attentats islamistes, insécurité, actes antijuifs –, sont pour les
auteurs de cet article l'occasion de démythifier l'extrême gauche, dont nous
savons par ailleurs qu'elle est éminemment totalitaire et agressive dans ses
slogans, ses méthodes et ses buts (Carlos, Action directe, Brigades rouges,
Armée rouge, etc.).
La gauche radicale ne cesse, en effet, de mettre de l'huile sur le feu, sous
couvert d'antisionisme, lorsqu'elle relaye les thèses les plus violentes et
éculées des islamistes et des propalestiniens les plus antijuifs. Ainsi, la
très pacifiste Arlette était-elle en tête de cortège de la manifestation
propalestinienne du 23 mars aux côtés de militants de la LCR, d'anarchistes
et de fondamentalistes musulmans agitant des drapeaux du Hezbollah et hurlant
des « Allah ou Akbar » et des « mort à Israël ». Pendant ce temps, José
Bové, de retour de Ramallah, où les militants « anti-mondialisation » qui
avaient sévi à Gênes s'étaient posés en « boucliers humains » pour protéger
Yasser Arafat, accusait les services israéliens d'avoir fomenté les actes
antisémites perpétrés en France, en vertu de l'habituelle théorie du
complot : « à qui profite le crime ? ». On rappellera d'ailleurs que c'est
une frange de l'ultra-gauche (Vieille Taupe) qui développa les thèses négationnistes
dans les années 70-80, l'un des buts avérés étant de délégitimer l'Etat
d'Israël. Dans la même logique, c'est toute une partie de l'extrême gauche
(comme d'ailleurs de l'extrême droite), qui relaya, peu après les attentats
du 11 septembre, l'intox, lancée par le Hamas, selon laquelle la CIA et le
Mossad auraient perpétré les attentats antiaméricains, afin de « justifier
une vaste ratonnade internationale contre les Musulmans ».
Ici, la palme de l'outrance revient à l'intellectuel propalestinien Michel
del Castillo qui osait dire, alors que les cadavres du World Trade Center étaient
encore sous les décombres : « Je ne deviendrais jamais un Américain. [...]
En semant la mort chez le Satan américain, Ben Laden ne poursuit aucun but
politique. Il s'imagine livrer un combat spirituel avec, fatalement, des armes
disproportionnées, parce que toute la puissance se trouve du côté de
l'adversaire [...]. Nous devinons ce que Dostoïevski eût dit et pensé de
Ben Laden, des fous de Dieu : ce n'est pas une bête féroce. C'est un homme
[...], mon semblable. » Quant à Toni Negri, il avait déclaré que « sa
compassion » n'allait « que pour les sans-papiers » disparus avec les Twin
Towers. Inutile de revenir sur les propos outranciers d'un Dieudonné «
antiraciste » déclarant « préférer Ben Laden à Georges Bush » et
fustigeant le judaïsme, ou encore ceux du linguiste d'extrême gauche américain
Noam Chomsky dénonçant une « imposture planétaire » dans les attentats de
Manhattan et profitant de l'occasion pour rendre une fois de plus l'Etat hébreu
responsable de la « colère légitime des islamistes » et du tiers-monde.
Egalement explicite, Daniel Gluckstein, candidat du Parti des travailleurs
(PTA), préfère chanter L'Internationale que La Marseillaise et se lance dans
la course à la diabolisation d'Israël, laissant le porte-parole du PTA algérien
déclarer – lors d'un meeting tenu le 5 avril – : « Nous
ne reconnaîtrons jamais l'Etat d'Israël, car il est une menace pour tous les
peuples de la région, la solution ne peut être qu'un seul Etat, un Etat
palestinien... »
Lorsque l'intellectuel communiste portugais José Saramago déclare, de retour
de Palestine : « Ramallah, c'est Auschwitz » ; lorsque José Bové affirme
que la campagne qui est menée par le gouvernement Sharon contre le terrorisme
palestinien s'apparente « aux actes commis par les nazis » pendant la
Seconde Guerre mondiale, lorsque les adeptes de Trotski et de Marx soumettent
continuellement Israël à la reductio ad Hitlerum, lorsque les Juifs eux-mêmes
sont accusés d'être racistes parce qu'ils soutiennent l'Etat hébreu, nous
avons bel et bien affaire à une forme particulièrement pernicieuse de
banalisation de la Shoah doublée d'un insupportable « détournement de mémoire
».
En participant à ce type de réduction, les intellectuels d'extrême gauche
ne font que relayer la traditionnelle propagande négationniste et participent
au vaste mouvement de nouvelle judéophobie – si bien analysée par
Pierre-André Taguieff et William Goldnadel –, que l'on voit se
manifester aussi bien lors d'attaques antijuives en France ou en Belgique qu'à
l'occasion de saccages de synagogues à Kiev ou avec les attentats kamikazes
antijuifs à Tel-Aviv ou en Tunisie.
En fait, si des Michel del Castillo, des José Bové ou des trotsko-lénino-marxistes
accablent systématiquement l'Etat hébreu puis se permettent de justifier,
nier ou minimiser les actes antijuifs en France comme la barbarie islamiste,
c'est en fait parce que la gauche radicale n'aime les juifs que lorsque
ceux-ci sont non seulement déjudaïsés (Marx, La Question juive), mais
surtout réduits à l'état de diasporas passives incapables de se défendre
et dont la douleur peut être instrumentalisée à l'envi dans le but cynique
de délégitimer l'idée même d'Etat-nation par essence « fasciste ».
Inversement, le juif est considéré comme son pire ennemi dès lors qu'il
revendique lui aussi son droit à un foyer national, à la souveraineté et à
la sécurité. En termes clairs, Israël est l'Etat à qui l'on pardonne le
moins d'être un Etat souverain, d'où la focalisation et la surmédiatisation
du conflit israélo-palestinien au détriment d'autres dossiers mille fois
plus dramatiques comme la guerre civile algérienne, laquelle mobilise étrangement
bien moins les passions dans les banlieues et les coulisses de la LCR ou de
LO...
Rappelons-nous le slogan CRS=SS. Rappelons-nous également l'autre slogan
soixante-huitard « il est interdit d'interdire » puis l'impératif de « révolution
permanente » des trotskistes, et nous comprenons alors à la fois pourquoi le
Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB), les Jeunesses révolutionnaires
européennes (JRE) ou Droit au logement (DAL) excitent les jeunes beurs et les
sans-papiers contre l'ordre établi et pourquoi Arlette Laguiller et la gauche
internationaliste en général refusent de parler d'insécurité et d'antisémitisme
dans les banlieues. Le palestinisme constitue pour les adeptes d'utopies
totalitaires internationalistes l'archétype même du combat progressiste des
« sans-Etats », des victimes du « colo nialisme » et du « racisme ».
L'Etat occidental de tradition « judéo-chrétienne » (la France comme Israël)
est pour eux mauvais par essence, tandis que les arabo-musulmans en général
(assimilées aux persécutés palestiniens), sont des victimes par nature ne
pouvant jamais avoir réellement tort ou être coupables, mêmes lorsqu'elles
prennent la forme néo-barbare de kamikazes islamistes ou de beurs agressant
des juifs ou des policiers dans les banlieues, puisqu'elles ont idéologiquement
raison du seul fait de s'opposer à l'ordre établi « occidentalo-sioniste ».
A ce titre, la recrudescence de l'extrême gauche nous paraît aussi grave que
celle de l'extrême droite. Qu'il s'agisse de l'Italie, où les « nouvelles
Brigades rouges » ont déclenché une nouvelle série d'attentats puis
contracté une alliance avec les mouvements islamistes ; de la France, où se
dessine une alliance idéologique rouge-vert, voire rouge-brun-vert, particulièrement
inquiétante autour des thèmes de l'antisionisme et du négationnisme (succès
des thèses de Norman Finkelstein, Roger Garaudy, Noam Chomsky) ; ou des
territoires occupés, dans lesquels se renforce une alliance «
nationale-islamiste » et où le très marxiste FPLP gère des opérations
terroristes avec le Hamas – la convergence des totalitarismes est
plus actuelle et inquiétante que jamais. Et les scores des organisations
trotskistes comme la popularité du josé-bovisme sont le signe d'une mauvaise
santé de la société française, laquelle semble être tentée de recycler
ses vieux démons judéophobes sous les couleurs progressistes et
pseudo-antiracistes du palestinisme et du gauchisme.
* Alexandre del Valle est l'auteur de Guerres contre l'Europe (Syrtes, 2001).
** Marc Knobel est chercheur au Centre Simon-Wiesenthal.
(1) P. A. Taguieff, La Nouvelle Judéophobie, Mille et Une Nuits, W.
Goldnadel, Le Nouveau Bréviaire de la haine, Ramsay.
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