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LA NAUSEE |
Un grand hebdomadaire consacre cette semaine ses colonnes au désarroi des
juifs de France, avec cette question, comme un leitmotiv en filigrane : dans
quel ordre ceux ci se situent-ils ? D’abord juifs ou avant tout français ?
J’imagine que la réponse ne peut être fournie d’un bloc tant les
sensibilités et les opinions divergent dans cette communauté.
Il y a cependant une réflexion qu’on peut énoncer pratiquement sans risque
: si l’on voulait encourager les juifs à quitter la terre des Droits de
l’Homme, on ne s’y prendrait pas autrement.
Je sors à l’instant de l’émission diffusée en ce 11 octobre 2002 sur
France 2 et consacrée à Gaza.
Pompeusement affublée du titre de « contre-courant », cette diffusion
rejoint, au contraire, le flot des jugements habituels et banals sur le
conflit israélo-palestinien où seul un point de vue est privilégié, où
seul un protagoniste souffre quand l’autre l’opprime, où seule une
revendication semble juste, où seuls certains sont mutilés, où seul un camp
est habité d’un idéal légitime.
Bien entendu, comme d’habitude, l’alibi du reportage réalisé par un israélien
pacifiste est utilisé, permettant aux médias désinformateurs de s’exonérer
de toute responsabilité quant à la distorsion de la vérité qui pourrait en
résulter. Il est remarquable, à ce propos, de constater le nombre
impressionnant d’intellectuels et journalistes israéliens stigmatisant non
seulement la politique de leur gouvernement, mais également les principes mêmes
de l’existence d’Israël ,que nos organes de presse écrite ou
audiovisuelle arrivent à dénicher, à tel point que l’on peut
s’interroger, s’ils sont si représentatifs de l’opinion de leurs
concitoyens, sur les raisons pour lesquelles Israël n’a pas encore cédé
aux exigences de dirigeants palestiniens toujours plus avides.
En fait, à en croire ce reportage, qu’y voit-on ? Qu’Israël est partagé
entre un courant d’ultra droite revendiquant un territoire incluant le
Liban, la Jordanie et plus encore, d’une part, et une mouvance ultra
pacifiste prête à toutes les concessions et tous les abandons, d’autre
part. Or, les sondages parus en Israël montrent bien que ces deux tendances
sont tout à fait minoritaires. On est alors en droit de s’interroger sur
les buts recherchés lorsque l’on instille de façon lancinante et répétitive
de telles contre-vérités.
Le juif de France, après une telle émission, fait en général la part des
choses et n’a aucune difficulté à remettre le propos à l’endroit. Son
grand problème devient tout autre. Il devient celui du regard de son voisin,
de son collègue de travail, qui, s’ils ont suivi le reportage d’un œil
et d’une oreille distraites ne peuvent en avoir retenu que la vision
superficielle d’un Israël nazifié (et ceux qui ont vu l’émission ne
pourront pas me contredire) pour lequel il devient incompréhensible qu’une
communauté de gens raisonnables puisse se sentir solidaire. Les explications
historiques et la Hasbarah ne peuvent plus rien face au poids des mots et au
choc des photos.
Bien entendu, tout cela survient après la vague d’antisémitisme qui
continue toujours, d’ailleurs, et pour laquelle nos politiques de gauche ou
de droite, n’ont eu que des réponses indigentes, après les « morts aux
juifs » scandés impunément lors de manifestations pro-palestiniennes, après
les Védrine, les Bachelot, les Ternisien, les Morin-Naïr-Sallenave, les
Zemor, les Lipietz, les Schwartzenberg-Brauman-Halimi, après l’agaçant «
Il n’y a pas d’antisémitisme en France » de Jacques Chirac.
Et c’est ainsi que commence le sentiment de se sentir étranger dans son
propre pays, que l’on tombe dans le piège du repli communautaire, piège
tendu par ceux là mêmes qui nous reprochent de s’y perdre, et que déambulant
à travers nos villes et nos campagnes, le paysage nous paraît tous les jours
un peu moins familier, avec, au creux de l’estomac, une nouvelle sensation :
la nausée.
Jean-Pierre Chemla
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