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LETTRE OUVERTE AUX JUIFS DE FRANCE |
Dans un livre à paraître chez Stock, l'ancien ambassadeur d'Israël en
France analyse la récente vague d'actes antisémites et le sentiment
d'abandon de la communauté.Extraits
Par Elie Barnavi
L'antisémitisme sévit en France, c'est un fait. De l'injure haineuse en
passant par l'agression physique et jusqu'à l'incendie des synagogues, vous
avez eu droit à toute la gamme de ce que peut offrir le crétinisme antijuif.
Plus sournois, soigneusement caché sous un antisionisme qui ne fait plus
illusion à aucun observateur de bonne foi, il se manifeste dans les tribunes
et prises de position des «progressistes» de tout poil. Ce sont les mêmes
qui, défilant à la tête de cortèges où des abrutis hurlent «mort aux
juifs!», font semblant de ne rien entendre. [.]
La France est-elle pour autant antisémite? C'est une question très différente,
même si j'ai eu beaucoup de mal à en convaincre mes compatriotes. Je me
souviens qu'en désespoir de cause j'ai tenté d'expliquer à la ministre de
l'Education, de passage à Paris, que ce n'est pas parce qu'il pleut en Israël
qu'Israël est un pays pluvieux. Mais peut-être aurais-je dû lui expliquer
d'abord ce qu'est une métaphore.
Un pays antisémite est un pays où l'antisémitisme constitue une force
politique et morale significative. Je considère que la France de la IIIe République,
celle de Barrès, de Maurras et de l'affaire Dreyfus, était un pays antisémite.
La France de la Ve République ne l'est pas, ni dans ses élites ni dans ses
masses. Toutes les études depuis la guerre le prouvent d'abondance: quel que
soit le critère abordé, le préjugé antisémite classique est en perte de
vitesse. [.]
Où est le problème donc? Il faut appeler un chat un chat: même si la
contribution de l'antisionisme rabique des «progressistes» n'est pas négligeable,
la violence antisémite qui a déferlé sur ce pays est essentiellement
d'origine arabo-musulmane. Les sophismes du genre: nous sommes tous sémites,
donc nous ne saurions être antisémites, n'impressionnent que les ignares et
les simples d'esprit. L'antisémitisme n'est pas la haine de je ne sais quels
«sémites». L'antisémitisme, c'est la haine des seuls juifs. C'est pour eux
que le mot a été inventé en 1879 par un certain Wilhelm Marr, un plumitif
allemand, antisémite précisément.
[.] C'est cet antisémitisme racial d'origine européenne, qui, en perte de
vitesse en Occident, connaît une nouvelle jeunesse dans le monde arabe. [.]
C'est ce même état d'esprit qui sévit dans les banlieues françaises.
Entretenu par la frustration sociale, alimenté par la propagande anti-israélienne
de certains milieux associatifs et des mouvements d'extrême-gauche, et porté
à incandescence par les images quotidiennes de l'Intifada, c'est cet état
d'esprit qui a allumé la violence antijuive de ces deux dernières années.
Que faire? D'abord diagnostiquer correctement le mal, faute de quoi il est
impossible de le combattre. Diagnostiquer correctement le mal, c'est avant
tout éviter de tomber dans deux écueils également pernicieux. L'un consiste
à nier tout bonnement la maladie.[.] L'autre consiste dans la confusion des
genres et des époques. Non, la France de Jacques Chirac n'a rien à voir avec
l'Allemagne de Hindenburg et de Hitler, ni la violence des banlieues avec la
nuit de Cristal, on est presque gêné d'avoir à le rappeler.
Il est vrai que, sur ce plan, vous n'avez pas été vraiment aidés. Votre
gouvernement a buté sur le premier écueil, vos amis lointains, israéliens
et américains, se sont précipités tête baissée dans le second. Je me suis
démené comme un beau diable entre les deux en essayant désespérément de
les convaincre que la vérité n'était ni dans le déni ni dans l'hyperbole.
J'ai été écouté mais pas entendu. Que ce fût par peur d'aggraver une
situation déjà explosive, par le complexe colonial classique de la gauche,
par cette timidité qui lui est inhérente face aux débordements des laissés-pour-compte,
ou, ce qui est probable, par une combinaison de tous ces facteurs, le
gouvernement de Lionel Jospin s'est abstenu du moindre geste de solidarité,
de la moindre parole de fermeté, confortant ainsi les juifs et les
pogromistes dans l'idée désastreuse que la République est incapable de défendre
ses valeurs comme de protéger ses fils.
Quant aux Israéliens et aux juifs américains, tout cela ne faisait que
confirmer ce dont ils étaient de toute manière persuadés depuis belle
lurette: que la France était un pays définitivement, irrémédiablement,
antisémite. En Israël, comme aux Etats-Unis, une vague de francophobie sans
précédent depuis la guerre du Golfe a déferlé sur les opinions publiques.
Des organisations juives américaines ont appelé à boycotter la France. Le
gouvernement Sharon a invité les juifs de France à quitter un pays où ils
étaient en danger et à venir rejoindre leurs frères en Israël.
Et, joignant le geste à la parole, il a augmenté à leur bénéfice le pécule
offert à tout candidat à l'immigration, alignant ainsi les ressortissants de
la quatrième puissance industrielle de la planète sur ceux d'Afrique du Sud
et d'Argentine.
A mon gouvernement, j'ai expliqué que ces excès étaient non seulement une
offense à la vérité, mais qu'ils travaillaient contre vos intérêts et les
nôtres. Aux délégations des organisations juives américaines qui se sont
succédé dans mon bureau, j'ai fait valoir que selon les chiffres publiés
par l'Anti-Defamation League elle-même, l'antisémitisme sévit aux
Etats-Unis autant sinon plus qu'en France, et que, s'il convient de dire aux
Français tout le mal que l'on pense des violences antisémites qui défigurent
leur pays et d'exiger d'eux des mesures énergiques pour les enrayer, rien
n'est plus inutilement blessant et contre-productif que de les accuser du péché
collectif d'antisémitisme.
Mais était-ce à moi de faire ce travail? Exiger de votre gouvernement qu'il
se conforme à ses propres principes, défendre votre pays contre les
outrances de ses détracteurs, n'était-ce pas plutôt votre tâche? Oui, je
sais, vous l'avez fait; trop timidement, trop tard, trop peu.
J'ai cherché à comprendre pourquoi. Aussi est-ce de votre rapport à la
France que je veux vous entretenir maintenant.
La France n'est plus ce qu'elle était. La religion républicaine s'est
affadie, les écoles ne sont plus ses temples, ni les instituteurs ses prêtres.
On m'a raconté qu'autrefois, à Belleville, à l'époque, quartier juif
pauvre peuplé d'immigrants de l'Europe orientale, tout le monde fêtait la
naturalisation de l'un d'entre eux. Devenir citoyen français valait davantage
qu'une simple assurance d'une vie meilleure à l'abri de la loi commune; c'était
un orgueil et une consécration.
C'était encore le temps de la République jacobine et fière de l'être.
Aujourd'hui, de jeunes Français d'origine maghrébine se drapent dans le
drapeau du pays de leurs pères, pays où ils n'ont jamais mis les pieds et
dont ils ignorent la langue, et sifflent l'hymne du leur. La machine à broyer
les identités étrangères, où l'on entrait par un bout juif, polonais,
italien ou portugais pour en sortir français, aussi fier qu'un Auvergnat de
«nos ancêtres les Gaulois», semble bien mal en point. [.]
Quelque chose s'est brisé dans l'esprit public de ce pays. Pour intégrer des
étrangers, il faut croire en soi-même. Or les Français, qui passent
toujours à l'étranger pour le peuple le plus patriotard et cocardier de la
planète, ne croient plus tellement en eux-mêmes. L'exaltation de la différence
a permis l'éclosion du communautarisme, le communautarisme a anesthésié la
nation. L'Amérique peut être communautaire et patriote, c'est son génie
particulier. La France ne le peut pas. [.]
A cette évolution, vous réagissez de manière disparate, ce qui est normal
pour une communauté aussi diverse. Certains, parmi les plus anciennement et
les mieux intégrés d'entre vous, se raccrochent au vieux modèle républicain
en essayant coûte que coûte de maintenir dans la tourmente les ponts avec la
communauté nationale. Lors de la fameuse manifestation des 200000, le 7 avril
2002, lorsque les juifs de France ont enfin dit leur colère contre les
attaques dont ils étaient l'objet et leur solidarité avec Israël, ce sont
ceux-là qui ont organisé leur propre cortège, dans l'espoir un peu vain
que, en dissociant soigneusement lutte contre l'antisémitisme et défense
d'Israël, ils mobiliseraient les forces démocrates de ce pays autour de leur
communauté agressée. [.] Ce cortège consensuel, pour l'essentiel formé par
des membres de la gauche sioniste, n'a attiré en définitive qu'une poignée
de non-juifs.[.]
L'échec relatif de cette manifestation alternative et l'énorme succès, inédit
en France, du défilé judéo-juif montrent bien que, pour la masse des juifs
de ce pays, l'heure est à la retraite dans la coquille communautaire.
Beaucoup ne le souhaitent pas; mais plus encore estiment qu'on ne leur laisse
guère le choix. [.]
Ce tropisme communautariste ne caractérise pas les seuls juifs. [.]
Seulement, il est peut-être plus marqué chez vous que dans d'autres segments
de la société française. C'est un phénomène bien connu: les juifs servent
souvent de baromètre ultrasensible aux tendances de l'opinion.
Les raisons de la tentation communautaire ne sont pas difficiles à définir.
La «nouvelle judéophobie», pour reprendre le mot de Pierre-André Taguieff,
y est pour beaucoup, couplée au sentiment d'abandon que j'évoquais plus
haut.
Je suppose que l'émergence de formes dures de la religiosité, indifférentes,
sinon hostiles, à tout ce qui n'est pas juif, n'y est pas étrangère non
plus. Cette tendance n'est pas nouvelle au sein de notre peuple, bien entendu.
Lorsque j'étais étudiant à Paris, une responsable du centre communautaire
de la rue de l'Eperon, où je donnais mes cours d'hébreu moderne, m'a demandé
ce que je faisais à Paris. «Une thèse d'histoire moderne, lui ai-je répondu.
- Sur quel sujet? - Les guerres de Religion dans la France du XVIe siècle. -
Ah! l'histoire des goyim», fit-elle, avec une moue d'indicible mépris. J'en
ai entendu depuis des vertes et des pas mûres; mais ce sont la remarque et la
mimique de cette bonne femme qui, allez savoir pourquoi, symbolisent à mes
yeux toute l'imbécillité identitaire de ces juifs trop nombreux qui ont pris
à la lettre la malédiction de Balaam: Am levadad yishkon, un peuple seul sur
Terre. Il me semble, hélas, que cette dame a fait beaucoup d'émules dans
votre communauté.
Cela peut être enfin l'une des conséquences paradoxales de l'effondrement
des grandes idéologies laïques. Il faut se souvenir de ce qu'ont été le
communisme pour la génération de nos pères, puis les différentes formes de
gauchisme pour la nôtre, celle qui avait 20 ans en Mai-68. Beaucoup se sont
convertis à un judaïsme combatif et exclusif, soit centré sur la synagogue,
soit sur un sionisme d'autant plus agressif qu'eux-mêmes le vilipendaient
jadis. D'anciens trotskistes ou maos qui s'époumonaient en 68 contre Israël
- «Israéliens, nazis de notre temps», ce cri de haine résonne encore dans
mes oreilles - sont prêts aujourd'hui à vous sauter à la gorge si vous émettez
le moindre doute sur la politique du gouvernement de Jérusalem.
Hé oui, cette tentation du repli sur soi et de la ghettoïsation volontaire
n'est évidemment pas exempte d'intolérance. [.] Déjà dans le domaine
public, les voix dissidentes, ou simplement critiques, sont très mal
accueillies. Je ne parle pas de voix haineuses, bien entendu, mais de celles
d'individus dont le dévouement à la communauté et à Israël est au-dessus
de tout soupçon. Il n'est pas nécessaire d'être d'accord avec eux - je ne
le suis souvent pas moi-même - pour les écouter et discuter posément leurs
arguments. E. B.
© Stock, 2002.
Elie Barnavi, né à Bucarest en 1946, qui vient de quitter son poste
d'ambassadeur en France, est historien, spécialiste du XVIe siècle français
et de l'histoire contemporaine des juifs et d'Israël. Sioniste convaincu et
militant de la gauche israélienne, il s'est récemment expliqué dans un
entretien avec Jean Daniel sur son rôle à Paris comme représentant du
gouvernement Sharon («l'Obs» du 3 octobre 2002).
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