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LE WEB DES JUIFS TUNISIENS

 

COLLOQUE INTERNATIONAL


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Université de Tunis I

Faculté des Lettres de Manouba

Unité de Recherche Histoire et Mémoire

 

Les Communautés Méditerranéennes de Tunisie

1 - 4 Mars 2000

 

Communication présentée par M. Elia Boccara (Italie) sur:

Fidélités, solidarités, déboires dans la Communauté Juive Portugaise de Tunisie (1710 - 1944)


Synthèse

 

Cette centaine de Juifs livournais qui créèrent en 1710 à Tunis une nouvelle Communauté, séparée de la grande Communauté Juive Tunisienne, avaient une longue histoire qui s'était déroulée en Espagne et au Portugal. Ici ils n'avaient jamais été maîtres chez eux et dépendaient entièrement de la bienveillance des puissants, ce qui les avait poussés à être fidèles à leurs protecteurs. Ceux-ci, à la fin, les avaient bien mal récompensés.

Pendant la conquête arabe de l'Espagne ils s'étaient alliés aux guerriers de l'Islam et avaient combattu à leurs côtés contre leurs persecuteurs Wisigoths. Leur culture s'enrichit au contact de ces nouveaux maîtres du pays: ils pensèrent et écrivirent en arabe jusqu'au moment où, au XIIème siècle, la dynastie des Almohades leur imposa de choisir entre la conversion et la mort.

Ils se réfugièrent alors en grand nombre dans les royaumes de l'Espagne chrétienne où ils furent, comme on les appela, les "Juifs du roi", car leur statut n'était défini que par le rapport personnel qui les liait au souverain.

Pratiquant le commerce international sur grande échelle, plusieurs devinrent riches, ce qui permettait au roi de percevoir de gros impôts. Ils furent Ministres des Finances, administrateurs du patrimoine royal, percepteurs des impôts, et en même temps lettrés, philosophes et auteurs de textes religieux.

Ils formèrent une aristocratie marchande tout en demeurant à l'écart de l'Eglise, ce qu'on ne leur pardonna pas. Ce furent alors les pogroms de 1391 et, à la fin, l'alternative imposée en 1492: la conversion ou l'exil. Plusieurs se réfugièrent au Portugal où, en 1497, ils furent tous baptisés de force, sans avoir la possibilité de quitter le pays.

Au XVIème et au XVIIème siècle plusieurs de ces Nouveaux Chrétiens revinrent en Espagne, mais désormais ils furent connus comme les Portugais (un nom qu'on retrouvera à Tunis dans leurs documents communautaires, par ailleurs rédigés en espagnol). Mais leur conversion, qui n'était le plus souvent qu'un masque, ne fut qu'un refuge illusoire: les bûchers de l'Inquisition les guettaient.

Ils s'embarquèrent à nouveau par vagues successives et créèrent des communautés portugaises un peu partout dans le monde, forts des capacités accrues et du rang élevé qu'ils avaient acquis comme conversos. Leurs centres les plus impor6tants furent Amsterdam et Livourne.

A Livourne Côme III de Médicis leur accorda en 1593 de grands privilèges pour pouvoir bénéficier de leur expérience: ce fut le fameux édit qu'ils appelèrent affecteueusement La Livornina.

Au XVIIème siècle, pour alimenter leurs affaires, quelques-uns d'entre eux passèrent en Tunisie.

C'est tout cet héritage ibérique et livournais qu'ils défendirent à Tunis, revendiquant leur indépendance par rapport à la Communauté des autochtones dont ils se différenciaient:

Mais ce n'était pas là un schisme, comme on l'a souvent écrit. Leurs rabbins sortaient d'ailleurs de la même école: ils en eurent même un en commun. L'accord de 1741 entre les deux communautés équivalut à une reconnaissance réciproque. En vertu de cet accord tout Juif nouvellement immigré, provenant de pays de religion majoritairement chretienne aurait fait partie de la Communauté Portugaise, tandis qu'au cas où l'immigré proviendrait de pays à majorité musulmane il serait devenu membre de la Communauté Tunisienne.

À Livourne le mariage entre le Grand-Duc de Toscane et la Nacion Hebrea (comme on l'appelait alors) fut durable et fécond: les deux parties y trouvaient leur avantage.

Mais en 1822 la fidélité des Livournais de Tunis à leur souverain toscan fut mise à dure épreuve: le Grand-Duc les lâchait et se mettait d'accord avec le Bey pour qu'ils deviennent sujets tunisiens. Si quelques-uns basculèrent vers une arabisation presque complète, ce furent plutôt les luttes du Risorgimento qui enflammèrent bientôt les esprits.

Avec l'Unité de l'Italie en 1860, naquit une nouvelle fidélité: cette fois ce fut un véritable patriotisme. Sans cesser d'être Juifs les Livournais aimèrent tendrement le pays qui les avait acceptés sans faire de différences. Il y eut entre-temps une nouvelle affluence d'immigrés Juifs en provenance de Livourne. Ce fut alors le temps de la solidarité vis-à-vis des deux masses de démunis qui vivaient dans des conditions pitoyables: d'un côté les coreligionnaires tunisiens qui occupaient à Tunis le quartier populeux de la Hara; de l'autre les nouveaux concitoyens du Sud de l'Italie, qui arrivaient par vagues successives, s'entassant autour du port de Tunis dans un quartier appelé La petite Sicile.

Jusqu'à la fin du XIXème siècle l'assistance médicale gratuite aux Juifs tunisiens fut assurée par des médecins livournais. Mais la philanthropie ne se borna pas à faire de la charité (un mot qui, par ailleurs, n'est guère employé tel quel dans le Judaïsme: le mot correspondant Tzedakà signifie en effet Justice). En 1878 le baron Giacomo Castelnuovo, un patriote juif livournais, réussit après seize ans de démarches à ouvrir à Tunis une Ecole de l'Alliance Israélite Universelle, une institution qui venait de se créer à Paris dans le but, entre autres, de donner une instruction aussi bien juive que moderne aux enfants déshérités. C'était là une chance de promotion sociale qu'on offrait aux enfants de la Hara. Dans cette école, à côté du français et de l'arabe, on enseignait l'italien. Le Lycée était administré par un Comité mixte dans lequel les Juifs italiens étaient largement représentés. Cela pouvait favoriser un rapprochement entre les composantes des deux communautés.

Seulement trois ans après l'ouverture des Ecoles de l'Alliance, en 1881, l'établissement du Protectorat français sur la Tunisie détruisit ces espoirs, compliquant les rapports internes entre les différents groupes juifs de Tunisie. Les italiens furent exclus du Comité de l'Alliance Israélite, dont la Présidence fut assumée par Raymond Valensi, un ingénieur qui faisait partie d'une famille juive portugaise au service de la France depuis1790, qui avait obtenu la nationalité française en 1848. Et l'enseignement de l'italien fut supprimé dans ces écoles.

De son côté Gabriel Valensi, père de Raymond, obtint la Présidence de la Communauté Juive Portugaise.

Entre-temps, depuis l'Unité de l'Italie, la solidarité juive livournaise se déployait en tous sens, dans les différentes institutions et associations de la Colonie italienne, qui était majoritairement chrétienne: les deux buts principaux des Livournais étaient d'élever le niveau socio-culturel des déshérités et de rehausser le prestige de l'Italie en Tunisie: ils furent pour cette raison une des principales cibles du colonialisme français. Pour de nombreux colonialistes provenant de l'Héxagone être en même temps Juifs et Italien c'était concentrer en soi deux raisons valables pour réveiller des sentiments malveillants: certains historiens français d'un certain renom furent contaminés par ces phobies: un Ganiage par exemple.

Le jeu des fidélités se fit alors de plus en plus compliqué au sein de la Communauté Portugaise: les Juifs français, minoritaires, mais forts politiquement, et les Juifs italiens étaient fidèles à leurs patries respectives. Ce qui créait entre eux des rivalités qui étaient le reflet de la grande rivalité franco-italienne, à propos de la Tunisie, qui devait durer un siècle. Or ces dissentiments traversaient les familles, Juifs italiens et Juifs français étant souvent unis par des liens conjugaux.

Toutefois les deux composantes, italienne et française, étaient solidaires entre elles dans leur fidélité à l'héritage ancestral portugo-espagnol filtré à travers le séjour livournais. C'était cet héritage qui courait de temps à autre quelque danger, vu la politique annexionniste du Grand-Rabbin tunisien Eliau Borgel. En 1895 les Livournais furent efficacement soutenus par le Grand-Rabbin de France Zadoc Kahn, qui avait été sollicité par les deux parties.

Quant aux Juifs tunisiens , tandis que, au point de vue socio-culturel, s'estompaient peu à peu les différences entre eux et les Livournais, grâce à leur francisation progressive et à leur accès à la culture européenne, les rivalités franco-italiennes ne firent que raviver les anciennes tensions.

La montée du Fascisme en Italie n'arrangea pas les choses: de larges secteurs du Judaïsme italien, quoique de manière très nuancée, furent enrôlés au nom du patriotisme. Devant la politique de francisation de l'Administration française pratiquée de manière massive à travers les naturalisations (qui facilitaient l'accès des italiens aux postes de travail ou qui leur permettaient d'avoir des avancements) il était difficile aux patriotes italiens de résister aux sirènes du fascisme, qui semblait protéger l'identité italienne.

Mais pour les Juifs italiens les illusions ne durèrent que l'espace d'un matin. A partir de 1938, dans les six années qui suivirent, tout leur monde, qui représentait deux mille ans d'histoire, bascula: il ne resta plus que les décombres de l'édifice commun et les bonnes volontés individuelles des rescapés.

En 1938 les lois raciales antijuives du gouvernement fasciste de Rome les mettaient moralement au ban de la nation, même si à l'étranger ces mesures furent appliquées avec ménagement.

En 1940, quand l'Italie déclara la guerre à la France, cette dernière les traita en ennemis et les envoya dans des camps de concentration.

En Novembre 1942-Mai 1943, avec l'occupation allemande, malgré les protestations du gouvernement de Rome, les allemands procédèrent à la réquisition de plusieurs appartements habités par des Juifs italiens, les jetant dans la rue en quelques heures. Ils vécurent toute cette période dans l'angoisse. Ils échappèrent au travail obligatoire, imposé par les allemands, qui concerna les jeunes Juifs tunisiens ou français, grâce à la protection du Consulat italien, qui créa un bureau pour le travail des jeunes Juifs italiens, dont le seul but était en réalité de délivrer à ces derniers des laissez-passer.

Le 7 mai, après la défaite allemande et la Libération de Tunis, les Juifs italiens furent de nouveau traités en ennemis de la France, comme d'ailleurs les autres italiens, dont ils partagèrent le sort. Les mesures que les autorités françaises, qui dépendaient du général De Gaulle, prirent contre eux furent: le travail obligatoire, le séquestre de tous les biens, les camps de concentration (qui ne concernèrent qu'une partie des hommes, choisis à l'aveuglette sous pretexte d'activités fascistes), des expulsions avec expropriation de tous les biens, la francisation forcée par l'école à la suite de la fermeture de tous les lycées italiens. L'appareil bureaucratique qui appliquait ces mesures, qui étaient officiellement dirigées contre la présence fasciste en Tunisie, était de son côté formé par les mêmes fonctionnaires qui jusqu'à la veille avaient appliqué avec zèle la politique du gouvernement de Vichy contre les Juifs et qui avaient collaboré avec les Allemands.

Le 17 février 1944 la Communauté Juive Portugaise cessa de vivre: un décret imposa son annexion par la Communauté Tunisienne. Le même décret ôtait aux Juifs italiens le droit d'être élus conseillers ou délégués. Raymond Valensi, qui avait été le dernier Président de la Communauté Portugaise, était mort en 1942 à 96 ans, peu de temps avant l'occupation allemande de la Tunisie.

Je voudrais pour conclure dire quelques mots sur les rapports entre Juifs livournais et Juifs tunisiens, à propos desquels les historiens ont souvent parlé de tensions et de conflits. En réalité cette impression générale pourrait cacher des sentiments beaucoup plus complexes et nuancés. Il y eut d'abord une forte difficulté, tout à fait compréhensible, de la part des Tunisiens à s'adapter à la présence d'un groupe compact de Juifs étrangers qui refusent de s'assimiler, qui peuvent souvent paraître hautains et qui se présentent comme des concurrents redoutables en affaires.

Mais le Livournais sera aussi quelqu'un qui fascine et auquel, plus ou moins consciemment on tend à ressembler. Ce Livournais apportera avec lui tout un bagage de connaissances dans le champ du travail, qui ne pourront que profiter à leurs coreligionnaires tunisiens. L'historien Benattar affirme: "Grâce à eux, le commerce local se développa intensément et les Livournais y introduisirent tous les moyens utilisés en Europe: comptabilité, lettres de change, billets de commerce, obligations notariées à l'ordre, contrats, ventes à terme.". Et que pourrait-on dire du chemin parcouru par les Juifs tunisiens vers leur émancipation et leur acquisition d'une culture européenne, sinon que c'est là l'accomplissement d'un désir secret? Et il n'est pas dit que l'européanisation des Juifs tunisiens n'ait pas comporté un apauvrissement et l'abandon d'une manière de vivre qui faisait le charme d'un monde qui avait souvent un attrait que la rigidité et le formalisme des Livournais était bien loin de présenter. Les succès actuels des Juifs tunisiens dans le monde, dans les professions libérales et dans les carrières intellectuelles, semblent par ailleurs démontrer qu'ils font souvent preuve d'une souplesse et d'un esprit d'adaptation que les Livournais n'ont pas toujours eus.

Pour revenir au passé on ne peut pas omettre de signaler avec Jean Pierre Filippini "le prestige dont jouissait Livourne auprès des communautés juives d'Afrique du Nord…Il y avait avant tout des raisons de caractère culturel et religieux. En effet Livourne était en même temps un centre important pour la diffusion de la culture juive et l'un des plus grands centres pour l''édition de textes en hébreu de l'aire méditerranéenne": c'est bien là que furent imprimés tous les livres en langue hébraique utilisés par les Juifs tunisiens. Les portes des mariages mixtes grana-tunisiens étaient par ailleurs ouvertes: ces mariages avaient lieu généralement entre personnes de conditions sociales semblables. Filippini nous enseigne qu'à Livourne "les immigrés nord-africains réussissaient à s'intégrer facilement dans la Communauité livournaise grâce aux mariages". N'oublions pas que le couscous fut introduit à Livourne au XVIIème siècle, d'autres plats tunisiens dont une variante de la b'kheila suivirent. Des Juifs d'Afrique du Nord venaient à Livourne pour y être ballottés (c'est à dire: entrer de plein droit dans la Communauté livournaise, ce qui à la longue comportait une adaptation aux coutumes locales): plusieurs d'entre eux s'intégrèrent parfaitement et eurent accès aux hautes charges. Quelques-uns revenaient en Tunisie, où "comme Juifs européens, ils auront de bonnes possibilités d'être traités avec davantage d'égards" (Filippini); d'autres enfin, qui ne résidaient que temporairement, ne parlaient et n'écrivaient qu'en arabe, ou même en judéo-arabe, ce qui contribuait à faire de Livourne une ville cosmopolite où tout le monde était chez soi.

 


"Elia Boccara" eliaboc@tin.it

 


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