Ils sont de plus en plus nombreux a vouloir mourir en «martyrs»
La tentation kamikaze des jeunes Palestiniens de Naplouse
Naplouse : de notre envoye special Patrick Saint-Paul
[30 mars 2004]
Quote:
La derniere folie des petits Palestiniens est revelatrice du desarroi dans lequel sont plonges ces enfants traumatises par trois ans et demi d'intifada. Les garcons de Naplouse, la plus grande ville palestinienne de Cisjordanie, s'arrachent un «jeu» : la version palestinienne des Pokemons. Baptise le «Livre de l'Intifada», ce cahier dans lequel les enfants doivent coller les images les plus marquantes et souvent les plus sanglantes du conflit israelo-palestinien, glorifie les «martyrs» auxquels la jeunesse palestinienne s'identifie de plus en plus souvent.
Plusieurs photographies de «shahid» (les martyrs), dont celle d'un enfant, figurent sur la couverture du cahier. Dans les pages interieures, douze cases sont reservees a des cliches de Mohammed al-Doura, un petit garcon palestinien tue par des tirs israeliens devant des cameras de television au tout debut de l'Intifada. On voit aussi des scenes de violence quotidienne : des gamins jetant des pierres sur des chars israeliens, des oliviers arraches par des bulldozers israeliens, des «resistants» encagoules prets a passer a l'action et beaucoup de sang. Quarante mille exemplaires de ce «jeu» se sont vendus a Naplouse, 200 000 habitants, en deux mois. Et les enfants se disputent desormais les derniers paquets d'images a coller, vendues par quatre.
«Le fait que ce jeu se vende si bien est le signe que quelque chose ne tourne pas rond chez notre jeunesse, estime Atef Saad, directeur du Projet de jeunesse pour Naplouse, une association qui tente d'offrir un avenir aux enfants. Elle baigne dans la culture de la mort.» A Gaza, Naplouse ou Jenine, les enfants ne revent plus de devenir medecin ou avocat. Ils sont de plus en plus nombreux a vouloir mourir en «shahid», pour la cause palestinienne. Chaque «martyr» est fete comme heros national : des defiles sont organises pour accompagner les morts au cimetiere, les autorites locales et les habitants du quartier viennent feliciter la famille du «martyr», qui «rejoindra les anges au paradis». Selon une etude menee recemment a Gaza par un psychiatre palestinien, 36% des garcons ages de 12 ans aspirent au martyre.
Atef Saad estime que ces chiffres sont applicables a Naplouse, l'ancien poumon economique de la Cisjordanie desormais considere par Tsahal comme le «principal centre de la terreur palestinienne». La ville vit sous un regime extremement severe de bouclages et d'incursions de l'armee israeliennes, qui a abouti a l'effondrement de toute autorite et au regne du chaos. «Depuis septembre 2000, vingt-deux enfants ont ete tues a Naplouse lors d'incursions israeliennes», affirme Taysir Nasrallah, le chef du Fatah a Naplouse.
Le dernier «martyr» en date est un garconnet age de six ans tue dans le camp de refugies de Balata, situe a l'entree de Naplouse. Sa photographie est placardee dans toute la ville. Khalil Oualouil observait les mouvements des soldats israeliens par une fenetre de son salon, qui surplombe la rue, lorsqu'il a ete touche par une balle, qui a penetre son corps par le cou avant de ressortir au milieu du dos. Selon l'armee israelienne, le tir venait d'un militant palestinien. Pour les parents de Khalil, la culpabilite des soldats de Tsahal ne fait aucun doute.
«Ce sont les Israeliens qui ont commis ce crime, se lamente la mere de l'enfant en caressant une tache de sang sur le canape Ce matin-la Khalil ne voulait pas aller a l'ecole. Il avait
peur des soldats israeliens. Il n'y a pas de securite pas de liberte pour nos enfants ici.» «Nous vivons avec la peur au ventre pour nos enfants a cause des incursions», ajoute le pere, qui dit avoir tout fait pour eloigner son fils de la violence.
«Lorsqu'un enfant est tue les autres enfants se persuadent que la mort les attend tous au tournant, assure Atef Saad. Leur coeur eclate, leur avenir disparait devant leurs yeux.» Ces enfants sont febriles, angoisses et violents, ils n'arrivent plus a se concentrer a l'ecole, selon un psychologue de l'association. Ce sont des cibles faciles pour les groupes de militants qui chercheraient a les recruter pour des operations suicides contre des cibles israeliennes.
Jeudi dernier, les photographies de Hossam Abdo, 16 ans, des explosifs attaches autour du corps et les bras en l'air, au barrage de Hawara situe a l'entree sud de Naplouse, ont fait la «une» de tous les journaux israeliens. Les images de l'adolescent, qui s'appretait a mourir, ont choque l'opinion publique, alors que les autorites israeliennes y ont vu une preuve de l'utilisation cynique des enfants par les mouvements palestiniens. Les Brigades des martyrs d'al-Aqsa, un groupe arme lie au Fatah de Yasser Arafat, dont le nom avait ete cite comme possible commanditaire de l'attentat que le mineur s'appretait a commettre, ont categoriquement dementi. Les parents de Hossam denoncent un montage israelien. «Si c'est vrai, ceux qui ont essaye de m'enlever mon garcon doivent payer tres cher», s'insurge la mere d'Hossam.
Dimanche, l'armee est venue arreter deux de ses camarades de classe accuses de complicite Selon Jihab, un garcon qui frequente la meme classe, Hossam n'avait pas fait part de son intention de devenir martyr. «Beaucoup de garcons friment en disant qu'ils veulent ctre des «shahids», mais pas lui», raconte Jihab, ajoutant que, dans sa classe, la plupart des garcons possedent le «Livre de l'Intifada». «Pas moi, parce que j'ai peur que des soldats israeliens le trouvent en entrant dans ma maison», precise-t-il.
Les soldats israeliens disent qu'ils entendent le tic-tac des bombes humaines a Naplouse. Les reves des enfants, qui assistent impuissants a la destruction de leur avenir, s'y brisent chaque jour. Meme les jeux ne leur permettent plus d'echapper a la realite «Le Livre de l'Intifada» m'a ete inspire par les Pokemons, explique son inventeur, Majda Taher. Sauf qu'il apporte quelque chose a nos enfants. C'est un peu comme leur livre d'histoire de l'Intifada. Les enfants vivent dans la culture de la mort et le livre n'y change rien. Pour changer la culture des enfants, il faut changer la politique des Israeliens».
[
www.lefigaro.fr]