Pour un partenariat privilégié avec Israël
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Discours prononcé par Nicolas Sarkozy,
Président de lâUMP,
Conférence 2004 dâHerzliya le 16 décembre 2004
Mesdames et messieurs,
Câest un plaisir et un honneur pour moi dâêtre votre invité aujourdâhui.
Je remercie Uzi Arad de cette invitation, qui mâa donné lâoccasion de
revenir en Israël. Je sais le très grand prestige de votre conférence
pourtant de création récente. Sâil nây avait la francophilie dâUzi Arad,
qui connaît bien la France pour y avoir vécu à plusieurs reprises,
jâaurais été étonné de cette invitation. Après tout, je ne suis plus
ministre et je suis français. Finalement je nâen suis que dâautant plus
libre pour évoquer avec vous quelques grands sujets.
Puis-je dâabord vous dire ma conviction que la politique internationale,
la diplomatie, les relations entre les Etats doivent gagner en
transparence, en simplicité, en sincérité. Si lâon veut que les peuples
comprennent les enjeux, y adhèrent, les partagent il faut quâils
puissent appréhender les éléments de chaque situation. Le parler vrai,
le parler simple, le parler direct va devenir un impératif de la scène
internationale comme il lâest devenu de la scène nationale. Obtenir des
résultats, affronter des réalités, se dire des choses me semble une
méthode toujours préférable à celle qui consiste à contourner les
problèmes, à emprunter un langage codé et à imaginer que le temps,
comprenez la perte de temps, finit toujours par arranger les choses.
La diplomatie ne peut plus être une affaire de spécialistes dans un
monde interdépendant où tous nous dépendons de chacun. Les limites entre
ce qui est international et ce qui est national sâestompent. Les mêmes
règles doivent donc sâappliquer. La démocratie a ses exigences et au
premier rang la transparence. La diplomatie nâa rien à redouter de cette
dernière.
Puis-je ensuite défendre lâidée que dans le monde multipolaire qui est
le nôtre depuis la chute du mur de Berlin, il nây a plus de pays qui
sous prétexte quâil soit petit par la taille, par lâéconomie ou par la
démographie puisse accepter que dâautres parlent en son nom ou que
lorsquâil parle sa voix ne soit pas respectée. Je ne suis pas venu en
Israël pour donner des conseils, dâailleurs à quel titre. Je suis venu
pour écouter, pour comprendre et pour partager. Je sais, ce ne sont que
des mots. On ne partage pas la souffrance et la peur de lâextérieur.
Mais câest ma façon de vous dire que la souffrance et parfois la peur du
peuple israélien sont des éléments de sa dignité. Câest pour cela que
vous devez bénéficier du respect du monde pour cette démocratie que vous
avez réussi à construire ici.
Je sais très bien quâau-delà des grandes déclarations dâamitié entre
Israël et la France, il y a eu entre nous beaucoup de malentendus qui
ont pu conduire à des incompréhensions. Vous aimez la France, mais vous
doutez que la réciproque soit vraie. En particulier, pourquoi cacher les
choses ? Vous êtes inquiets de la vague dâactes dâantisémitisme quâa
connu la France ces dernières années. Disons même les choses comme elles
sont : selon un sondage de mai 2004, 86 % des Israéliens interrogés
pensent que les Français sont antisémites. Vous le voyez, câest ma
manière de faire. Je dis les choses telles quâelles sont. Jâessaye
dâétablir un diagnostic sans complaisance. Câest la seule solution pour
trouver les bonnes réponses et surtout rétablir la confiance.
Alors je vous demande de me croire lorsque jâaffirme que la France nâest
pas antisémite même si hélas il y a de lâantisémitisme en France. Ceux
qui me connaissent savent que la première chose que jâai faite lorsque
je suis devenu en 2002 ministre de lâIntérieur de la République
française, ce fut de reconnaître lâampleur du problème, qui avait trop
longtemps été sous-estimé. Nier le problème, câétait ajouter à la
souffrance de ceux qui avaient été agressés lâhumiliation de se voir
dénier le statut de victime.
Jâai demandé aux services de police dâharmoniser leurs statistiques avec
celles des organisations juives de France.
Jâai ensuite fait protéger par la police les synagogues et les écoles
juives. Jâai demandé aux forces de police dâagir sans faiblesse, de ne
rien laisser passer, et jâai fait poursuivre ceux qui sâétaient rendus
coupables dâactes antisémites.
De même je nâai pas accepté que lâon outrage le drapeau dâIsraël : ceux
qui au cours dâune manifestation lâont souillé dâune croix gammée ont
été mis à la disposition de la justice qui les a condamnés à de la
prison ferme. Cette stratégie de refus de toute complaisance a fini par
porter ses fruits puisque ceux qui avaient tenté de détruire un local de
la synagogue de Montpellier ont été condamnés à des peines allant
jusquâà quatre ans de prison ferme, comme ceux qui avaient tenté de
détruire la synagogue de Cronenbourg, en Alsace. Cette année-même, le
tribunal correctionnel de Dijon a condamné un homme qui avait tenu des
propos antisémites à deux mois de prison ferme. Et dernièrement, le
jeune homme de 22 ans qui avait profané le mémorial de
Fleury-devant-Douaumont dans la Meuse a été condamné à deux ans de
prison dont un an de prison ferme.
Enfin à lâinitiative du parlementaire Pierre Lellouche, nous avons Ã
lâunanimité de toutes les forces politiques françaises aggravé les
peines punissant les infractions à caractère raciste ou antisémite. Vous
le voyez, câest maintenant la France entière qui est engagée dans la
lutte contre lâantisémitisme. Nous le devons à tous ceux qui ont disparu
dans lâhorreur de la Shoah, comme à tous ceux qui en sont revenus. Nous
vous le devons.
Jâajoute deux choses. La première, câest que lâantisémitisme ne
sâexplique pas puisquâil est inexcusable. Il se combat. Chercher Ã
expliquer lâinexplicable, câest se préparer à excuser lâinexcusable. La
deuxième, câest que la lutte contre lâantisémitisme nâest pas lâaffaire
des juifs de France. Câest lâaffaire de tous les Français. Insulter un
juif parce quâil est juif, câest insulter la république dans son
ensemble. Et la république doit réagir, comme elle doit réagir contre
toutes les formes de racisme et de xénophobie.
Sâagissant de la diplomatie, je sais aussi que les Israéliens se
demandent parfois si la France est toujours votre amie. Et je sais
quâalors quâIsraël a fait presque quotidiennement lâépreuve cruelle du
terrorisme aveugle et barbare, vous avez eu le sentiment quâen France,
on restait trop insensible à votre souffrance, et quâà tout le moins
vous nâaviez pas toujours ressenti notre compassion.
Alors soyons clairs : la France nâa jamais transigé et ne transigera
jamais avec la sécurité dâIsraël. A nos yeux il nây a pas plusieurs
formes de terrorisme dont certaines seraient plus acceptables que
dâautres : toutes sont abjectes. Je sais lâhorreur de ces attentats : le
Dolphinarium, Netanya, la pizzeria Sbarro, les deux enfants de Sderotâ¦
Nous sommes solidaires de la souffrance de vos victimes. Face à ce fléau
commun, notre détermination est totale : rien nâexcuse, rien nâexplique
un attentat.
Je nâoublie pas non plus que 27 Français ont été tués en Israël dans des
attentats. Quâil me soit donné ici lâoccasion de redire ma compassion
sans réserve pour toutes les victimes du terrorisme, et mon admiration
pour le courage et la force de caractère des citoyens israéliens, qui
font face à ce danger permanent et continuent de bâtir un grand Etat,
une démocratie vivante et une économie vigoureuse. Je ne dis pas cela
parce que je suis votre invité. Je le dis parce que je le pense !
Je voudrais aborder maintenant trois questions avec vous.
Où en est la relation entre Israël et la France ?
Jâai lu que des sondages récents montraient une faible sympathie des
Israéliens pour les Français. Je le regrette, car malgré les désaccords,
cette situation est à bien des égards paradoxale, câest même un
contre-sens. Il y a 80 000 Français et 500 000 francophones en Israël et
600 000 Français de culture ou de confession juive en France, qui
représentent la troisième communauté juive au monde par le nombre, après
les Etats-Unis et Israël.
Lâhistoire elle-même nous a davantage rapprochés quâelle nous a séparés.
Câest à Paris que Ben Gourion établit son quartier général après la
deuxième guerre mondiale. Câest en combattant en Syrie au côté des
forces françaises libres que Moshe Dayan perdit son Åil. Nos soldats ont
combattu ensemble en 1956. Et je sais dâexpérience que nos services de
renseignement travaillent très étroitement ensemble, y compris sur des
missions difficiles.
Quant aux liens économiques et commerciaux entre nos deux pays, ils sont
chaque jour plus solides. Le commerce franco-israélien a quasiment
doublé depuis le début des années 1990, atteignant aujourdâhui près de 2
milliards dâEuros. Nous constatons à la fois une forte progression de
nos exportations vers Israël et de celles dâIsraël vers la France. Et,
preuve de la vitalité de lâéconomie israélienne, cette progression nâest
pas limitée à tel ou tel secteur. Tout au contraire, elle concerne en
pratique tous les secteurs dâactivité.
Concrètement, les entreprises françaises qui ont fait le choix
stratégique de sâimplanter en Israël sont de plus en plus nombreuses ces
dernières années : Veolia, Danone, Schneider, lâOréal, Aventis, Alcatel,
Vilmorin, Rhodia, ⦠Dans le secteur bancaire : BNP-Paribas, Calyon, CIC,
Dexia ou la Compagnie Edmond de Rothschild. Réciproquement, un véritable
courant dâinvestissements israéliens en France tend désormais à se
développer. Câest le cas en particulier dans lâélectro-ménager, avec le
rachat de Brandt par le groupe israélien ELCO, de la filiale française
de Bayer par le groupe pharmaceutique israélien TEVA, ou plus récemment
dâAllibert par le groupe israélien de plasturgie KETER.
Les investisseurs français ne doutent pas du potentiel de votre
économie. Plus profondément encore, ils ont confiance en Israël et en sa
population. Je citerai à cet égard deux projets exemplaires où nos
entreprises se sont engagées.
En premier lieu, le groupe Véolia, avec ses partenaires israéliens, est
en train de construire à Ashkelon une usine de dessalement dâeau de mer
de 120 millions de mètres cubes, la plus grande du Moyen Orient, qui
devrait être opérationnelle dès lâannée prochaine. Par ailleurs, Alstom
et Connex vont construire et exploiter, avec leurs partenaires
israéliens, la première ligne de tramway de Jerusalem. Ces deux projets
représentent chacun plusieurs centaines de millions dâEuros
dâinvestissements et sont parmi les plus importants dâIsraël en termes
dâinfrastructures publiques : il nây a pas je crois de meilleure
illustration de lâintensité et de la qualité de notre coopération.
Je souligne dâailleurs que les entreprises françaises nâont pas eu tort
de faire le pari israélien puisque lâéconomie israélienne a retrouvé le
chemin dâune croissance vigoureuse, qui avoisinera cette année les 4%.
Je voudrais à cet égard saluer la courageuse politique de réformes
structurelles mise en Åuvre en Israël en termes de fiscalité, de
transferts sociaux, de privatisations ou de réformes du système
financier. Ces réformes sont le gage dâune meilleure compétitivité et
dâune croissance durable.
Au-delà des malentendus de circonstance, la réalité, câest que nous
avons beaucoup en commun et que nous ne pouvons nous permettre des
désaccords durables qui nâauraient comme résultat que de nuire à nos
deux pays.
Comment pouvons-nous construire une relation désormais indispensable
entre lâEurope et Israël ?
Là aussi, je veux parler librement. Je sais que lâEurope évoque encore
parfois pour vous les souffrances indicibles du peuple juif, des
persécutions du Moyen Age, de lâexpulsion des Juifs dâEspagne et du
Portugal en 1492, Ã la Shoah. Mais regardons en face les choses. Notre
avenir est commun, car nous sommes voisins, et ni vous ni nous nâallons
changer dâadresse. Nous partageons la même mer : la Méditerranée. Vos
valeurs sont celles des Européens. Vous êtes plus proches de nous
culturellement que de certains de vos voisins. LâUnion européenne est
votre premier partenaire économique : 40% de vos importations, 30% de
vos exportations. Par ailleurs, et ce nâest pas rien, nous nâavons pas
besoin de visa pour venir en Israël, et vous non plus pour venir dans
lâespace Schengen. Alors, même si votre premier réflexe est de vous
tourner vers les Etats-Unis, vous ne devez pas oublier lâEurope.
Quel est mon raisonnement ?
LâEurope doit être un pôle de stabilité pour elle-même, et un garant de
stabilité pour les autres. LâEurope est une puissance économique qui
peut vous aider à développer la croissance dans votre région, à faire
reculer la pauvreté dont se nourrissent tous les extrémismes, à créer
des intérêts entre vous et vos voisins qui mieux que tous les traités
enracinent la paix. LâEurope ne doit pas, ne peut pas oublier quâelle
est une puissance méditerranéenne. Derrière la question de la Turquie,
câest en fait toute la problématique de nos rapports avec la
Méditerranée qui se profile. Question vitale pour toute lâEurope du Sud
mais également pour lâidentité européenne qui doit tant à la
civilisation méditerranéenne. Câest la raison pour laquelle je milite
pour des partenariats privilégiés avec les pays de la région, au premier
rang desquels jâinscris Israël. Cette solution me semble bien préférable
à celle de lâadhésion à lâUnion européenne.
LâUnion fonctionnait déjà difficilement à 15, nous découvrons maintenant
la difficulté de prendre des décisions à 25, et nous devons dès
maintenant préparer un nouvel élargissement à la Bulgarie, la Roumanie
et, très vite sans doute, la Croatie.
Mais tout nouvel élargissement, quâil apparaisse légitime ou non au
regard de lâhistoire et de la géographie des nouveaux candidats,
reviendrait à revoir nécessairement à la baisse les objectifs de lâUnion
européenne. Plus nous serons nombreux, moins nous serons intégrés. Moins
nous serons intégrés, plus nous serons fragiles. Câest ce que je ne veux
pas. LâUnion européenne est un projet en soi. Elle ne doit pas être une
simple zone de libre-échange. Le cadre européen doit nous permettre de
bénéficier dâeffets dâéchelle et de partager des valeurs bien au delà du
seul grand marché de 450 millions de consommateurs.
Je crois à la logique, à lâintérêt mutuel et surtout à la nécessité de
Partenariats euroméditerranéens pour organiser la coopération autour de
notre mer commune. Dâailleurs, les outils de coopération se sont
multipliés depuis 10 ans : Fondation Anna Lindh pour le dialogue des
cultures, Facilité euroméditerranéenne dâinvestissement et de
partenariat, Fonds Meda, sans il est vrai que des résultats concrets
puissent dâores et déjà être valablement mis en avant.
Ma conviction est que nous devons ensemble être plus pragmatiques pour
être plus efficaces. Nous, les Européens, nous avons entamé la
construction européenne pour enraciner la paix. La première pierre de
cet édifice, la Communauté Européenne du Charbon et de lâAcier (CECA),
était un projet extrêmement concret, avec une logique supranationale.
Pourquoi ne pas imaginer pour vous et vos voisins immédiats une
organisation régionale en charge de la gestion des ressources en eau ?
Pourquoi ne pas réfléchir à des réseaux régionaux de transport, et
concevoir des voies de communication entre Israël et ses voisins ? Nous
devrions aussi favoriser lâintégration de la zone euroméditerranéenne
par des grands projets régionaux dans le domaine des télécommunications.
Israël, avec sa très grande compétence en matière de haute technologie,
doit y prendre toute sa part.
Et, pour aller encore un peu plus loin, pourquoi ne pas envisager un
marché commun de la Méditerranée de lâEst, avec Israël, le futur Etat
palestinien