Bienvenu(e)! Identification Créer un nouveau profil

Recherche avancée

Ils ont fait l'Alliance

Envoyé par lapid 
Ils ont fait l'Alliance
15 décembre 2008, 05:59
Vitalis Danon : Directeur d'école, Educateur et Ecrivain.

La Hara, le ghetto juif de Tunis, celui de Sfax et leur multitude de petits commerçants presque indigents, de femmes éreintées par les tâches familiales et le souci de trouver la nourriture, d'enfants dépenaillés ânonnant dans les Kettab sous la férule de "rabbins" quelquefois abusifs, ce monde là, presque médiéval, Vitalis Danon l'aimera et le décrira comme s'il en était issu, lui le Turc devenu Tunisien de coeur. S'identifiant pleinement à la vocation de l'Alliance, qui oeuvrait pour l'émancipationd des Juifs opprimés, c'est à eux qu'il consacrera sa vie et son énergie, d'abord comme instituteur et directeur aux écoles de I'Alliance de Sfax, de Tunis, puis comme responsable pour toute la Tunisie...

Pour en savoir plus : [www.aiu.org]
Re: Ils ont fait l'Alliance
14 mars 2009, 06:15
Pour en savoir plus sur Vitalis Danon cliquer sur le site :

ILS ONT FAIT L"ALLIANCE ou

[www.aiu.org]
Re: Ils ont fait l'Alliance
04 mars 2010, 03:38
Vitalis Danon

Né à Smyrne en 1898, Vitalis Danon vint s’installer en Tunisie durant la Grande Guerre, après des études à l’Ecole Normale Israélite de Paris, comme instituteur dans les écoles de l’Alliance israélite universelle, à Sfax (1917-1921), puis Tunis, à l’école de la Hafsia en plein cœur de la hara (1921-1926) après son mariage. En 1953, il est nommé directeur des écoles de l’Alliance en Tunisie, poste qu’il occupera jusqu’à sa retraite en 1960. Il est décédé à Cannes le 1er juin 1969.

Poète, il est l’auteur de Aaron le colporteur; D’ieu a pardonné; Ninette de la rue du Péché, des œuvres qui dépeignent la vie de la Hara, le quartier juif de Tunis. Il a aussi publié de nombreux articles sociologiques.

Vitalis Danon - Ninette de la rue du péché - Publication Alliance Israélite Universelle, Le Manuscrit, 2007, 124 p.,



Ninette de la rue du Péché - commentaire d'Albert Bensoussan

Vitalis Danon écrivit son récit alors qu’il était instituteur à l’école de l’Alliance à Sfax en 1938. Ninette est une pauvre fille-mère de la hara de Sfax qui dialogue avec le directeur de l’école en 8 séquences, toutes axées sur ce fils qu’elle vient inscrire au début, pour le reprendre à la fin de sa scolarité, six ans plus tard. De 6 à 12 ans, le fils de Ninette aura reçu cette instruction qu’elle n’a jamais eue, elle, et qui va lui permettre d’échapper à la fatalité de la misère familiale. Ces longs monologues où Ninette s’exprime dans un langage populaire et savoureux, sont une étonnante façon de suggérer toute une psychologie et de dresser, de la manière la plus efficace, un constat social. On pense parfois au grand roman de Jean Pélégri, Le Maboul, qui donne aussi, de l’intérieur, la parole à un miséreux, un exclu, un sans-voix. Nous pénétrons, donc, ici dans l’existence de cette Ninette qui vit de la force de ses bras : lavandière et blanchisseuse, mais installée dans la rue mal famée de la ville, la « rue du péché », ce qui l’oblige à apposer à sa porte l’ambigu écriteau : « meson onnette » ! Placée par le rabbin chez une riche veuve, elle se fait engrosser par son grand dadais de fils, qui jure de l’épouser… et ne le fait évidemment pas. Mais loin du misérabilisme auquel inviterait l’histoire, l’auteur prête ces propos lucides à la fille-mère : « Dupe, je ne le fus jamais entièrement. Mais il y avait plus d’un an que je n’avais connu d’homme. J’avais de la réserve à dépenser. Crainte, pudeur, retenue, allons donc, je te les balance par-dessus bord et me jette à corps perdu dans le tourbillon de l’amour ». Le texte n’oblitère jamais la truculence. Sans oublier l’humour, car à tant s’aimer, ce qui doit arriver arrive, mais Ninette l’exprime devant le directeur d’école avec toute sa malicieuse faconde : « Eh ! ben, tant va la cruche à l’eau qu’à la fin… Non, elle ne se casse pas, elle se remplit ! » Pour conclure, avec un cynisme amer et une dramatique crudité: « Quand un homme vous crache sa saleté dedans, bien sûr que la graine lève et que ça porte son fruit ». Et donc cet enfant du péché, ce garçon qu’elle conduit à l’école, et dont elle assure l’éducation, la dédommagera de tant de sacrifices, d’ingratitudes et de misères. Il sera sa revanche sur la vie. Mais jamais la chose n’est traitée avec complaisance. Ce monologue continu, haletant, drôle, parfois pathétique, toujours distancé du fait de la présence constante de l’interlocuteur ‘• le directeur de l’Alliance ‘•, fait du récit de Ninette un texte proprement faulknérien, et l’on songe tout naturellement aux pages brûlantes de Tandis que j’agonise. Il est donc temps de redécouvrir Danon, et d’inscrire son oeuvre au catalogue des récits les plus réussis de son époque, comme l’un des chefs d’oeuvre de la littérature judéo-maghrébine.....

Source : [www.terredisrael.com]

Extrait du livre

– Bonjour, M'sieur le Directeur. Voilà, c'est moi Ninette. Laquelle ? dites-vous. Il y en a tant et tant de Ninette dans notre petit patelin ! Eh ! ben, Ninette qui habite là-bas, en montant la rampe des remparts et par où l'on tombe juste en plein dans le quartier des femmes. La rue du Péché, pour ainsi dire, sauf votre respect. Pour me payer une chambre en ville, non, il n'y a pas moyen. Faut avoir des sous. Et moi, avec mes journées chez les bourgeoises – trente, quarante, allons même jusqu'à cinquante sous – j'arrive tout juste à donner un bout de pain à mon fiston. Alors, vous comprenez, faut pas faire la difficile. On loge où l'on peut, dans un petit réduit au voisinage de « ces dames » qui ne sont pas plus méchantes que d'autres puisqu'elles nous aident à passer les mauvais jours. Une chambrette à laver, une petite lessive, des commissions, il y a toujours quelques sous à tirer d'elles. Ce qui est embêtant, c'est que mon fils devient grandet et commence à comprendre. Car du soir au matin et du matin au soir voilà les tirailleurs, les spahis, les Sénégalais, les Arabes, les Bédouins, les Maltais, les Juifs, les Grecs ou Siciliens qui passent et repassent, choisissent d'abord de l'œil avant d'entrer avec une créature pour y goûter. On m'a dit : Va à l'école des Juifs pour ton fils ! Et je suis venue. Vous le recevrez, bien sûr. Ailleurs on n'a pas voulu de lui parce que je n'ai pas des papiers. Des bulletins, des certificats de naissance. Où voulez-vous que je les prenne ? Ce petit n'a pas de père. On nous a plaqués dès que j'avouai que je me sentais grosse. Sans vous offenser, M'sieur, je vous dis la vérité. Il n'y a pas à le cacher, tout le monde le sait. Enfin, vous comprenez dans quel embarras je me trouve à présent. Mais c'est mon fils, ça pour sûr. Pas vrai, mon petit Israël ? Regardez-le comme il est gentil et propret et tout. Pas vrai que vous l'acceptez, dites ? Ce n'est pas possible que vous soyez méchant comme les autres. Vous l'inscrirez. Qu'est-ce que ce bout de papier que l'on me demande partout ? Si c'était tellement nécessaire, le Bon Dieu nous aurait créés avec, n'est-ce pas ? Comment s'appelle mon fils ? Je vous l'ai dit : Israël. Israël quoi ? Ah ! ça par exemple, du diable si j'y ai jamais pensé. Vous qui êtes plus savant que moi, dites, comment doit se nommer un petit qui n'a pas de père ? Moi, je suis Ninette. Vous ne me connaissiez pas ? Allons donc ! C'est-il peut-être que vous n'êtes pas du pays alors. Ou bien vous faites celui qui ne voit pas quand vos méchants gamins me lancent des pierres à la sortie des classes. Et les jeunes gens donc ! Vous ne les avez jamais aperçus quand ils m'attrapent dans un coin et me pelotent et me pincent au sang ! C'est pour rigoler, qu'ils disent. Allez, je les connais, les hommes. Tous plus ou moins cochons. Ça les excite de me voir à terre, les quatre fers en l'air. Mille excuses, M'sieur, si je vous agace. Allons, prenez mon fils. Ne le renvoyez pas pour une bêtise. Inscrivez-le et apprenez-lui à mettre du noir sur du blanc. Qu'il devienne un homme et pas un savant, bien entendu, je ne suis pas ambitieuse, mais un homme qui me tirera d'où je suis.
Re: Ils ont fait l'Alliance - Vitalis Danon
06 avril 2010, 16:25
Le parcours de Vitalis Danon

Extraits de : "Contre la disparition du monde francophone de l’Alliance israélite universelle : les efforts de Vitalis Danon à Tunis (1945-1958) Par Danielle Omer, Université du Maine (Le Mans) - Manuscrit auteur, publié dans "L'émergence du domaine et du monde francophone (1945-1970), Saint Quentin en Yvelines : France (2007)"

[halshs.archives-ouvertes.fr]

Jusqu’en 1945 Vitalis Danon est né en 1897 à Andrinople (Edirne dans l’actuelle Turquie), de citoyenneté ottomane.

Il fréquente l’école de l’AIU où il apprend le français. Il partira après à Paris à l’Ecole Normale Israélite Orientale où il sera formé comme instituteur. En 1918, il est nommé adjoint au directeur à l’école de Sfax, en Tunisie, puis adjoint de 1921 à 1926 à l’école de la Hafsia, à Tunis. Ensuite, il repart pour Sfax où il devient directeur et y reste jusqu’à la fin de la guerre. Il acquiert la nationalité française en 1925. [Rapport du 10 septembre 19482, Fiche du personnel {3}, Les cahiers de l’AIU n°11 : 1995 : {2}]

L’action de Vitalis Danon après 1945

1945-1954. A l’école de la Hafsia sous le Protectorat : des difficultés de toutes sortes

1945-1948 occupation de l’école par des réfugiés

Vitalis Danon est nommé, à la rentrée scolaire de 1945 (il a alors 48 ans), directeur de l’école de garçons de la Hafsia, à Tunis, il y restera neuf ans. C’est une grande école regroupant les « classes enfantines » (la maternelle actuelle) et les classes de primaire et pouvant accueillir un peu plus de 800 élèves. Située tout près du quartier populaire juif de la Hara, l’ancien ghetto de Tunis, l’école de la Hafsia y recrute ses élèves. Au moment où Vitalis Danon en devient le directeur, l’école ne peut fonctionner parce qu’elle est entièrement occupée depuis les années de guerre par des familles de réfugiés juives.

Dans une lettre, datée du 28 septembre 19454, adressée comme toujours au président de l’AIU, Vitalis Danon rédige un état des lieux.

Concernant l’état de l’école, il commence ainsi : « Votre école de la Hafsia fut le plus beau palais scolaire de Tunis. J’y ai enseigné de 1921 à 1925. Je ne le reconnais plus. » Il énumère ensuite les dégradations commises. Il explique, par exemple, qu’une famille de réfugiés s’est installée dans le bureau réservé au directeur, et que les réfugiés vivent dans l’école, « […] à raison de trois familles par classe, dans une promiscuité dégradante et immorale. »

V. Danon se met immédiatement au travail pour essayer de faire partir les réfugiés, de réinstaller l’école, mais personne du côté des autorités françaises en Tunisie n’est en charge du dossier. Toujours dans la même lettre, il écrit : « Pour opérer un redressement qui s’avère urgent, il faut attendre que les réfugiés soient casés ailleurs. Mais où ? C’est là tout le problème. Et il n’est pas facile à résoudre. Il ne dépend de personne en Tunisie. Pas même de M. le Résident Général de France en Tunisie. C’est à Paris et à Alger que les services des réfugiés sont centralisés. »

Dans le rapport du 10 septembre 19485, écrit à Annemasse durant des vacances en Haute Savoie, V. Danon, craignant moins le service de la censure, révèle que les autorités en charge du dossier des réfugiés lui firent dire : « Vous êtes des Juifs entre vous, débrouillez-vous. »

Les réfugiés, n’ayant pas où aller, restent et ne songent pas à partir. V. Danon parvient à les regrouper au premier étage afin de réserver le rez-de-chaussée à la population scolaire proprement dite. En cette rentrée d’octobre 1945, dix classes recommencent tant bien que mal à fonctionner dans des salles où les vitres manquent {6}, malgré quelques réparations essentielles.

Il faudra que le Président de l’AIU, René Cassin, écrive à plusieurs reprises au Résident Général de France à Tunis, que les organisations sur place se mobilisent sans relâche et que V. Danon se montre intransigeant, patient et entreprenne « une longue série de procès qui durèrent presque un an {7} » pour que les réfugiés soient relogés ailleurs. Les derniers réfugiés libèreront l’aile droite du bâtiment en mars 1948 ; V. Danon pourra enfin annoncer la « libération de [l’] école par les réfugiés {8} » aux autorités de l’AIU.

Une population scolaire instable

A ces énormes difficultés logistiques et organisationnelles s’ajoute le fait que l’écrasante majorité des élèves de cette école ne poursuit pas le cycle d’études primaires jusqu’au bout.

Les parents envoient leurs enfants à la Hafsia pour les avantages procurés. Dès que ces derniers sont en âge de commencer à travailler, les premiers les retirent de l’école.

Ainsi, dans son rapport daté du 26 juin 19509, V. Danon écrit :
« L’Ecole de la Hafsia a de tout temps souffert de l’instabilité de sa population scolaire.
Sur une moyenne de cinq cents élèves, trente à peine persévèrent et achèvent le cycle des études primaires élémentaires. Les autres, en cours de route, après deux ou trois années, tombent si l’on peut dire et disparaissent. Tout cela malgré les avantages substantiels que nous offrons indirectement aux parents […]

[…]
Les parents, intéressés par le misérable salaire que peut procurer un enfant de douze ans et qui durant de longues années sera exploité par un patron qui ne lui enseignera rien n’hésitent pas à briser l’avenir de leur progéniture et à le compromettre irrémédiablement. »

Ou bien encore, dans le rapport du 03 juillet 1953 {10}, on peut lire :
« Notre recrutement se fait dans les milieux les plus pauvres de la Hara.
Sans pudeur, des parents nous avouent n’envoyer leurs enfants à la Hafsia qu’à cause de la cantine.
[…]
Beaucoup d’enfants des C.E et des C.M. ont terminé leur année scolaire sans avoir pu ou voulu s’acheter l’unique livre que nous exigions : le livre de Lecture ! »
Dans ces conditions-là, il n’est pas étonnant que l’échec scolaire soit de règle. Dans le même rapport, V. Danon note à ce sujet :
« Rares sont ceux qui font une scolarité normale. Pour commencer, tout le monde redouble tous les cours.

Poussé par la misère, un très grand nombre d’enfants quitte, après avoir traîné dans les CP et les CE, à la veille de passer dans un CM.
Ils ont treize ans ! »
Dès lors, il est très difficile de constituer des classes d’examen comme celles de CM2 et celles de Cours supérieur, bien que l’école dispose d’un gros effectif. Ainsi, toujours dans le même rapport du 3 juillet 1953, V. Danon, après avoir précisé que l’effectif s’élevait à 803 élèves inscrits au 30 octobre de l’année 1952, évalue comme un bon résultat que l’école soit enfin en mesure de constituer deux classes de CM1. Jusque-là, écrit-il, l’école « ne comprenait qu’un CM1 et un CM2 assez faibles ». Par contre, le niveau du CP comprenait
quatre classes regroupant 206 élèves !

Une population enseignante également instable

Dans le rapport du 3 juillet 195311, V. Danon se plaint aussi de l’instabilité du personnel sans en préciser toutes les causes. Il écrit ainsi : « Au cours de ces trois dernières années, seul le titulaire du CM2 a conservé sa classe. » Il indique que la classe de CE2 a eu quatre maîtres ou maîtresses durant la même année scolaire. Le dernier maître en date dans cette classe a été obligé d’enseigner deux heures par jour dans une autre école rattachée au réseau de l’AIU et s’est vu remplacé « dans sa classe par un rabbin et un maître libre du fait de l’heure
d’hébreu. » C’est ainsi qu’il explique qu’aucun élève du CE2 n’ait pu passer en CM1 à la rentrée de 1952.

L’Aliyat Hanoar et la dégradation des conditions de vie

Dans son rapport du 26 juin 195012, V. Danon raconte que « Par petits groupes, toutes les semaines, de tout jeunes enfants » quittent l’école de la Hafsia, « sans même venir [] faire leurs adieux ». Ils s’en vont, écrit-il, dans le cadre de l’Aliyat Hanoar, qui, pour le courant sioniste de cette époque dans les pays du Maghreb, correspond à l’organisation de l’émigration des enfants juifs d’Afrique du Nord en Israël.

V. Danon souligne qu’au-delà de l’idéologie sioniste d’autres facteurs sont à considérer pour comprendre cette émigration.
« Si l’on avait adressé une sorte d’ultimatum aux Juifs de Tunisie d’avoir à choisir entre la Tunisie et Israël, beaucoup, malgré leur idéologie sioniste auraient été très embarrassés pour faire leur choix.

Mais deux facteurs sont entrés en jeu et qui font pencher la balance en faveur de l’émigration :
1) la question de l’habitat ;
2) la misère économique. »

En effet, d’une part, les autorités démolissent petit à petit les logements du quartier de la Hara sans en reconstruire d’autres à la place. Les familles expulsées doivent aller s’établir à l’Ariana petit village près de Tunis où les conditions d’habitation sont encore pire qu’à la Hara. « L’on a chassé la misère de la ville de Tunis mais on l’a réinstallée un peu plus loin, à sept kilomètres », écrit V. Danon.

D’autre part, les petits métiers occupés traditionnellement par les Juifs, comme ceux du colportage, de l’artisanat de la chaussure et de l’habillement commencent à être systématiquement occupés par les Arabes. Les écoles professionnelles de l’AIU ont bien formé des ouvriers qualifiés, mais ceux-ci trouvent difficilement du travail, du
fait de leur identification comme Juifs.

Un peu découragé, V. Danon pointe les limites du fonctionnement communautaire :
« Comment peut-on changer la mentalité des gens d’ici ? Le colon Français, le “prépondérant” pour l’entretien ou la conduite de tout son matériel ne s’adresse jamais à un Juif, n’emploie jamais un Juif. Les Arabes aussi, les Italiens également réservent leurs emplois à leurs nationaux.

Voilà pourquoi la jeunesse juive émigre. »

1954-1958. A la direction générale des écoles de l’AIU en Tunisie : une période de grande incertitude

De la fin du Protectorat à l’Indépendance.

A la rentrée de 1954, Vitalis Danon est nommé directeur de l’école Malta-Srira de Tunis, une école où la population scolaire est moins défavorisée que celle de la Hafsia et qui regroupe les classes du primaire et les cours complémentaires de la 6e à la 3e. Simultanément, comme son prédécesseur à la tête de la Malta-Srira, il est nommé directeur général des écoles de l’AIU pour toute la Tunisie.

Durant cette période charnière, l’administration française du Protectorat laisse la place à l’administration tunisienne du pays qui accédera définitivement à l’indépendance en 1956.

V. Danon cherche à préserver la spécificité de l’éducation que l’AIU a conçue pour les enfants des communautés juives. Cette spécificité consiste non seulement à proposer un enseignement en français ancré dans les principes éducatifs du modèle français pour les contenus, les programmes et les examens, mais à l’assortir aussi d’un enseignement de matières juives et religieuses, notamment avec les cours d’histoire sainte et d’histoire juive.

Attitude face à l’arabisation dans les écoles primaires et secondaires

Dès le premier rapport général, daté du 28 décembre 195413, qu’il envoie aux autorités centrales à Paris, V. Danon souligne la nécessité d’introduire l’enseignement de l’arabe dans les classes, sans toutefois en donner la cause qui semble entendue.

Il écrit ainsi :
« Quel que soit le régime politique que le destin et les hommes feront à la Tunisie, tout le monde a senti, réellement senti l’impérieuse nécessité d’introduire l’enseignement de la langue arabe dans nos Ecoles, […].

Pendant des années on a palabré à ce sujet : il y avait de tous les côtés une certaine tiédeur pour ne pas dire de l’opposition. Le Comité Central, passant outre à tous les mauvais arguments que l’on avançait a insisté auprès de la D.I.P {14.} et a obtenu gain de cause.
Dix classes de cours moyen (les 7e) reçoivent régulièrement une demi-heure chacune d’enseignement d’arabe dialectal quotidiennement. Ce n’est qu’un début. »

Un peu plus loin, on apprend que les élèves de 4e ont eu jusqu’alors comme deuxième langue l’italien. V. Danon affirme qu’il faudra remplacer l’italien par « l’arabe littéraire langue très dure à apprendre pour nos élèves et qui les handicapera pour leur examen d’entrée en Seconde des Lycées {15}. » On constate ainsi que, paradoxalement, le programme des écoles de l’AIU en Tunisie n’accordait jusque-là aucune place ni à l’arabe dialectal ni à l’arabe littéraire alors que les communautés juives en Tunisie avaient le judéo-arabe pour langue maternelle, une variété d’arabe dialectal, et qu’un tiers des Juifs tunisiens ignorait totalement le français (Taieb & Tapia : 1975 : 29).

Un an plus tard, V. Danon devient plus explicite lorsqu’il recommande d’introduire l’enseignement de l’arabe dans les écoles de l’AIU. Depuis le retrait amorcé de l’administration française, les Juifs ne peuvent plus en faire l’économie. Dans une lettre datée du 1er novembre 1955 {16}, il s’exprime ainsi : « Très rapidement, le fonctionnaire français a cédé la place à l’autochtone. A la Poste, aux Contributions, aux Douanes, aux Travaux Publics etc. on ne parle que l’Arabe. » Cette situation nouvelle aura des conséquences néfastes extrêmes qu’il formule à deux reprises de la manière suivante dans la même lettre :
« Faute de connaître sérieusement l’arabe, le Juif tunisien est sûrement appelé à disparaître, à périr dans la misère. […] Pour nos Juifs tunisiens, la connaissance de cette langue est véritablement une question de vie ou de mort. » Cependant, il ne s’agit pas pour autant de remplacer le français par l’arabe comme langue d’enseignement. C’est ce qu’il exprime toujours dans cette même lettre lorsqu’il écrit :
« J’interroge souvent les parents de nos élèves : à quel enseignement aspirez-vous pour vos enfants ?
Tout le monde sans exception me répond ceci : nous ne pouvons point renoncer à la culture française, ni juive. Mais nous demandons que la langue arabe soit très sérieusement enseignée aussi. »

C’est pourquoi V. Danon recommande, dans sa lettre, d’introduire une heure d’arabe par jour, pour l’année scolaire suivante et de parvenir ensuite à deux heures. Cette proposition commencera à être mise en oeuvre à la rentrée de 1956, avec l’introduction d’une heure par jour d’arabe littéraire dans les classes de CE {17}. Cette mesure reste cependant très en retrait par rapport à la décision de l’arabisation générale des classes des cours préparatoires dans les écoles sous tutelle directe et entière du Ministère tunisien.

A la rentrée de 1958, V. Danon décide en accord avec l’AIU de ne pas appliquer les instructions de la récente circulaire du Ministère tunisien de l’Education Nationale qui initie une réforme scolaire d’envergure et qui, entre autres, démarre une politique linguistique d’arabisation systématique pour les trois premières années des écoles primaires. Voici ce qu’il écrit au Président de l’AIU à la date du 3 septembre 1958 {18}, alors qu’il est en France, sur le point d’embarquer pour Tunis :
« Pour en revenir à notre situation actuelle, n’ayant pas à ce jour reçu des instructions formelles de la part des autorités tunisiennes, nous allons faire une rentrée scolaire habituelle, c’est-à-dire, sans tenir compte de la réforme préconisée par l’Education Nationale et dont l’application entraînerait la suppression de l’Hébreu d’abord, et de douze postes de “français” ensuite. »

On observe que V. Danon, d’une part, se rend bien compte que les élèves des écoles de l’AIU doivent absolument apprendre l’arabe pour pouvoir vivre et travailler dans la Tunisie indépendante mais que, d’autre part, il ne peut accepter une réorganisation aussi radicale qui détruirait complètement la spécificité du profil des écoles de l’AIU en Tunisie. En effet, la politique d’arabisation, pour ces écoles qui partagent avec les écoles françaises la même culture éducative, rend inaptes les instituteurs et les institutrices formés en français et pour le français ; De même, elle rend inadéquate, l’Ecole Normale Israélite Orientale, institution prestigieuse de formation des maîtres et des maîtresses du réseau d’écoles de l’AIU, basée à Paris. Cette très grande proximité avec la langue et la culture françaises s’exprime aussi par le fait que trois directeurs et la directrice sur les cinq à la tête des écoles de l’AIU, en Tunisie, ont demandé et obtenu la nationalité française à un moment donné. Enfin, l’enseignement de la culture et de la religion juives constitue une raison d’être de ces écoles qui n’est pas négociable.

Conclusion

Au moment où la Tunisie se lance dans une politique d’arabisation, où la religion musulmane deviendra, dans le premier article de la constitution de juin 1959, la religion d’Etat, et où l’accès à de nombreuses professions dans l’administration devient réservé aux seuls musulmans, Vitalis Danon et beaucoup de ses coreligionnaires vont se sentir menacés par ces restructurations profondes (Sebag : 1991 : 286).

C’est pourquoi l’émigration vers la France, vers Israël ou dans une moindre mesure vers l’Amérique du Nord va se poursuivre régulièrement et c’est ainsi que l’ancienne francophonie juive tunisienne disparaîtra petit à petit entre 1945 et 1967.

L’examen du parcours professionnel de Vitalis Danon, infatigable et loyal directeur d’école de l’AIU, entre 1945 et 1958, documente au plan individuel et particulier l’extinction de la francophonie juive tunisienne, mouvement de fond, qui a, par ailleurs, été souvent étudié sur un plan plus global (entre autres Taieb & Tapia : 1976, Sebag : 1991).

Dans l’observation et l’analyse de l’émergence du domaine et du monde francophones, il convient de ne pas oublier la dynamique parallèle et contradictoire de la quasi disparition de la francophonie juive dont les structures étaient internationalement organisées depuis la fin du XIXe siècle. Force est de constater qu’il n’y a eu aucune convergence entre ces deux dynamiques et que le réseau scolaire de l’AIU n’a pas pu s’adapter ni survivre à la montée des nationalismes et des fondamentalismes religieux, en Tunisie, mais aussi, et plus globalement,
dans les pays du bassin méditerranéen méridional et oriental.

Références

Références des dossiers consultés dans les archives de la bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle, 45 rue La Bruyère, Paris :

AM TUNISIE III E14.
AM TUNISIE III E19.
AM TUNISIE III E26.
AM TUNISIE III E28.
AM TUNISIE IV E34.
AM TUNISIE IV E36.
AM TUNISIE V E38.

Bulletin de l’Alliance Israélite Universelle (BAIU)
accessible sur le site [jic.tau.ac.il]
- janvier 1860
- juillet 1863
- janvier 1865
- 1913, n° 38

1995 : Les cahiers de l’Alliance Israélite Universelle n°11 : 2-4.
RODRIGUE, A. (1989) : De l’instruction à l’émancipation. Les enseignants de l’Alliance israélite universelle et les Juifs d’Orient (1860-1939), Paris : Calmann-Lévy.

SEBAG, P. (1991) : Histoire des Juifs de Tunisie. Des origines à nos jours. Collection Histoire et Perspectives Méditerranéennes, Paris : L’Harmattan.

TAIEB, J. & TAPIA C. (1975) : « Les Juifs de Tunisie. I – Sous le règne de l’Islam, II – De la conquête française à l’Indépendance. » Les Nouveaux Cahiers n°42, Paris 45 rue La
Bruyère, p. 3-34.

2 AM TUNISIE III E19.
3 Accessible à l’adresse internet [www.archives-aiu.org] dans la rubrique FICHES DU
PERSONNEL sous le titre DANON – Vitalis – 0189 – Andrinople.
4 AM TUNISIE III E14.
hal-00463597, version 1 - 12 Mar 2010
5 AM TUNISIE III E19.
6 Lettre datée du 5 octobre 1945, (AM TUNISIE III E14).
7 Voir le rapport du 10 septembre 1948, (AM TUNISIE III E19).
8 Lettre datée du 3 mars 1948, (AM TUNISIE III E19).
9 AM TUNISIE III E26.
hal-00463597, version 1 - 12 Mar 2010
10 AM TUNISIE III E28.
11 AM TUNISIE III E28.
12 AM TUNISIE III E26.
hal-00463597, version 1 - 12 Mar 2010
13 AM TUNISIE IV E34.
14 Direction de l’Instruction Publique. Institution d’obédience française sous le Protectorat.
15 Rapport daté du 28 décembre 1954 (AM TUNISIE IV E34).
16 AM TUNISIE IV E34.
17 Rapport général du 22 novembre 1956 (AM TUNISIE IV E36).
18 AM TUNISIE V E38.
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter






HARISSA
Copyright 2000-2024 - HARISSA.COM All Rights Reserved