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L'énigme Shas

Envoyé par MeYeR 
L'énigme Shas
01 septembre 2010, 05:53
L'énigme Shas
30/08/2010

Aryeh Dayan pour le Jerusalem Report

A Jérusalem, chez l'ancien grand rabbin et omniprésent chef spirituel du parti sépharade ultra-orthodoxe Shas. Au fil des ans, bon nombre d'étranges scènes politiques se sont déroulées dans la modeste maison du Rav Ovadia Yossef. Mais rien d'aussi singulier que la fête donnée fin juin, à l'issue de l'épisode de l'école Emmanuel, quand des jeunes filles sépharades avaient été mises au ban de cet établissement ultra-orthodoxe de Judée-Samarie.

Réunion orthodoxe chez Ovadia Yossef

Dans l'après-midi du 27 juin, quelque 200 haredim ahkénazes, membres des Hassidei Slonim responsables de la ségrégation à l'école Emmanuel, s'étaient déplacés jusqu'au domicile du vénérable rabbin pour lui rendre hommage.

La scène n'était pas seulement inédite - des haredim ashkénazes s'inclinant devant un rabbi sépharade - elle semblait aussi défier toute logique politique rationnelle. Le Shas a été fondé il y a environ 30 ans comme un parti ultra-orthodoxe sépharade. Et voulait justement lutter contre toute discrimination à l'encontre des Sépharades. Mais cet après-midi-là, les Hassidei Slonim menés par Rabbi Shmouel Borozovski, ont rempli la synagogue proche de la maison du Rav Yossef. Et dès leur arrivée, n'ont eu de cesse de l'encenser. Lorsque le Rav est entré dans la synagogue, ils se sont levés en son honneur, lui chantant des louanges spéciales, habituellement réservées aux grands rabbins de leur propre communauté. Puis ont écouté, subjugués, son bref discours, semblant ignorer tous les différends qui avaient pu les opposer par le passé.

Les 33 membres d'honneur, principalement ashkénazes, que le Rav Yossef (90 ans) avait fait l'effort d'accueillir par cette chaude journée d'été, étaient assis au milieu de la synagogue. C'étaient les parents des enfants impliqués dans l'affaire de l'école Emmanuel. Quelques heures plus tôt, ils avaient été relâchés de la prison Maasiyahou, où ils avaient été incarcérés pour avoir défié un ordre de la Cour suprême qui autorisait les filles sépharades à s'asseoir en classe aux côtés des filles ashkénazes à l'école hassidique.

La volte-face du Shas

Ce revirement étonnant est typique de la politique haredi. Bien que la raison d'être initiale du parti était de protéger les droits des haredim sépharades, longtemps sous le joug de la majorité ashkénaze de l'époque, le Shas s'est maintenu dans un silence assourdissant pendant toute l'affaire Emmanuel, pour finalement s'aligner avec les boycotteurs ashkénazes.

Pour une fois, les supporters et électeurs du parti Judaïsme unifié de la Torah, dont les Hassidei Slonim sont une composante majeure, se retrouvaient au sommet. Alors que ces
20 dernières années, ils avaient vu leur vieux parti usé à la peine derrière le jeune et dynamique Shas.

L'affaire de l'école Emmanuel a atteint son paroxysme à la mi-juin, lorsque la Cour suprême n'offrit que deux possibilités aux parents ashkénazes : envoyer leurs filles à l'école avec les Sépharades, ou aller en prison. Les parents ont choisi la prison. Et soutenu que leur décision ne reposait pas sur des considérations ethniques, mais religieuses : ils n'étaient pas contre les jeunes filles parce qu'elles étaient sépharades, mais parce que leur mode de vie n'était pas suffisamment orthodoxe. Selon eux, les filles dont les familles se conformaient au mode de vie haredi étaient acceptées.

Les Hassidim ont essayé de tourner les charges de discrimination ethnique retenues contre eux en une affaire contre la Cour suprême laïque, qui tenterait de s'ingérer dans leur vie religieuse. La solution est finalement venue d'un compromis entre le Shas et les politiques Slonim : à la fin de l'année scolaire, toutes les filles iraient rejoindre un camp d'été, les parents emprisonnés seraient relâchés et au début de la nouvelle année scolaire une solution durable serait trouvée. Une conciliation présentée comme une grande victoire sur la Cour suprême par les Hassidim.

Et quand il a dû choisir entre défendre les Sépharades contre la discrimination ashkénaze, ou soutenir les haredim ashkénazes contre la Cour suprême, le Rav Yossef a décidé d'infliger un camouflet à cette dernière. Toute personne faisant appel à la Cour n'aura pas sa place dans le monde à venir, a-t-il décrété.

Débuts ashkénazes d'un parti sépharade

Comment en est-on arrivé là ? Pour tenter de comprendre, il faut fouiller dans les annales de la complexe histoire du Shas. Depuis sa création à la veille des élections générales de 1984, l'histoire du parti peut être divisée en trois périodes distinctes. Et chacune d'elles est caractérisée par des relations très différentes entre le Shas et les haredim ashkénazes.

A ce jour, trois hommes l'ont présidé : Rabbi Itzhak Peretz pendant les quatre premières années ; Arieh Deri de 1988 jusque 1999, quand il est débarqué suite à un ultimatum posé par le Premier ministre Ehoud Barak au Rav Yossef ; et Eli Yishaï, l'actuel ministre de l'Intérieur, depuis 1999. Si le Rav Yossef contrôle chacun des mouvements du Shas, les mandats des leaders ont été marqués par de profonds changements dans les relations du parti avec le monde extérieur, qu'il soit religieux ou laïc.

Jusqu'en 1988, le Shas était un parti sépharade contrôlé par des Ashkénazes. Il a été créé sur une initiative du Rabbi Eliezer Menachem Schach, responsable de la yeshiva Ponezeveh de Bnei Brak et leader incontesté du courant lituanien des haredim ashkénazes, jusqu'à sa mort en 2001. En 1982, à la suite d'une âpre lutte de pouvoir parmi les Ashkénazes, Schach a été exclu par une décision du "Conseil des Sages de la Torah". Et s'est alors retrouvé sans étiquette politique. Il décide de fonder le Shas à l'approche des élections de 1984 pour deux raisons : maintenir un certain degré de pouvoir politique à travers une représentation parlementaire, et se venger du parti ashkénaze prédominant Agoudat Israël en lui prenant des sièges.

A ce moment-là, le rav Yossef cherche lui aussi à prendre une revanche. Il souhaite affirmer son indépendance vis-à-vis d'Agoudat Israël et du Parti national religieux, qui venaient tout juste de saboter ses efforts pour prolonger son mandat de Grand Rabbin sépharade d'Israël. Les chemins de ces deux vénérables rabbins vont alors se croiser. De là, le Shas est né. Son chef officiel : Ovadia Yossef. Mais c'est Menahem Schach qui prenait les décisions les plus importantes. Trois des quatre membres représentants du parti à la Knesset de l'époque avaient étudié dans les yeshivot lituaniennes et juraient fidélité au Rav Schach. Parmi eux, Itzhak Peretz.

Le quatrième n'était autre que Yaacov Yossef, le propre fils d'Ovadia Yossef, censé représenter les intérêts de son père. Mais le père et le fils vont se brouiller et Yaacov tomber en disgrâce auprès de son aîné. Et c'est ce même Yaacov qui était récemment derrière la pétition, élément déclencheur de l'épisode Emmanuel, au grand dam d'Ovadia Yossef.

Avec Itzhak Peretz, né au Maroc, arrivé enfant en Israël, et devenu rabbin à la mode lituanienne, l'objectif premier du Shas était de convaincre les Sépharades traditionalistes et modérément religieux de se rapprocher du mode de vie ultra-orthodoxe. Mais dès le début, les relations entre Schach et Yossef étaient tendues et finiront par se solder par une scission. Alors que Peretz, agissant pour le compte de Schach, tentait d'augmenter l'influence lituanienne au sein des Sépharades, Yossef songeait à créer un monde haredi-sépharade parallèle, sans Schach.

Il y avait pourtant des terrains d'entente. Les deux leaders pensaient que le Shas devait se cantonner au monde ultra-orthodoxe et non pas militer pour des changements drastiques au sein de la société israélienne dans son ensemble.

La révolution Deri

Tout va changer en 1988, quand Arieh Deri remplace Peretz à la tête du Shas. Ce changement de garde, intervenu juste avant les élections nationales, est alors le résultat de la rupture entre Yossef et Schach, exacerbée par la décision de ce dernier de fonder Deguel Hatorah, un nouveau parti politique sans Sépharades. Initiative perçue par le Rav Yossef comme un véritable affront. Pire : la naissance de Deguel Hatorah menaçait l'existence même du Shas. Mais après tout, lors des élections précédentes, le Shas avait été majoritairement soutenu par les Lituaniens.

Ovadia Yossef va alors décider de frapper un grand coup. Il évince Peretz, soutien indéfectible de Schach, et remet le parti entre les mains de Deri. Et lui demande d'accepter ses conseils pour aider le Shas à survivre et impulser une nouvelle forme de politique haredi. Aidé par son ami proche, Rabbi Ouri Zohar, célèbre réalisateur israélien devenu religieux, Deri réinvente le Shas, en menant une campagne destinée à tous les Sépharades et pas uniquement les haredim. Au lieu de communiquer sur l'établissement d'un monde sépharade de la Torah, Deri évoque la discrimination contre les Sépharades dans la société israélienne, et insiste sur la nécessité de la renaissance d'une certaine fierté ethnique. Le Shas ne doit plus seulement être impliqué dans les subtilités du monde haredi : Deri a l'intention de lui faire jouer un rôle actif dans tous les aspects de la vie du pays.

Au moment de comptabiliser les votes, il est clair que la stratégie a fonctionné : le Shas n'a pas seulement survécu à son abandon par Schach, il a également augmenté son nombre de sièges parlementaires (six au lieu de quatre).
Assis au gouvernement en tant que ministre de l'Intérieur, Deri va continuer de remodeler le Shas, au-delà même de ses attentes les plus folles. D'une formation haredi, marginale dans le paysage politique israélien, il en fait un parti sépharade qui, même construit sur une base haredi, se veut le représentant de tous les Sépharades pour augmenter leur influence à l'échelon national. Avec Deri, l'objectif du parti n'est plus de changer le monde haredi, mais Israël.

Coupable, mais héros

En travaillant sur ces objectifs, Deri va brillamment exploiter toutes les faiblesses du système politique laïc. Au lendemain des scrutins, les rivalités sont exacerbées pour savoir qui prendra la direction des gouvernements d'union nationale. Deri va habilement manœuvrer entre le Likoud d'Itzhak Shamir et le Parti travailliste d'Itzhak Rabin et Shimon Peres, en les montant les uns contre les autres. Puis, en 1996, après l'élection de Binyamin Netanyahou au poste de Premier ministre, il décide de faire du Shas le premier partenaire du Likoud. Deri devient alors le bras droit de Netanyahou et le membre le plus influent de son cabinet.

Il va même réussir à tirer profit des accusations de corruption qui pèsent sur lui. Lors des enquêtes policières diligentées dans les années 1990 et la longue procédure judiciaire qui s'ensuit, il réussit à changer son image de criminel retors pour celle d'innocente victime de l'oppression ethnico-politique, ce qui va le rendre plus populaire encore auprès de la communauté sépharade. Les résultats seront sans appel : le Shas attire de plus en plus de Sépharades, jusque-là plutôt enclins à voter Likoud. Et en 1999, au paroxysme de la procédure judiciaire contre Deri, le Shas réussit son plus incroyable score aux élections : 17 sièges à la Knesset, soit deux de moins, seulement, que le Likoud.

Deri est devenu un héros, même auprès des haredim ahkénazes. Depuis la naissance de l'Etat hébreu en 1948, aucun parti religieux n'avait jamais remporté plus de six sièges. L'admiration pour Deri et la jalousie suscitée par le Shas sont, au moins indirectement, responsables de l'amélioration sensible de la façon de traiter les Sépharades au sein de la société haredi.
Mais un homme, toutefois, ne savoure pas autant la victoire : Ovadia Yossef. Deri ne l'implique pas toujours dans ses décisions stratégiques. De plus, dans l'idée du rav Yossef, le Shas n'a pas été créé pour courir derrière une investiture nationale, mais pour fonder une ultra-orthodoxie des Sépharades et représenter leurs intérêts.

L'ambition du Rav : augmenter le pouvoir électoral du Shas pour renforcer sa position au sein de la communauté haredi, et non pour conquérir le pouvoir ou susciter l'envie des Ashkénazes. Deri avait conduit le parti dans cette direction contre son gré. Mais il ne pouvait pas y faire grand-chose, au vu des éclatants succès électoraux.

Retour à la case départ

Nouveau revirement de situation, au lendemain des élections de 1999. Ehoud Barak est le nouveau Premier ministre, directement élu. Il fait de l'éviction de Deri (sur le point d'aller en prison) une condition sine qua non pour l'entrée du Shas dans sa coalition. Ovadia Yossef ne va pas rater l'occasion : il saute sur l'ultimatum de Barak, renvoie Deri en tant que leader du Shas et nomme Eli Yishaï à sa place.

Sous sa direction, le Shas abandonne toutes les aspirations révolutionnaires de Deri. Et revient, à quelques exceptions près, au concept originel du Rav Yossef. Il arrête de faire concurrence au Likoud pour le vote sépharade non haredi, et pour des raisons pratiques, renonce à changer la société ashkénaze laïque. Il est à nouveau un parti haredi, heureux de se limiter aux questions qui concernent cette population. Les combats politiques du Shas sont menés contre les partis ashkénazes, mais toujours au sein de la société religieuse, et il adopte les positions bellicistes de l'extrême-droite, qui ont longtemps fait partie de l'idéologie haredi.

Retour à l'épisode de l'école Emmanuel. L'affaire a mis le Shas face à un dilemme : choisir entre ses allégeances sépharades ou ultra-orthodoxes. Il est clair qu'il était difficile pour le Shas de se positionner d'une autre manière que celle qu'il a choisie. Aussi longtemps qu'ils ont pu éviter de prendre position, ses leaders sont restés silencieux. Mais à la minute où ce problème interne aux religieux a dépassé le cadre du yishouv d'Emmanuel pour se transformer en un conflit entre les ultra-orthodoxes et l'Etat laïc, le Shas n'avait pas d'autre choix que de se ranger avec les haredim. Se positionner aux côtés des pétitionnaires sépharades contre l'establishment haredi ashkénaze aurait coupé l'herbe sous le pied de la "nouvelle" stratégie du Shas.

Si le parti avait accepté d'imposer une éducation contre les préceptes de leurs rabbins, et, un comble, par le biais de la Cour suprême, cela aurait clairement été agir contre ses propres intérêts. En abandonnant son propre objectif d'enrôler des Sépharades non haredim pour changer la société israélienne, le Shas ne pouvait se permettre de s'engager dans un conflit ouvert avec le monde haredi ahkénaze. Sinon, c'était se condamner à mort.

Le Shas est donc revenu à la case Départ. Une sorte d'aboutissement dans les positions adoptées par Ovadia Yossef et Eli Yishaï à propos de l'épisode Emmanuel. Comme un retour définitif du parti sur le chemin qu'il avait lui-même tracé au début des années 1980. Au final, le Shas version Yishaï a choisi de soutenir le courant éducatif séparatiste des haredim. C'est-à-dire, les Sépharades qui adoptent le mode de vie haredi ashkénaze, et envoient leurs enfants dans les écoles hassidiques. Quant à la filière éducative classique, largement composée de Sépharades non haredim, devenus de plus en plus pratiquants au cours des années sans toutefois adopter le style de vie ultra-orthodoxe a été délaissée.

En d'autres termes : les parents sépharades dont les filles ont été acceptées dans le courant hassidique constituent le modèle sur lequel le premier leader du Shas, Itzhak Peretz, entendait construire son parti. Et ceux dont les enfants étudient dans la filière "classique" représentent la base sur laquelle Arieh Deri voulait s'appuyer pour faire sa révolution.
Ovadia Yossef, lui, avait choisi il y a bien longtemps.

Article du Jerusalem Report, reproduit avec autorisation.

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