pour notre ladouda
histoire tres connu mais decouverte sur un site ou elle est contée en yddish voi!!!
Le perroquet qui parlait yiddish
C’est l’histoire d’un roi du shmatès, mais à la retraite, vieux, veuf et orphelin, en la rie Bonne Nouvelle au cœur du Sentier, qui s’ennuie un peu de cette éternité figée et longuette… surtout sur la fin.
Eh quoi ! se disait l’ancien shnadè – kessé le tailleur à façon et contrefaçon – je n’ai plus de hit à mettre à ma finger, plus de dé à coudre au bout du doigt ? Je ne sers plus à rien, comme une amonde kessé plus qu’un noyau, je suis comme le chantre de la shil qui a perdu sa voix, et le bonhomme se lamentait en yiddish, dans les seuls mots qui ne lui brûlaient pas la langue : A rhazan oun a kôl iz azoï vi a sheps oun vôl – je traduis pour les ignorants, kessé tous des pauvres types : un hazan sans voix c’est comme un mouton sans laine.
Et il se souvenait de ses temps de gloire où sa petite échoppe se trouvait coincée entre deux belles vitrines concurrentes, sur les Grands Boulevards, et alors là on va voir l’astuce de ce prince de la fripe : à gauche, Sauveur Baranès, qui venait d’Alger, misère de misère, avait pris pour enseigne : « Baranès habille le Tout-Paris » et à droite Makhlouf Khalfa, un émigré du Mzab, kessé jvif quand même, avec un rien de suffisance : « Au Calife des Tailleurs ». Alors Sroulik Soussanovitch, s’il faut révéler enfin l’identité du roi du shmatès, avait osé inscrire au fronton de la petite porte de son magasin : « Entrée principale ». Et des clients comme s’il en pleuvait, comme des étoiles dans la nuit, disait-il encore en se rappelant la prière de la havdala : kekoïhovim baloïla… Et voilà et voilà.
Un jour que Sroulik revenait de la shil des Filles du Calvaire, misère de misère, souhaitant que quelque chose de merveilleux se produise enfin dans sa vie tellement morne et monotone, voilà qu’il passe devant la boutique de l’oiseleur qui fait l’angle avec la rue Saint-Fiacre, dégageant toute cette ipish, kessa veut dire que ça puait un peu, et là une voix rauque l’interpelle en yiddish : Quawwwwk… vouss machst di, kessa veut dire : Eh toi, comment tu vas ? Bien sûr, il se retourne, le miel dans sa bouche, et derechef il perçoit : Yo, di, mayn fraynd oui, toi, l’ami. Voï voï voï, étonnant, non ? Sroulik frotte ses yeux et n’en croit pas ses oreilles. Les sons sortaient, non pas de la bouche du vendeur, un vieil Arabe descendu des Aurès, mais de la gorge emplumée d’un perroquet vert. Ou plutôt vert de gris, parce que l’animal semblait bien vieux, avec ses poils rares de barbiche sous le bec crochu. Et qui parlait couramment la langue d’Isaac Bashévis Singer et de Cyrille Fleischman.
Alors ce Sidi Lardjouz, kessa veut dire qu’il est aussi vieux que moi, il lui dit : Ontre, Sidi msieu, rigarde li joli proké kiparle kom ti veux. Et le roi du chmatès s’écrie à l’adresse du volatile, en citant ce proverbe archi-connu des gens de Lodz – kessé « lodje » qu’il faut prononcer :
– Haynt roït, morgn toït, comme quoi l’oiseau pouvait faire le malin avec ses plumes de couleur (« Aujourd’hui rouge »), mais qu’est-ce qu’il croyait ce sous-paon du pauvre, demain (morgn), il serait zigouillé, toït, mort et trépassé. (Ou était-ce de lui-même que Sroulik voulait parler ?)
Bref, ils étaient aussi antiques l’un que l’autre, sauf que la longévité du perroquet étant avérée, celui-ci avait bien l’air centenaire.
– Vouss ? Di kenst redn yiddish ? kessa veut dire : « Quoi ? Tu sais parler le yiddish ? », lui lance le perroquet en se dressant sur ses ergots.
Il n’en fallut pas plus pour que, sans barguigner, Sroulik allonge les cinq (dans ton œil) cent euros affichés sous la patte du perroquet vert-de-gris, qu’il emporte tout aussitôt, en équilibre sur son épaule. Et le voilà parcourant les Grands Boulevards et regagnant son gîte solitaire en la rie Bonne Nouvelle. (Dans le silence de sa solitude, il lui arrivait de dire en touchant au port et à sa porte : « Pas de nouvelle, bonne nouvelle », qu’il traduisait en yiddish approximatif : shvaygn iz git, redn iz nokh bessè, mais pour ceux qui n’ont pas accès au bonheur qui est dans le yiddishe shprakh je transcris au plus près du pré : « Se taire est bon, parler est encore mieux ».)
Et voilà notre Sroulik ravi par la voix rauque et ashkénaze de l’emplumé. Il l’a posé dans son salon en lui ménageant un magnifique perchoir : le dossier de sa plus haute chaise – celle du prophète Élie – et la paille du siège pour les déjections – drek, qu’on dit en se pinçant le nez. Et la conversation commence, s’emballe, n’en finit plus, du soir au matin, et toutes les nuits cet homme insomniaque parle en yiddish avec son perroquet qui, par chance, est aussi un animal qui ne ferme jamais l’œil. Alors le vieux Sroulik lui a parlé des siens, qui sont tous au cimetière de Bagneux, son vieux père, parce qu’il a eu une crise cardiaque en recevant une lettre d’amour de son Trésor, sa maman, qui avait aussi le cœur fragile depuis les dernières rafles, et surtout Rouchele, kessé la prinelle de ses yeux, et qui est morte en couches avec le pauvre petit Sroulikiyou qui n’a pas vécu, misère de misère. Il parle de tout ce qui lui tient à l’âme ou lui retourne le coeur, et le perroquet, qui n’a pas grand-chose à dire sur sa piètre biographie, évoque un père parlementant au perchoir, une mère enchaînée aux tâches ménagères, et lui… déchaîné comme un avocassier qui gagne toujours ses procès et clamant à tout vent : « On ne paye qu’à la victoire ! » Et il ponctue sa péroraison perroqueuse de Riboyné chel oïleume – en hébreu naturel : « Maître de l’univers »…
Au fil des nuits papoteuses Sroulik devait finir par apprendre que son ara du marché arabe avait en fait appartenu dans le très longtemps d’autrefois, et bien avant la Déportation et la Catastrophe, à un Chacham du ghetto de Prague, un véritable chochem attick qui se réclamait du Maharal et l’avait éduqué ni plus ni moins que le Rav Loew en avait fait de son Golem, en lui apprenant tous les gestes et tous les rites du Choul’hane Arou’h de Moshé Isserles. Sans lui imposer, comme le précédent, de balayer la shil. Et surtout il lui avait enseigné la langue véhiculaire, lochone hokoddeïsh, qui permettait d’être partout chez soi, de Cracovie à Berlin, et de Czernowitz à Vilno, le yiddishland, quoi ! Et l’oiseau vert ne manquait jamais de prononcer le Boreï peri Ogofeïne en approchant son bec du godet où Sroulik déposait quelques gouttes du vin du Kiddouch.
Quand ils ont eu épuisé les provisions de cacahuètes du bonhomme, ça tombait bien, c’était Tich’a Beav, et les deux compères ont jeûné en se lamentant sur la destruction du Temple et l’exil de Sion. Peu à peu la religion fortifie leur amitié : chaque matin Sroulik met ses téphilines en jetant son châle de taliss conjointement sur ses épaules et celles de l’oiseau, qui ne manque jamais de baisser la tête au Chemo Isroyel, et c’est toujours lui qui tient le plus longtemps, et dans l’extrême aigu, la dernière note de l’invocation : Ehoïd… Car voyez-vous, ce perroquet, qui maintenant se fait appeler Tsippour, est capable comme tout bon Mensh, de faire ses prières et de Davenen en se balançant sur son perchoir.
Et puis l’année juive a fini et Rosh Hachana est advenu. Alors Tsippour demande à Sroulik de le prendre sur son épaule et de le mener au Bes Midresh car il veut entendre sonner le chofar. Les voilà donc déambulant dans la rie des Filles du Calvaire sur le chemin de la shil, et tous deux se présentent à l’entrée. Le perroquet avance sa patte griffue et embrasse la mezouza en s’écriant Ma tovoï oïalecha Yocop… Il n’en faut pas plus pour qu’on lui permette de s’avancer jusqu’à l’Eïchol et voilà qu’il se produit quelque chose d’étonnant à l’heure des enchères : Sroulik parie que son « compagnon jvif » est capable de davenen comme tout un chacun. Le Shamess retient de mémoire les centaines d’euros qui s’amoncellent dans la corbeille virtuelle, et lorsque la somme paraît suffisante au kahal, alors celui-ci d’une seule voix s’écrie : Allez, le perroqueux, fais-nous ta prière et qu’on entende ta voix. Or, ce que sont les caprices d’un oiseau, fût-il apprenti mensh, le voilà muet comme une carpe et têtu comme une moule (sauf votre respect). Et Sroulik, affolé, a beau lui souffler daven… daven…, prie donc… prie donc…, rien n’y fait, Tsippour reste coi de bec… et Sroulik en perd son bas de laine.
De retour à la maison, il éclate alors en reposant brutalement l’oiseau sur son perchoir : tu m’as bien eu, salaud, Oï oï vaï iz mir ! kessa veut dire que le malheur est tombé sur ma tête, hélas, hélas ! Mais le perroquet, imperturbable, se met à fredonner la vieille berceuse qui tant enchantait Elie Wiesel quand il était bébé : Shlouf shlouf shlouf neshomeleh … (dors dors dors ma petite âme). Quelle impudence ! La houtzpa à plumes de cet enfoiré ! Sroulik l’aurait étranglé, et peut-être même a-t-il avancé ses deux mains griffues sans ses fingerhit, ses dés à coudre. Mais alors là, Tsippour l’arrête et d’un œil coquin voilà qu’il lui lance en se gaussant sur son perchoir et balançant la tête :
– Te fais pas plus bête que tu n’es, espèce de shlemiel à la con, meshigué à lier, ils ont bien rigolé de toi à la shil, mais Lachen mit yash rira bien qui rira le dernier, dans dix jours, aux enchères de Kippour, pense un peu à tous les zouzim qu’on va leur piquer !
Et toi, l’ami, bonsoir et à la revoyure, ou comme on dit chez nous ; Zaï gezint !…
Pièces jointes: