Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
27 juin 2012, 15:14
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CHAPITRE 7

Qui est Kaddour Ben Nitram


- Ma bonne dame avez-vous des nouvelles du Boukornine ?
- Et bien hier en cherchant dans ma bibliothèque, j’ai retrouvé un petit livre ancien et poussiéreux, Fables et Contes de Kaddour Ben Nitram illustré par Drack-Oub, mais connaissez-vous Kaddour Ben Nitram ?


J’ai croisé trois ou quatre fois Kaddour Ben Nitram, près du marché central de Tunis, rue Charles De Gaulle, un petit arabe poussait son fauteuil roulant, il changeait chaque fois de pousseur ; je soupçonne ce diable d’homme de le faire avec l’idée qu’en donnant la pièce à différents enfants ils seraient toujours plus nombreux à tenter leur chance, et ainsi il ne tomberait jamais en panne de pousseur.

Ainsi le Kaddour Ben Nitram de la radio, cette voix puissante et sûre, était infirme, quand je l’écoutais à la radio, je ne l’imaginais même pas dans son fauteuil et pourtant Ben Nitram de son vrai nom Edmond Martin avait été blessé à la guerre de 14-18 et il s’était conduit en héros.

Il avait choisi le prénom de Kaddour car son copain de guerre, un tirailleur tunisien s’appelait Kaddour, pour le reste son nom n’était autre que l’anagramme de Martin auquel il avait ajouté Ben pour faire tout fait couleur locale, puisqu’il était né à Tunis.

Kaddour Ben Nitram était une très grande vedette en Tunisie, surtout depuis que radio Tunis lui avait confié un créneau quotidien. Mais une vedette dans quel domaine ? Et bien ! Son langage, sa langue devrait-on dire était le sabir.

Le sabir est une langue qui n’existe pas en tout cas ce n’est pas une langue officielle et reconnue et pourtant c’était la langue que parlaient des milliers de gens en Tunisie volontairement ou involontairement ; c’est un mélange d’arabe, de français, d’italien, de maltais et cela avec les intonations particulières de l’arabe parlant le français ou l’italien, du juif parlant à un arabe ou à un français, du sicilien parlant à l’arabe. Tout le monde ne parlait pas le sabir, mais rares étaient ceux qui ne le comprenaient pas ; Kaddour Ben Nitram en avait fait une langue écrite.

Des personnages sont nés de ces histoires racontées à la radio, chacun était typé selon son origine.

Chez les Français il y avait Antoine Filigone, retraité de la police et Figatelli gardien de prison ; ils ne sont pas seulement Français ils sont surtout Corses. (Pourquoi ces professions ? D’abord parce que cela correspondait à une certaine réalité, ensuite dans l’imaginaire populaire quand on était Corse on pouvait être bandit mais parfois passer de l’autre côté)

Salem dit ‘El Safrane’ et son ami Ali Khafles , noctambules toujours ivres, Kaddour Ben Mansour(*) tirailleur tunisien à la retraite étaient arabes. (l’ivresse est banni dans l’islam, et pour un Tunisien avoir servi dans l’armée française n’était pas bien vu, on comprend ce qu’il y a d’ambigu et de transgressif)
Braïtou (*), le commerçant, Kouka la ménagère et sa nièce Ninette ou le petit Daydou (David) sont juifs. ( toutes les histoires vont tourner autour du thème de l’argent et du rôle caricatural et caricaturé de la mère juive)

Peppino Mangiaracina, dit Mastro Tchicho cultivateur de la Mornaghia (*), Donna Soussida et Donna Peppina mères de famille sont siciliens (contraste entre personnage moqué mais respecté et commères siciliennes faiseuses d’histoires et un peu vulgaires).

Djouss le boucher et Gianni le cocher sont maltais, (c’étaient en effet des métiers presque exclusivement exercés par des maltais).
Le lecteur non averti, se demande : mais dans quelle société sommes-nous, où pour identifier les gens, on mélange au gré des situations et indifféremment,  langues, nationalités, religions?

Pour tout dire cette société a existé, dans la Tunisie coloniale. On ne pouvait pas imaginer qu’un policier ne soit pas Français et …. Corse, de même un juif est par définition commerçant et tant pis pour tous les citoyens de religion juive qui sont fonctionnaires, médecins, avocats ou simples employés.

D’autres particularités de l’univers de Kaddour Ben NItram : il avait emprunté son prénom à un camarade de combat, il a pour le Kaddour de ses sketchs une certaine tendresse et en même temps il pratique la dérision : Kaddour se sent un peu Français puisqu’il a servi dans l’armée française, mais il parle très mal le Français, et au fond il est fondamentalement tunisien, arabe et musulman ; le maltais ne peut être que boucher ou cocher, on ne se pose même pas la question de savoir si les maltais exercent d’autres professions, le sicilien est toujours appelé par son diminutif, on a parfois accolé à ce diminutif mastro qui est la traduction littérale de maître dans le sens de maître ouvrier pour marquer la déférence, tout en étant copieusement moqué.


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Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
28 juin 2012, 15:38
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C’est dans ce monde codé que se meut cet acrobate des mots et ce marionnettiste de génie de l’expression qui met en scène une société naïve, colorée mais remarquablement vivante.

Et tout cela dans une langue imagée et imaginative.

Ses morceaux d’anthologie sont les fables de La Fontaine détournées et racontées en Sabir. Je n’ai pas pu résister au plaisir de faire partager cette langue.

La petite scène qui va suivre est significative par bien des aspects des rapports entre personnes d’ethnies différentes, elle résume assez bien la comédie humaine qui se joue au quotidien dans les rues et les lieux publics.

Pour certaines pages la traduction seule ne permet pas de contextualiser l’échange, un décodage particulier s’impose.
Ce qui reste remarquable c’est que le propos de chaque protagoniste est restitué avec les erreurs de prononciation dans la langue de l’autre.

Les traits sont certes grossis, toutefois cette scène est tout à fait probable dans la vraie vie, tous les jours partout des conflits naissent et finissent par des insultes à la limite du racisme, appropriées à un groupe ethnique, comme si Français, Siciliens, Arabes, Juifs, Maltais avaient chacun des travers propres à leur groupe, dénoncés par l’autre groupe.

Une étude plus approfondie montrerait sans doute, qu’il y a beaucoup moins d’agressivité qu’il n’y paraît ; Kaddour Ben Nitram a incontestablement une grande tendresse pour ses personnages, on ne peut pas les croquer avec autant de précision sans les aimer. De même cet homme qui met souvent dans la bouche de ses personnages des propos racistes, ne l’était pas du tout, bien au contraire.

Le statut colonial de la Tunisie est toujours sous-jacent et affleure à la moindre occasion soit pour venir en appui du sentiment de domination, soit pour en exprimer le rejet.

L’attitude du policier reste bon enfant, il n’entre pas dans le débat interethnique, il tente seulement d’arbitrer la situation, et c’est pour cela qu’il apparaît auprès des autres personnages comme un référent de justice.

CHAPITRE 8

A propos d’une douzaine de rougets


( la traduction est précédée d’un (T))
(Scène de la vie tunisienne, mettant aux prises deux commères siciliennes avec un arabe vendant du poisson. Intervention d’un agent de police (corse).

L’arabe est installé rue El Karamed (1), arrose de temps en temps, ses poissons en criant : « bella triglia vivi, heï !...Aou l’khout freschk…ya baba !... Ber khis!..ber khis!..ya oueldi  »
(T)L’arabe est installé rue El Karamed, arrose de temps en temps, ses poissons en criant : « jolis rougets vivants ( en sicilien)  hé voilà du poisson frais… mon père !.. excellent!... excellent !... mon fils (en arabe) »
Deux siciliennes, Donna Soussida et Dona Peppina, en quête d’achat s’arrêtent devant le marchand.
Donna Peppina s’adressant à sa commère (2): « Donna Soussida…Ah ?… taliaté ca sounnou bèddé sti pichi ca coura bedda tissa…»(3)
(T)Donna Peppina s’adressant à sa commère (*) :« Madame Soussida…Ah ?... regardez, ils sont vraiment beaux ces poissons ils ont la queue bien raide…(en sicilien)»

Donna Soussida :« Coummarè mia… ma, qui vi parènno frisqui ? »
(T)Donna Soussida : «ma chère commère…mais est-ce qu’ils vous semblent frais (en sicilien) ? »
Donna Peppina : « N’ca sa sounnou frischi ?... Bedda Matré !..noun vous rissi ? taliatè tchi la coura…iènè quiou tissa qua quidda dou chèco di mastro Pèppè »
(T)Donna Peppina : « Quoi s’ils sont frais ?... Bonne Mère!...ne vous l’ai-je pas dit ? regardez leur queue… elle est plus raide que celle de l’âne de maître Pèppè (en sicilien)»
Donna Soussida : « N’ca…vérèmo stou moro quouanto n’è vouolè : (interpelant l’arabe) Ya(4)…Ya… »
(T)Donna Soussida : « Bon…voyons combien cet arabe en veut ?(en sicilien) : (interpelant l’arabe) Eh…Eh… »
L’arabe : « Ha ?...Ch’noua ? »
(T) L’arabe : « Ha ?...qu’y-a-t-il ?(en arabe) »
Donna Soussidda : « Ya ?...A quouanto sti pichi ?.... Ah! Ya?... Goulo…. Kaddèchè? »
(T) Donna Soussidda : « Eh ?... Combien pour ces poissons(en Sicilien) ?.... Ah! Eh?...dis-moi…. Combien (en arabe)? »
L’arabe : « Cosa volè…. Biclou(5) ?.... ou grandi ? »
(T)L’arabe : « lesquels veux-tu….petits ?....ou grands (en sicilien avec des fautes de prononciation)? »
Donna Soussida (montrant les petits) : « Quisti… Quisti cà ! »
(T) Donna Soussida (montrant les petits) : « ceux-là… ceux-là (en Sicilien)! »
L’arabe : «  Quisto ?....Setta frank…. Dezzina !... »
(T) L’arabe : «  celui-ci?....Six francs….La douzaine (en Sicilien avec une faute de prononciation) !... »
Donna Soussida (sursautant): «  Quouantou? »
(T)Donna Soussida (sursautant) : « Combien? (en Sicilien) »
L’arabe (s’impatientant) : « Ch’noua quouantou ?... Ma tefem’chi ? Got’lek setta frank dezzina, ya ras-el-brel !... »
(T) L’arabe (s’impatientant) : « Quoi (en arabe) combien ?(en Sicilien)... Tu ne comprends pas ? Je t’ai dit six francs la douzaine, espèce d’âne !... (en arabe et en sicilien)  »

Donna Soussida (stupéfaite) : « sette franqui à doudzzina(6) ?... Bedda matrè ! Taliatè, taliatè, pitchiottè…Mèguio, què n’accatamo n’ou beddou matsou di sparachèddè… »
(T)Donna Soussida (stupéfaite) : « six francs une douzaine ?... Bonne mère !regardez, regardez les amis…Il vaut mieux que nous achetions un joli bouquet de broccolis… (en sicilien)»
Donna Pippina  (s’adressant à sa commère) : « Ma, coummarè mia…,ou nou sapiti commo aviti à farè qui mourisqui ? Dichitichi qua vi lassa pi tri franqui…Aspèttatè qua tchi lou riccou io (s’adressant à l’arabe) : Ya ! Ya !...Moghamèddè(7) ! Ah ? mi lassi sti pichi pi touleta (8) franqui ? »
(T) Donna Pippina  (s’adressant à sa commère) : « Mais chère, commère …,vous ne savez pas comment vous devez faire avec les arabes ? Dites-lui qu’il vous les laisse pour trois francs… attendez je vais lui dire moi-même (s’adressant à l’arabe) : Eh ! Eh !...Mohameddè ! Ah ? tu me laisses ces poissons pour trois francs ? (en sicilien)»
L’arabe (énervé) : « Ch’noua ?...Eddè tleta franqui ?... Cherr !... in endinomok !... »
(T) L’arabe (énervé) : « Quoi ?...Cà trois francs ?... Cherr !... la putain de ta mère !...(en arabe) »
Donna Pippina (tenace) : « Aïa…Moghamèddè ! Noun t’incatzzarè à cousi presto…Aïa ? »
(T) Donna Pippina (tenace) : « Allez…Mohamed ! Ne te fâches pas si vite…Allez ? (en sicilien)»…
L’arabe : « Vaï ! Vaï !....gotlek… 
(T) L’arabe : « Va-t-en !Va-t-en ...je t’ai dit (en arabe)… »
Donna Pippina (sans se départir de son calme) : « Aïa, moulia…. Ti rouniou tri franqui ou noussou… »
(T) Donna Pippina (sans se départir de son calme) : « Allez, s’il te plaît…. Je te donne trois francs (en sicilien ) et demi… (en arabe)»
L’arabe (énervé) : « Barra….Yatik bâk’là !... 
(T) L’arabe (énervé) : « Fous le camp….tu as…. !(en arabe) »
Donna Pippina (qui n’a pas compris l’injure) : « Baccala ? …Baccala ?...Quistou baccala ? Ma qui si, foddo ? Ma qui si,Maboullou(9) ? Quisti triquiè sounnou…qui mi coun’tè di baccala »

(T) Donna Pippina (qui n’a pas compris l’injure) : « Morue ? …Morue ?...cà de la morue ? Mais tu es fou (en sicilien) ? Mais tu es fou (en arabe) ? ça ce sont des rougets…qu’est-ce que tu me parles de morue(en sicilien) »
L’arabe (s’impatientant) : « Aïa Aïa ! Yezzi mel t’menik ! Setta frank dezzina, fem’t ? Si voï, brin’di…Si non voï lassa. Ou ma t’kassernichi rassi… »
L’arabe (s’impatientant) : « Allez allez ! Ca suffit va te faire foutre!(en arabe) Six francs la douzaine(en sicilien) tu as compris(en arabe) ? Si tu veux, tu prends…Si tu ne veux pas tu laisses(en sicilien avec des fautes de prononciation) Et ne me casse plus la tête (en arabe)»
Donna Pippina (tenace) : « Sentè Moghamèddè…Mi lassè pi tri franqui i dourrichi souoddè ? »
(T)Donna Pippina (tenace) : « Ecoute Mohamed…Tu me les laisses pour trois francs et douze sous ?(en sicilien) »
L’arabe (décidé) : « Noun…Noun…gotlek » ; (aspergeant ses poissons, il crie) : « Bella triglia vivi, hei…Aou l’khout freschq…Ya Baba !... Achkoun ma ïelcol’chi ?... Bella triglia vivi… »
(T) L’arabe (décidé) : « Non…Non…je te l’ai déjà dit(en arabe) » ; (aspergeant ses poissons, il crie) : « Beaux rougets vivants(en sicilien) he …. J’ai des poissons frais…Mon père !... Pourquoi n’en mangeriez-vous pas (en arabe)?... Beaux rougets vivants…(en sicilien) »
Donna Pippina (revenant à la charge) : «  Aïa, Moghamèddè, a coussi mi faï ? Ma piqui, ah ? A coussi mi voï fare’ irrè ? …Mi voï lassarè à voghia di pichi ? Aïa Moghamèddè, t’habbo abba franqui mènou quamessa souddè ? »
(T) Donna Pippina (revenant à la charge) : «  Allez, Mohamed, Pourquoi tu fais comme ça ? Mais pourquoi? Ainsi tu veux que je m’en aille ? …Tu veux que je reste avec une envie de poissons ? Allez Mohamed, tu veux quatre francs moins cinq sous ? (en arabe et en sicilien)»
L’arabe (se fâchant pour de bon) : « Pouh ! (9) !... In en dinomok !...Ti barra, ya kh’râ! In en din’l’babour (10) li jaïbek…Vaï, vaï…miliou mandgia l’babalouchi… »(11)
(T) L’arabe (se fâchant pour de bon) : « Pouh !... la putain de ta mère !...Fous le camp espèce de merde! Maudit soit le bateau qui t’a amené ici…( en arabe) Va, va…il vaut mieux que tu manges des escargots…(en sicilien) »
Donna Pippina (commençant à se fâcher) : « Cou ?...Io babaloucha? »
(T) Donna Pippina (commençant à se fâcher) : « Qui ?...moi escargot? (en sicilien)»
L’arabe : « Si… tou babaloucha… »
(T) L’arabe : « Oui… toi escargot…(en sicilien) »
Donna Pippina: «  Aïa, ya.. Sent’sa ansourtarè saï ? Masseno…virè, qua ti rounio oun tinboulounè nou moussou, qua ti fatssou ou nassou commou oun piparèddou… »
(T) Donna Pippina: «  Allez, dis ya . N’insultes pas parce que tu sais ? Sinon je te file une beigne sur le museau, et je te mets le nez comme un poivron …(en sicilien)  »
L’arabe : «Qui ? tou ?... »
(T) L’arabe : «Qui ? toi ?... (en sicilien)  »
Donna Pippina  : «Si !... io…. Qui ti pare qua mi scanto ? »
(T) Donna Pippina  : « oui!...moi…. Tu crois que j’ai peur ? (en sicilien)  »
L’arabe (perdant toute mesure) : « Vaï, vaï la casa, vaï ! Ouaillaï l’adim… toâ n’ahiloun din’ommo ! »(12)
(T) L’arabe (perdant toute mesure) : « Vas-t’en chez toi, vas-t-en (en sicilien) ! Je jure sur dieu… et je te dis putain de ta mère (en arabe)  ! »
Donna Pippina: « A tia n’endin’omoko, gran petsou di ch’quiffioussou ! »
(T) Donna Pippina: « A toi putain de ta mère(en arabe)  espèce de mal appris (en sicilien)  ! »
L’arabe : «In en din bouk, ya bez’rà !. »
(T) L’arabe : «Putain de ton père, femme vulgaire(en arabe) ! »
Donna Pippina: « N’en dinouboukkou à tia et quiddou da fitoussa di to nana! »
(T) Donna Pippina: « Putain de ton père (en arabe) à toi et à ta salope de grand-mère(en sicilien) ! »
L’arabe : « Ti barra, ya kh’ra. »
(T) L’arabe : « fous le camp, merde. (en arabe) »
Donna Pippina: « Ch’quiffioussou ! testa ‘fachatta ! (13)»
Donna Pippina: « Mal appris ! tête enveloppée »(en sicilien)
L’agent de police corse Batistacciou, de service place de la Bourse, attiré par les cris s’approche :
Batistacciou : « Hé, là ! Hé, là ! Vous avez pas fini, miseriacce ! de faire tout ce scandale sur la voie publique ? Vous criez là tous les deux, quasiment, comme si y avait le feu à la municipalité ? Voyons, qu’est-ce qu’il y a ? »
L’arabe : Tiens, regarde (en arabe), Monsieur le Policier…je jure sur ta tête que cette italienne m’insulte… »(en sabir avec une base de français)
Donna Pippina (l’interrompant) : « Non, Monsieur non ce n’est pas vrai, Monsieur le Policier, ce n’est pas vrai !...Cet arabe m’a insulté, pourquoi… »(en sicilien)
Batistacciou (coupant court) : « Bon ! Bon ! ça suffit !... »


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Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
06 juillet 2012, 09:36
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(1)La rue El Karamed est une rue qui se trouve au début des souks , on y trouve quelques échoppes d’alimentation, notamment la rôtisserie de merguez et d’abats d’agneau la plus connue et la plus réputée de Tunis.

(2 )Les Siciliens sont en général très croyants, le baptême est un acte important, le parrain ou la marraine sont souvent un voisin, une amie proche ; par cet acte une très grande intimité se crée et demeure. Dès lors la famille du baptisé et le parrain ou marraine se donne du compère, ou commère.

(3) Pour ces dames siciliennes, la référence pour marquer la fraîcheur, c’est lorsque le poisson est raide et forme un arc de cercle, posé il a la queue en l’air.

(4) ‘Ya’ est en arabe un mot clef pour interpeler quelqu’un.

(5) Confusion du P et du B dans la phonétique arabe.

(6) Douzaine : l’arabe prononce de manière erronée, mais cela n’empêche pas la compréhension et le dialogue de se poursuivre.

(7) Quand un sicilien s’adresse à un arabe il lui donne toujours le prénom de Mohamed, car c’est le prénom le plus courant parce qu’il est dérivé du nom du prophète. Cet état de fait est tacitement accepté par tous, même si ce n’est pas son prénom.

(8) Le trois en arabe est repris avec la phonétique italienne

(9) le mot fou est dit en sicilien , puis en arabe (légèrement sicilianisé, (la répétition le rend plus percutant).

(10) Les siciliens sont souvent traités de mangeurs d’escargots, ce qui équivaut à une insulte telle que misérable, pauvre ou va-nu-pieds (car les escargots ne s’achètent pas)

(11) Les arabes n’ont jamais admis leur statut de colonisés, dès qu’un conflit avec un européen survient, la référence à la colonisation est tout de suite exposée.

(12) l’insulte peut paraître gravissime dans la traduction française, toutefois très fréquemment utilisée, elle perd de sa force.

(13) les femmes arabes portent le voile, les hommes la chéchia, les siciliens en parlant de tête couverte ou littéralement de tête enveloppée soulignent de manière négative, équivalant à une insulte, la caractéristique vestimentaire de la communauté arabe.

La scène à laquelle nous venons de participer, est sans doute burlesque et cocasse, mais peut-on imaginer une pareille scène aujourd’hui, avec de telles expressions et de tels mots ; à l’heure où les différentes sensibilités ethniques sont d’une susceptibilité à fleur de peau, de tels dialogues paraîtraient totalement incongrus.

C’était pourtant le théâtre de la vie quotidienne à Tunis, que Kaddour Ben Nitram avait su capter et restituer mieux que quiconque.

Les insultes fusent, et même si dans certains milieux populaires, ces propos correspondent à une certaine façon de s’exprimer, ce langage très coloré et très fleuri n’est pas étranger au cosmopolitisme de la Tunisie des années 50.

CHAPITRE 9

La cigale et la fourmi en contes sabir imités de La Fontaine

J’y conni one cigale qui tojor y rigole
Y chante, y fire la noce, y rire comme one folle,
Y s’amouse comme y faut
Tot l’temps y fi chaud.
Ma voilà, qui fi froid !!!
-Bor blorer t’y en a le droit
Ma, t’a riann por bouffer
Bar force ti va criver.-
Y marchi bor la rote
Y trovi one formi
Qui porti bon cascrote.
Y loui dit : «  Mon zami
Fir blizir bor priter
One p’tit po di couscousse
Bor que j’y soui manger
Josquà c’qui lhirb y pousse
J’y paye, barol d’onnor
L’arjany l’antiri, pas bizoann d’avoir por. »
La formi, kif youdi,
L’argeann y prite pas. –«  Quis t’y fir, y loui di,
Quand di froid y ana pas ?
-Le jour ji chanti, bor blizir
La noui j’y suis dormir
-Ti chanti ? Bor moi ji pense
Qui millor qui ti danse. »
Morale
Li jouif y couni pas quisqui cit la mousique
Millor di bons douros, afic bon magasin
Qu’one tam-tam magnific
Qui l’embite li voisin


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Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
07 juillet 2012, 14:25
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Tentative de traduction en vers

Je connais une cigale qui toujours rigole
Elle chante, elle fait la noce, elle rit comme une folle,
Elle s’amuse comme il faut
Pendant qu’il fait chaud.
Mais voilà, qu’arrive le froid !!!
Pleurer ; tu en as le droit
Mais, tu n’a plus rien à bouffer
Forcément tu vas crever.
Elle marcha sur la route
Elle rencontra une fourmi
Qui portait sur elle un bon casse-croûte.
Elle lui dit : «  Mon amie
Je te prie de me prêter
Un peu de couscous
Pour que je puisse manger
En attendant que l’herbe pousse
Je rembourse, parole d’honneur
Le capital, les intérêts pas besoin d’avoir peur »
La fourmi, comme les juifs,
Ne prête pas l’argent –«  Que faisais –tu, lui dit-elle
Quand il ne faisait pas froid ?
-Le jour je chantais, pour mon plaisir
La nuit je la passais à dormir
-Tu chantais ? Et bien moi je pense
Qu’il est préférable que tu danses. »
Morale
Le juif ne connaît pas ce qu’est la musique
Il préfère les pièces d’or, gagnées dans un bon magasin
Que le tam-tam magnifique
Qui ennuie les voisins.

La référence aux juifs est surprenante et inattendue, elle pourrait laisser penser que Kadour Ben Nitram est antisémite, or selon certains biographes l’auteur de ces vers serait lui-même juif. Il faut plutôt, aller chercher dans la galerie des portraits schématiques et sans concession qu’il met en scène.


CHAPITRE 10

Le petit coiffeur de Sidi Bou-Saïd
- Ma chère, vous qui vivez à Paris, notre bon climat de Carthage ne vous manque-t-il pas ?
- Ce qui me manque le plus c’est la mer, le dimanche mes parents nous emmenaient promener du côté de Sidi Bou Saïd.
- Alors là vous touchez à mes plus beaux souvenirs, du haut de la colline on avait la vue sur le Boukornine, et puis les rues qui sentaient si bon, le jasmin, le chèvrefeuille et l’oranger.

Sidi Bou Saïd est une petite colline verdoyante qui fait face à la mer, située à une vingtaine de kilomètres de Tunis. Dans l’Antiquité, les carthaginois puis les romains en avaient fait un poste d’observation afin de protéger leur cité construite en contrebas.

Après l’arrivée des arabes la colline devient un poste de guet important qui contrôle le Nord-est en protection de Tunis et prévient par les tours à feu qui y sont construites d’éventuels envahisseurs.

Elle prend le nom de Djebel Menara (la montagne du phare). Petit à petit la colline se peuple de pêcheurs. Mais le lieu est aussi propice à la méditation. C’est donc naturellement que des marabouts s’y installaient régulièrement pour faire œuvre de piété et d’abstinence. L’un deux qui professait le soufisme à Tunis, se retire sur le Djebel Menara et fait construire un ‘ribat’ (refuge pour les pèlerins). C’est là qu’il mourut en 1231, en son honneur on donne son nom à la colline.

Sa ‘zaouïa’ (monument funéraire et mosquée dédiée à un saint homme) est très fréquentée et constitue l’un des éléments fondateurs du village.

En réalité les marabouts étaient devenus maîtres du territoire, au point qu’ils interdisaient aux chrétiens de visiter le lieu de peur qu’ils ne le souillent. Le bey qui ne souhaitait pas ouvrir de conflit avec ces religieux, laissait faire.

Une autre légende sans doute beaucoup plus extraordinaire et plus romantique est rapportée sur l’origine de ce village ; on raconte que le tombeau en question serait celui d’un ancien roi de France, dont le bateau en route pour la croisade aurait mouillé dans le port de La Goulette.

Le roi serait descendu à terre et aurait eu un grand coup de cœur pour une jeune et jolie musulmane. Par amour il se serait converti à l’islam et aurait vécu une vie heureuse et serait mort à Sidi Bou Saïd.

Les chevaliers qui faisaient partie de sa suite, prétextèrent pour laver l’affront qu’il serait mort de la peste à Tunis. La référence à la présence et au décès de Louis IX (St Louis) est évidente. Bien que cette légende continue de courir en Tunisie et dans certains milieux de pseudo-historiens, elle n’a aucun fondement et le (sieur : sidi) Bou Saïd est bien enterré sur ce lieu qui porte son nom. Et le cœur de St Louis a été gardé en relique dans l’église qui porte son nom.

Plus tard au XVIIe siècle le charmant village attire la bourgeoisie tunisoise qui y fait construire des demeures luxueuses, au XIXe siècle le village attire de nombreux artistes et écrivains Gustave Flaubert et Alphonse de Lamartine ont fréquenté ce lieu, de même que Colette et André Gide bien plus tard.


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Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
09 juillet 2012, 01:54
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Aujourd’hui, lieu de passage obligé de milliers de touristes, les ruelles de Sidi Bou Saïd ont perdu de leur magie ; le café des nattes lieu de pèlerinage de la ‘gentry’ européenne est désormais la photo officielle de tous les dépliants invitant au voyage.

Une particularité qui dépasse le temps et les modes, demeure, c’est le blanc immaculé des murs sur lequel se détache le bleu turquoise des persiennes, des grilles de fenêtres, des moucharabiehs et des portes cloutées.

C’est tout naturellement Sidi Bou Saïd que choisit le Baron Rodolphe François d’Erlanger pour installer sa somptueuse demeure. Rodolphe d’Erlanger est le plus jeune des trois fils du baron allemand Frédéric Emile d’Erlanger né à Francfort sur le Maine. Il prend la nationalité anglaise et crée l’Erlanger Bank qui réalise de grosses affaires en investissant dans les emprunts que le gouvernement du Bey de Tunis a contractés entre 1863 et 1865 conduisant le pays à la ruine et au protectorat français.

Rodolphe est né à Boulogne sur Seine au cours d’un séjour de son père à Paris. Elevé dans la foi catholique il fait de solides études en Angleterre, mais parallèlement à la poursuite de l’œuvre de banquier, du père, il s’oriente vers les activités artistiques et notamment la peinture. Il devient ainsi un peintre orientaliste de talent. Il épouse le 19 juin 1897 Elisabetta Matilda Maria (Bettina) fille du comte Barbiellini Amidei l’Elmi.

De santé fragile (souffrant de troubles bronchiques) son père lui transfère toutes ses propriétés de Tunisie, le Baron Rodolphe d’Erlanger, lors d’un séjour en Tunisie en 1909 achète un terrain à Sidi Bou Saïd, il décide de vivre en Tunisie avec sa femme Bettina et son unique fils Léo, et dès 1912 il lance la construction d’un magnifique palais et la réalisation d’un merveilleux jardin qui donne sur la mer.

Cette construction d’architecture arabo-andalouse, durera dix ans. Nichée au bout d’une allée bordée d’arbres odorants ‘Dar El Baroun’ (c’est ainsi que les arabes désignait la maison du baron), bâtiment de couleur blanche aux fenêtres bleues comme toutes les maisons de Sidi Bou Saïd ne laisse rien deviner de la somptuosité des décorations intérieures. Les plus grands artistes arabes, espagnols, italiens ont œuvré pendant les dix années que durera la construction : plafonds de bois décoré et sculpté, piliers de marbre poli, céramiques arabes bariolées, stucs finement ciselés, sans oublier les mosaïques anciennes, fontaines et vasques.

Le mobilier choisi par la baronne n’en est pas moins prestigieux coffres en bois incrustés de nacre, vases en argent de l’artisanat tunisiens, verreries de Venise. La demeure du baron prit le nom ‘d’étoile de Vénus’ en arabe ‘Ennjema Ezzahra’ nom qu’elle a gardé jusqu’à nos jours.

C’est dans cette splendide demeure que le baron s’adonnait à ses deux passions : la peinture certes, mais aussi la recherche de la musicale orientale (il s’était initié au ‘quânun’ qui n’est autre que la cithare sur table). Il dirigea les travaux de découverte et recomposition de la musique arabe depuis le moyen-âge, la maladie et la mort l’empêcheront de mener à son terme l’œuvre qui sera poursuivie par ses disciples et permettra de réaliser le monumental et unique recueil de toute la musique arabe à travers les siècles.

Monsieur Paul avait 24 ans quand pour la première fois, il fut appelé auprès du Baron. Ce jour là le Baron d’Erlanger devait présider une réunion extrêmement importante avec des personnalités du monde culturel et scientifique.

Paul était coiffeur, sa réputation avait franchi les limites de Tunis car, contrairement à tous les autres coiffeurs, il avait décidé de se rendre à Paris pour se perfectionner dans la coiffure pour dames.

Nous sommes en 1926, la coiffure féminine est essentiellement pratiquée à la maison, seules les grandes dames se rendent dans les très chics et peu nombreux salons de la capitale française.

La plupart d’entres elles, sont coiffées chez elles par leur femme de chambre ; il n’est pas habituel de couper ses cheveux, encore moins de les faire friser. Seuls quelques coiffeurs considérés comme des artistes pratiquaient ce métier naissant.

Mme La Baronne qui se rendait souvent à Tunis fréquentait le plus beau salon de Tunis situé dans l’Avenue de Paris, car c’était le seul établissement qui possédait un appareil à friser, et elle préférait les coiffures, souples, amples et vaporeuses aux cheveux nettement coupés à la garçonne des années folles qui avaient accompagné la naissance du charleston. Il faut dire que Mme La Baronne s’habillait de manière stricte et classique ; Bettina c’était le diminutif de son prénom, nièce du Pape Léon XIII, était issue d’une famille de la noblesse italienne.

Paul était son coiffeur ; un jour elle lui demanda s’il était prêt à se rendre au Palais de Sidi Bou Saïd pour coiffer son époux qui était particulièrement occupé et qui ne pouvait se déplacer.

Monsieur Paul fut donc invité à Sidi Bou-Saïd, contrairement à aujourd’hui où l’on appelle un peu familièrement les coiffeurs et les coiffeuses par leur prénom, à cette époque on ajoutait au prénom, Monsieur ; très rarement Madame ou Mademoiselle la coiffure étant presque exclusivement exercée par des hommes.

C’était une marque de déférence et de courtoisie utilisée par les grandes dames. Paul avait rencontré une fois seulement le Baron, celui-ci lui réserva un accueil très simple et un brin amical. Le Baron Rodolphe d’Erlanger était un très bel homme de cinquante quatre ans ; il portait une moustache discrète, ses cheveux étaient légèrement grisonnants assez courts, bien qu’il soit avare de mots, il s’exprimait dans un Français impeccable.


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Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
10 juillet 2012, 14:49
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Paul traversa le long couloir qui conduisait à la grande salle de réception, puis toute une enfilade de petits salons richement décorés,  puis il emprunta la grande salle à manger où se trouvait la si célèbre table de marbre jaune qui aurait appartenu dans l’Antiquité, à un proconsul romain et il introduisit son hôte dans son atelier de peintre.

C’est là que le Baron passait une grande partie de sa journée à reprendre les détails de ses paysages et de ses personnages. L’atelier était tout en longueur, au fond se trouvait une large baie vitrée.

Il était orienté au nord-est pour profiter de la lumière particulière que donne cette orientation. On dit que c’est la lumière des peintres car elle est constante, il y a très peu d’ombres portées, et les couleurs sont moins vives, moins éclatantes. Le Baron était un peintre orientaliste renommé et Paul découvrait cet univers qui non seulement était fait de couleurs mais également d’odeurs. C’est dans l’atelier de Rodolphe d’Erlanger que Paul installe sur une petite table, les ciseaux, le peigne, le rasoir coupe choux, le blaireau, le savon à barbe, le bol de rasage, le cuir à affuter et la pierre d’alun pour les petits saignements de la peau.

Il commence consciencieusement par préparer la mousse à raser, puis il enduit le visage de son client, il affute son rasoir et d’un geste sûr et précis il coupe la barbe. Après avoir passé une serviette blanche sur le visage, pour retirer le surplus de mousse, il passe aux moustaches, les ciseaux actionnés avec maîtrise affinent le poil.

Toutes ces opérations se sont passées dans un silence complet, la technique du barbier mérite la plus grande précision, aucun geste inutile, la lame glisse sur la peau, cinq minutes à peine se sont écoulées.

La barbe terminée, commence la coupe de cheveux, là aussi les gestes sont rapides et précis, le baron met un terme au silence qui s’est installé et pose à son coiffeur quelques questions sur son travail, ses occupations, la glace est rompue. Le baron qui a apprécié le silence professionnel, montre ainsi, dans cette période plus détendue qu’il s’intéresse à l’homme qui est à ses côtés. Sans interrompre le cliquetis de ses ciseaux Paul raconte son parcours, ses débuts comme apprenti à l’âge de neuf ans chez un barbier arracheur de dents comme tous les barbiers depuis le moyen-âge, sa formation, son orientation vers la coiffure pour dames, ses voyages à Paris, le baron s’intéresse à tout, il prolonge la discussion sur les détails.

La coupe s’achève, le coiffeur tel un peintre s’éloigne de quelques pas pour vérifier l’aspect d’ensemble de son travail, satisfait du résultat, il propose au baron de se regarder dans une glace, il sort de son sac une petite glace et montre l’arrière de la tête et la nuque. Devant le signe d’approbation de son client, il remercie et range calmement ses ustensiles dans son sac.

Le Baron le conduit dans un petit salon non loin de l’atelier où il commande quelques rafraîchissements. Depuis ce jour Paul est devenu le coiffeur de toute la famille d’Erlanger. Paul finit par devenir quasiment un familier de la maison d’Erlanger. Une fois par quinzaine, lorsqu’il se présentait au palais, le major d’homme et la femme de chambre de la baronne l’introduisaient dans le salon d’honneur, on lui préparait le café, à ce moment le baron ou la baronne faisaient leur apparition et après un brin de causette on passait soit dans l’atelier de peinture soit dans un salon des appartements privés et là le travail artistique du coiffeur commençait.

Monsieur Paul était ainsi petit à petit entré dans les confidences de M le Baron ; il lui faisait part de ses projets, de ses rencontres de ses activités, après un voyage à Paris, Londres ou le Caire. Le petit coiffeur savait depuis longtemps que le Baron outre le fait d’être un banquier averti et respecté sur la place de Londres, d’être un peintre orientaliste de renom, était un musicologue particulièrement raffiné ; il savait tout de ses projets de rassembler tous les écrits et même des textes anciens sur la musique arabo-andalouse et arabo-berbère ; mais parfaitement insensible à la musique arabe, il ne pouvait prendre la mesure de l’extraordinaire travail de Rodolphe d’Erlanger.

Ce lundi matin d’avril 1930, Paul arriva par le TGM à Sidi Bou Saïd comme il en avait désormais l’habitude. Le fond de l’air était doux, la mer déroulait ses flots bleus, le Boukornine étalait paresseusement, sa large silhouette, le ciel était d’un bleu limpide comme seule la Tunisie peut vous l’offrir. Tout au long du chemin de la gare au palais les orangers aux fleurs naissantes embaumaient.

Seul, l’étranger qui arrive avec son œil ignorant de ces beautés est stupéfait et émerveillé par l’esthétique majestueuse de ces paysages.
Il entra dans l’atelier du Baron, celui-ci lui parut plus enjoué qu’à l’accoutumé. « Paul, car seul le Baron l’appelait Paul, nous allons réaliser la plus belle des aventures, le roi Farouk (Farouk 1er, roi d’Egypte) vient de nous permettre de traduire et mettre en forme les manuscrits de la musique arabe depuis le moyen-âge qui se trouvent au Caire. Ce ‘nous’ amical surpris le coiffeur, il connut bien plus tard la signification de ce projet, mais il ne sut jamais qu’il s’agissait de l’œuvre la plus monumentale réalisée pour la connaissance de la musique arabe à travers son histoire.

L’année 1932 ne commença pas sous les meilleurs hospices ; Léo le fils du Baron reçut Paul à Sidi Bou Saïd, au cours de leur entretien il lui apprit que son père avait été bien fatigué au cours de la semaine au point d’être hospitalisé. La maladie se déclara dans les semaines suivantes.

Le baron dirige l’équipe de chercheurs qui travaillent depuis deux ans à l’histoire de la musique arabe, il est obligé d’interrompre son activité. Semaine après semaine Paul se rend au palais et rafraîchit cheveux et barbe, parfois le baron est couché le petit coiffeur ne manque pas une seule visite. Après chaque séance le visage du malade semble plus serein. Désormais Paul rejoint le baron directement dans sa chambre, parfois il est accompagné par son fils ou bien par la baronne, cette toilette du visage semble soulager le patient de ses douleurs. La santé du Baron s’aggrave au cours de l’été ; le 25 octobre 1932 il est hospitalité d’urgence à Tunis, il décède le 29 octobre 1932.

Il est inhumé dans le jardin de sa maison de Sidi Bou Saïd. Sa pierre tombale reçoit des tunisiens reconnaissants l’épitaphe en langue arabe sculptée sur la pierre qui commence par ces mots : «  De tes précieux bienfaits les arts et les lettres se souviennent » et se termine par ces mots : «  C’est là le témoignage de la fidélité de l’Art à son Père Spirituel » ; Quelques semaines après Paul se rend auprès de La Baronne, les larmes aux yeux il coiffe la baronne c’est le premier soin capillaire depuis le décès de son mari.

C’est aussi la dernière visite du petit coiffeur à Sidi Bou Saïd. Désormais la famille d’Erlanger se rend au salon, la fidélité réciproque sera maintenue au-delà de la mort du Baron, Paul coiffera Bettina la Baronne jusqu’à sa mort, et les enfants ne connaîtront à Tunis qu’un seul coiffeur : Paul.

Les descendants du Baron d’Erlanger ont légué à la Tunisie ‘Ennjema Ezzahra’ c’est un monument historique classé, il abrite aujourd’hui le ‘Centre des Musiques Arabes et Méditerranéennes’ et c’est l’un des plus visités de Tunis et de ses environs.


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Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
11 juillet 2012, 14:39
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CHAPITRE 11

La calèche de la Koubba

- Ma chère amie j’ai été invitée cette année par mon amie de Toulon. Cette ville est assez extraordinaire car elle est située entre mer et montagne. D’ailleurs mon amie m’a conduite sur le Mont Faron, du belvédère on peut admirer la magnifique rade qui abrite une partie de notre marine de guerre.

- En parlant de belvédère, vous souvenez-vous du Belvédère de Tunis, ce parc absolument délicieux où, petite fille, mes parents m’y amenaient le dimanche. Il s’appelle ainsi parce que son concepteur (le jardinier de la ville de Paris) du sommet de la colline sur laquelle il est implanté, pouvait admirer le golfe de Tunis et le lac Bahira.

Le Belvédère fut créé en 1892 sous l’impulsion de Joseph Lafacade qui était alors jardinier en chef de la ville de Paris et qu’on appela à la rescousse pour créer un parc dans cette ville qui manque cruellement d’eau en dehors des lagunes salées que sont la sebka de l’Ariana au nord et plus au sud celle de Sedjoumi.

Le diagnostic ne se fit pas attendre et la colline qui domine à l’est la vieille ville de Tunis et à l’ouest la grande plaine de l’Ariana retint toute son attention. Avant l’arrivée des Européens cette colline était entièrement couverte d’oliviers, cette immense oliveraie fournissait en huile et en savon (l’huile d’olive a longtemps constitué la matière première du savon) les habitants de Tunis.

Un magnifique parc à l’anglaise fut dessiné sur plus d’une centaine d’hectares. La particularité de ce parc est qu’il est traversé à la fois par des routes carrossables, des sentiers piétonniers propices aux promenades et à la méditation et par des allées cavalières.

Très rapidement on a agrémenté le Belvédère d’un pavillon ouvert qui tombait en ruine dans les jardins du palais de La Rose, ancienne demeure beylicale qui fut transformée en académie militaire et en casernement pour la cavalerie commandée pendant longtemps par Kheirredine Pacha personnage important de l’histoire tunisienne. Ce kiosque qui s’appelle la Koubba et qui fut construit au XVIIe siècle est un vrai joyau de l’architecture arabe, très modeste dans ses dimensions, il n’en reste pas moins un pur trésor de finesse et d’élégance.

Ce kiosque est surmonté d’une coupole par quatre fines colonnes. Dans les galeries ouvertes on peut y admirer des vitraux, des stucs finement sculptés et ouvragés, et des mosaïques en céramique dans le pur style de Fez.

On a également remonté une ‘midha’, un de ces bassins qui se trouvent dans les salles aux ablutions des mosquées, celui-ci a été trouvé non loin de la ‘Zitouna’ la plus grande mosquée de Tunis et sans doute l’une des plus anciennes du monde arabe et musulman.

En automne lorsque les après-midi sont chaudes et douces, le Belvédère a sans aucun doute, enchanté les belles dames de la bonne société, qui devisaient dans la calèche qui les promenait, des futilités d’une vie insouciante.

Pour nous, les enfants, une promenade au Belvédère était synonyme de jeux de cache-cache et de courses éperdues à travers les frondaisons des bosquets. Ces sorties s’accompagnaient toujours des mêmes récriminations de nos mères qui s’inquiétaient de nos joues écarlates et de nos têtes dégoulinantes de transpiration.

Dans les années 50 les endroits les plus fréquentés étaient le Casino du Belvédère où se produisaient des artistes venus d’Europe, et la piscine municipale qui a vu éclore quelques grands champions. C’est là que de nombreux gamins de Tunis ont appris à nager avant d’exercer leurs talents dans les belles plages qui longent le TGM.

Aujourd’hui, le Belvédère est un parc réputé et incontournable pour les visiteurs étrangers, les autorités municipales ont créé un zoo et un jardin botanique.

Giacomo VELLA était cocher et propriétaire de calèche, il avait six chevaux et deux calèches. Les calèches tunisiennes sont comme toutes les calèches dans les pays chauds, entièrement découvertes ; quand une pluie aussi rare que capricieuse s’abattait sur la ville une bâche très vite tirée protégeait les clients. On disait qu’il était ‘patron Karotzin’ car en maltais et Giacomo VELLA était maltais on appelait une calèche, un karotzin.

Les calèches à Tunis avaient comme principale fonction de transporter les gens d’un point à un autre comme n’importe quel taxi, accessoirement elles servaient à la promenade. Contrairement à la plupart de ses collègues qui parcouraient les rues de la ville en quête d’un client, Giacomo avait ses habitués.


Tous les matins après avoir bouchonné ses chevaux et curé leurs sabots, il en attelait deux à la calèche, il choisissait la paire de telle sorte qu’ils s’entendent bien une fois solidairement attachés. Tous ces gestes étaient accomplis avec une très grande maîtrise et un savoir faire propre aux palefreniers les plus avertis. Après s’être assuré que les mangeoires convenablement remplies avaient été placées dans le coffre qui servait de siège au cocher, il quittait l’écurie de la rue Damrémont et allait se placer à Bab El Khadra.

C’est là que ses clients l’attendaient, il pouvait arriver qu’il les attende et il chargeait trois ou quatre personnes qui parfois ne se connaissaient pas ou n’étaient pas de la même famille avec leurs couffins et leurs paniers et les conduisait au Marché Central. Il empruntait toujours le même itinéraire, l’avenue de Lyon, puis l’avenue de Paris, l’avenue de France enfin la rue Charles De Gaulle, une demi heure après il déposait ses passagers.

Il arrêtait sa calèche rue d’Espagne, mettait autour du cou des chevaux la mangeoire qu’il avait garnie le matin et s’en allait chez le marchand de beignets tout proche, manger un de ces beignets à l’huile (fteïr en arabe) au goût incomparable. Ensuite il fallait sacrifier au thé à la menthe. Après un brin de causette avec le ‘fteïr’ ( le mot ‘fteïr’ indique indifféremment le marchand et le beignet), il retournait à la calèche récupérer clients et marchandises achetées.

Giacomo refaisait le chemin inverse et déposait ses clients à Bab El Khadra. Il terminait sa matinée par une ou deux courses occasionnelles ou déjà programmées.


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Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
15 juillet 2012, 07:36
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De retour chez lui, Giacomo VELLA prenait soin de détacher les chevaux, il les brossait soigneusement après les avoir abreuvé, puis il les replaçait dans leur stalle où ils pouvaient à loisir se reposer jusqu’au lendemain.

Giacomo entrait ensuite à la maison et après une brève toilette, il s’asseyait à table et partageait le repas avec sa femme et ses enfants.

Après une courte sieste réparatrice Giacomo reprenait son activité de cocher pour l’après-midi il attelait ses plus beaux chevaux à la robe alezan brûlé qui donnait aux muscles un plus grand sentiment de vigueur et de noblesse. Il reprenait avec minutie le cérémonial du matin et ne laissait rien au hasard. C’est que les après-midi de Giacomo étaient consacrés à la promenade de clients fortunés.

Giacomo VELLA avait réussi à se spécialiser dans la promenade commentée qui était pour l’époque une nouveauté absolue. Giacomo n’avait que son certificat d’étude, mais à l’école primaire (la seule qu’il ait fréquentée), il était le premier en histoire géographie et cette préférence était devenue pour lui une vraie passion.

Chaque fois qu’un client quelque peu érudit montait dans son ‘karotzin’ il buvait ses paroles et s’instruisait de ses connaissances. Il avait fini par acquérir une solide instruction qu’il avait développée en outre par les visites fréquentes de monuments et de curiosités dans lesquelles il entraînait ses clients. Il était devenu un solide connaisseur de l’histoire tunisienne qu’il rapportait à ses riches promeneurs tout en leur faisant admirer la finesse architecturale des édifices modernes et anciens.

Son parcours favori le conduisait immanquablement au Belvédère. Il se rendait d’abord près de l’église Ste Jeanne d’Arc de style mauresque, là où se trouvait les plus belles villas et où résidaient (comme disaient nos parents : les gens bien, c'est-à-dire assez fortunés), il chargeait souvent deux ou trois dames et se rendaient au Belvédère.

Lorsqu’après avoir franchi les portes monumentales il s’engageait dans les allées, il commençait son exposé, les chevaux se mettaient au pas, ils connaissaient si bien le chemin qu’il n’était pas nécessaire de les guider.

Chaque bouquet d’arbre avait son histoire, Giacomo ponctuait son propos, d’anecdotes survenues à des personnes connues qui avaient également arpenté les allées du Belvédère. Et puis arrivait un moment attendu des visiteuses : la petite halte devant la Koubba, Giacomo en bon guide faisait l’historique de ce pavillon qui tombait en ruine dans les jardins du Palais de La Rose, lorsqu’il fut remonté pierre par pierre dans le parc.

La Koubba de son vrai nom ‘Kobbet El Haoua’ qui signifie la Coupole aux brises (ce nom lui va très bien car le bâtiment est ouvert) ou encore la Coupole de l’amour fut réalisée au XVIIe siècle et demeura longtemps un peu seule jusqu’à cette année de 1793 où fut édifié un magnifique palais par Hammouda Pacha bey de Tunisie, il en fit sa résidence d’été. Le palais qui est connu sous le nom de ‘Borj El Kébir’ qui signifie ‘Grand Palais’ est l’une des plus grandes merveilles de l’art architectural tunisien ; il n’y a rien d’étonnant que l’élégante Koubba devint la Coupole de l’amour alors que le palais prit le nom de Palais de la Rose.

Avant de rejoindre le Belvédère, la Koubba vit passer les hôtes de marque qui séjournèrent au palais comme le contre amiral Lesseigues en 1802 défait quelques années plus tard devant St Domingue par les Anglais et la reine Caroline de Brunswick en 1816.

Plus tard en 1839 devant la Koubba défila la cavalerie beylicale commandée par le Général Kheireddine, le palais était devenu entre-temps un casernement réservé à la cavalerie. Giuseppe Garibaldi y fut également reçu comme conseiller militaire.

Giacomo a ouvert son livre d’histoire devant son public, et il raconte à la manière troubadour, à ce moment précis, il ne travaille pas il rêve et fait rêver.

Devant la ‘Midha’, nouvelle halte ; ces pierres ont douze siècles d’âge elles méritent un petit commentaire car ce petit bassin aux ablutions (les ablutions sont un rite de purification, que tout bon musulman exécute avant la prière) a une histoire liée à l’histoire du lieu où il fut trouvé .

En effet il provient de la mosquée Zitouna qui est l’une des plus anciennes du maghreb, construite quelques 60 ans après la Grande Mosquée de Kairouan.

La médersa qui lui est rattachée est l’une des écoles ou université coranique les plus réputés du monde. La Zitouna est construite au souk El Attarine, le plus vieux souk de Tunis. On prétend que la Zitouna édifié en 732 sous le règne des Omeyades fut reconstruite sous le règne d’un sultan aghlabide en 804.

Les souks sont organisés selon une géométrie précise qui répond aux exigences de la religion; les activités propres près de la mosquée, ainsi le souk El Attarine est le souk aux parfums ensuite vient le souk El Birka qui a abrité le souk aux esclaves mais qui est devenu le souk aux orfèvres plus loin les souks des métiers moins propres le souk aux cuivres, aux chéchias, puis le cuir enfin le souk des tanneurs très loin de la mosquée qui ne doit souffrir d’aucune impureté.

La mosquée de l’olivier, Zitouna vient du mot olive, fut construite sur un lieu saint planté d’un olivier ; mais une autre interprétation révèle que la mosquée fut construite sur les vestiges d’une ancienne basilique chrétienne dédiée à Ste Olive, martyrisée à Carthage sous le règne de l’empereur Hadrien en 138 ap JC.

Giacomo encore ému par la ferveur qu’il a apporté à son récit remonte sur le ‘Karotzin’. Il reprend son métier de cocher, il n’a pas livré tous ses secrets ; demain peut-être, devant le palais du Bardo, racontera-t-il l’avènement des différentes dynasties beylicales. Place Ste Jeanne d’Arc il dépose ses clientes, il encaisse sa course comme n’importe quel cocher, et repart la tête dans les étoiles.







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Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
16 juillet 2012, 14:21
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CHAPITRE 12

Les martyrs de Carthage

- hier dans la salle d’attente de mon médecin j’ai feuilleté un magazine qui présentait un reportage sur la ville romaine d’Ephèse en Turquie.

- je suis sûre que vous avez fait un rapprochement avec Carthage.

- je pense que Carthage est beaucoup plus étendue, nous y sommes allées souvent, vous vous en rappelez !

Les ruines de Carthage ont été pendant de longues années, le théâtre de nos jeux d’enfants.

Pensionnaires au lycée de Carthage, les pions nous emmenaient souvent en promenade dans le vaste champ de ruines de la cité romaine.

Bien que le programme d’histoire de 6ème fût l’Antiquité, nous n’écoutions pas toujours nos professeurs avec le meilleur intérêt, car pour tout dire nos connaissances étaient plutôt concrètes et directement palpables.

Ce que nous connaissions le mieux de l’Antiquité c’étaient les pierres qui avaient fait la magnificence de Rome dans la plus belle et la plus prestigieuse de ses colonies.

Nous avons passé pour certains d’entre nous plus de quatre ans au milieu de maisons romaines, de villas, de théâtre, d’amphithéâtre, de temple, de basiliques ; les jeux de cache-cache nous permettaient de découvrir des souterrains, des bassins et des sols magnifiquement mosaïqués, des colonnes abattues, leurs chapiteaux reposant à même le sol, car en dehors des thermes d’Antonin (les plus grands d’Afrique et certainement les plus beaux de l’empire romain) qui étaient interdits au public non accompagné d’un guide, la cité endormie, à l’époque de notre enfance était librement ouverte ; les autorités n’exerçaient encore, aucune surveillance et les archéologues n’avaient pas encore fait leur travail de recherche et de mise à l’abri de tous les trésors qu’elle recèle.

Bien des années plus tard, j’ai revu au musée du Bardo, qui possède l’une des plus belles collections de mosaïques romaines du monde, une merveilleuse mosaïque sur laquelle, j’avais posé mes pieds d’enfant, ignorants de tant de richesses.

Dans ces rues couvertes de pierres célèbres, un jeu nous prenait pas mal de temps, c’était la recherche de pièces de monnaie romaines.

Pour cela, il fallait attendre les pluies d’automne et d’hiver, dans les rigoles creusées par les orages intenses on découvrait de temps en temps une pièce couverte de vert de gris.

Il fallait alors beaucoup de patience et d’application et frotter et astiquer pour que, sublime récompense, apparaisse parfois, l’effigie de l’empereur sous lequel elle avait été frappée. Le fait était rare car le plus souvent la pièce était beaucoup trop usée pour livrer son secret.

Quand on pouvait distinguer quelque chose, un visage ou des inscriptions, notre culture était insuffisante pour identifier le personnage et le nombre de pièces trop important pour importuner sans cesse le professeur de latin du lycée.

Nous avons du certainement croiser, au travers d’un denier un empereur célèbre, et sans doute, sans le savoir, nous avons peut-être enfermé, dans la boîte d’allumettes qui servait de cachette à notre trésor, Calligula, Néron, Caracalla ou Hadrien.

Malgré notre quête persévérante, jamais aucune pièce d’argent ou d’or n’est tombée dans notre escarcelle, à croire que les patriciens savaient mieux cacher leur or, que les plébéiens leurs deniers de cuivre.

Nos camarades ne se livraient pas tous à la passion du découvreur, certains mesuraient leur force en basculant d’immenses chapiteaux de colonnes, d’autres avaient la passion des souterrains et s’enfouissaient de longues minutes à l’abri des regards comme on aime le faire dans une cabane de branchages construite dans les bois.

Certains pions plus cultivés que d’autres, nous donnaient parfois des informations. C’est ainsi que nous avons découvert les tombaux puniques de la Carthage carthaginoise, que nous savions selon le modèle, si un alignement de colonnes représentait les restes d’un temple romain ou d’une basilique chrétienne de la première époque. Théâtre, amphithéâtre, forum tous ces mots et parfois les lieux ne nous étaient pas étrangers.

Plusieurs décennies plus tard, loin de Carthage et de la Tunisie, en visitant des sites archéologiques j’ai compris le privilège unique que nous avions eu de vivre cette expérience sublime dans l’une des cités antiques les plus célèbres du monde.

L’histoire de la Carthage carthaginoise, celle des phéniciens est difficile à étudier, car peu de sources phénico-puniques sont disponibles.


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Re: Des Nouvelles Du Boukornine,,, Les Aventures d'Humbert Gurreri.
21 juillet 2012, 10:31
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Les textes puniques (le mot punique est dérivé du Poeni latin qui désigne les phéniciens, peuple, dont sont originaires les Carthaginois) malheureusement très rares, ont été traduits par des auteurs grecs ou latins ; s’agissant d’ennemis de Carthage, le contenu de ces écrits est peu probant pour expliquer le développement et la splendeur de cette ville.

Selon la légende, la ville aurait été créée vers 814 avant JC. Elissa ou Didon était la fille de Bélos, roi de Tyr, mariée à son oncle Sychée qui était extrêmement riche. A la mort du roi, Pygmalion frère de Didon, intrigue et succède à son père.

Avide du trésor de Sychée, il le fait assassiner. Elissa s’enfuit avec une suite nombreuse et plusieurs bateaux. Elle s’arrête d’abord à Chypre où elle fait enlever cinquante jeunes filles qu’elle donne à ses compagnons de voyage, puis elle accoste près d’Utique, colonie phénicienne, sur la rive d’Afrique qui ne s’appelle pas encore la Tunisie, le lieu lui paraît si hospitalier qu’elle décide de s’y arrêter.

Elle souhaite acheter un terrain, mais le maître des lieux, Hiarbas, roi de Mauritanie chef de la peuplade nomade des Gétules ne lui consent que la surface d’une peau de bœuf. Grâce à un stratagème (elle coupe la peau de bœuf en très fines lanières qu’elle met bout à bout) elle obtient le droit de s’installer sur la colline de Byrsa qui signifie peau de bœuf (c’est ainsi qu’elle s’appelle encore de nos jours).

Avec ses compagnons et grâce aux habitants d’Utique elle fonde une ville qu’elle appelle Kart-Hadasht, ville nouvelle que les romains appelleront plus tard Cartanigienses, et qui donnera Carthage. Le roi Harbias ébloui par la beauté et les richesses d’Elissa l’invite à l’épouser, mais celle-ci fidèle à son époux et ne pouvant se dérober décide de se donner la mort avec un poignard et demande qu’on brûle son corps ; éblouis par ce geste de bravoure, les compagnons de la princesse Elissa lui donnèrent le nom de Didon qui caractérise le courage et l’héroïsme.

Une autre interprétation est tout aussi passionnante, on raconte que le héros troyen Enée, fils du mortel Anchise et de la déesse Aphrodite, s’enfuit de Troie lorsque celle-ci tomba aux mains des Achéens, pour fonder une nouvelle ville de Troie sur un autre territoire. La légende raconte qu’Enée aurait accosté à Carthage et Didon en serait tombée amoureuse. Mais pour respecter le serment qu’il avait fait auprès de ses concitoyens et n’écoutant que son devoir, Enée prit la mer pour se rendre en Sicile.

Par désespoir Didon se serait donné la mort par le feu, Enée de son bateau aurait vu l’incendie. Cette version imaginée par le poète latin Virgile a donné naissance à l’Enéide qui est le plus célèbre poème de l’Antiquité. C’est cette légende qui fut retenue par les artistes et popularisée par tant d’œuvres littéraires, picturales et musicales.

C’est vers la fin du VIIe siècle avant JC que Carthage aurait acquis son indépendance sur Tyr, à qui elle payait un lourd tribu d’allégeance. L’histoire de Carthage et des Carthaginois est une longue succession d’affrontements avec les grecs d’abord qui lui disputaient sa suprématie sur la Sicile puis avec les romains pour s’assurer du contrôle de la méditerranée occidentale.

La Sicile occupée successivement par les grecs puis par les romains sera le principal théâtre des opérations militaires.

Le conflit majeur restera celui qui l’opposera à Rome aux cours de trois guerres appelées guerres puniques. La première commence en 264 avant JC, le général carthaginois Hamilcar Barca est défait au cours de la bataille navale qui se déroule en Sicile.

Il se réfugie en Espagne, c’est d’Espagne que son fils Hannibal lance la deuxième guerre punique, celle-ci sera terrestre ; des moyens très importants d’infanterie seront mises en œuvre des milliers de fantassins, de cavaliers s’affronteront et Hannibal fait même donner des éléphants qui traverseront les Pyrénées, le Rhône et les Alpes, il menace Rome mais celle-ci parviendra à vaincre.

La troisième guerre punique se déroulera sur le sol africain, et se terminera en 146 avant JC par la victoire définitive du général romain Scipion dit ‘Scipion l’Africain’.

Le territoire de Carthage sera déclaré maudit, la ville sera entièrement détruite après trois ans de siège. On raconte que du sel aurait été répandu sur le sol pour que plus rien ne repousse, mais cette thèse est démentie par les faits car quelques cent ans plus tard Carthage sera reconstruite par les romains elle deviendra l’une des plus belles villes du monde et l’un des fleurons de la colonisation romaine en Afrique, mais surtout le deuxième grenier de Rome après la Sicile.






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