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Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire

Envoyé par ladouda 
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
04 août 2012, 11:37
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Les autres frères Turiddu et Pipino de leur côté essaient de trouver quelques chantiers. Mais tout le monde a beaucoup de mal à joindre les deux bouts. D’autant que la Résidence (c’est ainsi que l’on nomme le centre névralgique de l’administration française) vient de décréter le rationnement et a distribué des cartes de rationnement qui rendent l’approvisionnement de plus en plus difficile.

Le marché noir se développe. Et la population vit en quête d’alimentation. Quelques heureux dont un membre de la famille est paysan parviennent à se tirer d’affaire, mais ces quelques exemples ne doivent pas faire oublier que l’ensemble de la population tunisienne est entrée dans une phase de privations.

Paulino qui a conservé son emploi de coiffeur parvient grâce à ses différents contacts, notamment sa clientèle française à bénéficier de quelques approvisionnements parallèles qu’il partage avec la famille et notamment son frère Vannino.

Mais surtout la guerre va modifier sensiblement les rapports entre la communauté française désormais aussi importante que la communauté italienne. En novembre 1942 le sort de la bataille est incertain, les troupes germano-italiennes bénéficiant d’un bien meilleur approvisionnement (pour déjouer les avions de la RAF, les bateaux quittent la Sicile de nuit et parviennent en Tunisie au petit matin) prennent le dessus ou tout au moins maintiennent leurs positions.

Mais très vite la marine anglaise en imposant sa supériorité sur mer coupe l’approvisionnement ennemi, dès lors la bataille de Tunisie va très vite évoluer en faveur des alliés. En novembre 1942 Le général Anglais Montgomery remporte la bataille d’El Alamein (A l’ouest d’Alexandrie et proche de la Lybie).

Ce succès lui ouvre les portes de l’Afrique du Nord et de la Tunisie qui est l’objectif principal avant la campagne d’Italie. Après sept mois de combats acharnés livrés par les deux camps, les alliés remportent la victoire, ils font 250 000 prisonniers qui auraient été utiles sur le front européen.

Les pertes de part et d’autres sont lourdes : les américains, les anglais et à un degré moindre les français laissent sur le terrain 10 500 soldats, morts au combat, les allemands et les italiens quand à eux déplorent la perte de 8 500 soldats. La bataille de Tunisie fut acharnée sur le plan militaire. Elle va laisser des traces sur le plan politique et social.

Une précision d’importance, de 1939 à la fin de 1943, les autorités françaises de Tunisie ont du mal à choisir leur camp, le Résident Général qui est l’autorité suprême sous le protectorat obéit aux ordres du gouvernement de Vichy, si bien que pendant les opérations militaires de la campagne de Tunisie, les troupes françaises très peu nombreuses par rapport aux Anglais et aux Américains, sont essentiellement constituées de partisans venus souvent d’Alger ; ils portent pour bon nombre d’entre eux l’uniforme britannique, car la logistique et l’approvisionnement manquent cruellement depuis la débâcle de 1940.

Au cours de ces années le sort des juifs de Tunisie peut surprendre. Contrairement aux juifs d’Algérie qui bénéficiaient du décret ‘Crémieux’ qui leur octroie la nationalité française s’ils naissent sur le territoire du pays, les juifs tunisiens sont sous l’autorité beylicale depuis leur venue d’Espagne et donc de nationalité tunisienne (sauf les livournais, eux sont Italiens).

Vichy qui annule les lois Crémieux pour les juifs d’Algérie, n’apporte aucune modification au statut des juifs tunisiens. Pourtant le Bey, qui fait les yeux doux au gouvernement de Vichy, en 1941 impose à la population Israélite des mesures discriminatoires (de même nature que celles pratiquées en France), comme l’interdiction de poursuivre des études ou d’exercer certaines professions.

Il les dépossède des plus belles maisons. Mais lorsque les allemands occupent la Tunisie, des négociations sont entreprises entre les autorités religieuses juives et les troupes d’occupation, si bien que les juifs ne connaissent pas les déportations massives des juifs d’Europe centrale ; pourtant ils sont soumis au STO (les citoyens tunisiens israélites serviront de main-d’œuvre @#$%& pour le déchargement des bateaux, l’entretien des routes).

Des camps seront néanmoins ouverts et un certain nombre de juifs seront conduits en Europe et déportés dans les camps d’extermination (selon des témoignages et le décompte réalisé par les responsables religieux, quelques dizaines dont le champion du monde de boxe : Young Pérez, ne réchapperont pas).

Les juifs livournais ne sont absolument pas inquiétés, d’abord parce que nombre d’entre eux ont accepté de travailler pour le gouvernement fasciste et puis parce que Mussolini ne souhaitait pas réduire l’influence de la communauté italienne dont ils occupaient les postes clef.

Dès la défaite des Allemands et des Italiens, les autorités françaises se plient aux règles des alliés, petit à petit se dessine le nouveau visage et la nouvelle politique de la France en Tunisie.

Les premières mesures sont prises à l’encontre des Italiens, tous les hommes valides sont rassemblés dans des camps notamment dans la région de Kasserine (l’un des théâtres des opérations militaires , des combats et des affrontements récents), il serait osé et injuste de s’autoriser la moindre comparaison avec des camps de prisonniers ou les camps de déportation allemands ; mais pour ceux qui l’ont subi, cet internement de plusieurs semaines laissera quelques empreintes.

Malgré l’abondante documentation qui couvre la guerre en Tunisie, il n’y a pas trace de cette mesure prise par les autorités de l’époque : ce qui en fait les ‘camps oubliés’ de la guerre de 39-45. Un Service du Travail Obligatoire est mis en place et les hommes les plus jeunes sont rassemblés et réquisitionnés pour les travaux d’intérêt général, pour l’approvisionnement des camps de prisonniers, et même pour la réalisation de certains chantiers.

Puis après l’armistice tous les Italiens qui occupent un poste important dans la hiérarchie des entreprises ou qui exercent une profession libérale sont expulsés.


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Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
06 août 2012, 07:29
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La communauté juive livournaise n’échappe pas à ce mouvement, tous les avocats, médecins, pharmaciens, professeurs, (pour la plupart livournais), sont chassés du sol tunisien et leurs biens confisqués. (Peu importe qu’ils soient implantés en Tunisie depuis le XVIème siècle).

Enfin tous les gens fortunés, propriétaires de belles maisons ou simplement les personnes aisées qui logent dans des appartements confortables sont dépossédés de leurs biens et priés de se loger ailleurs. ’Ailleurs’ veut dire que l’on demande aux familles les plus modestes de partager leur logis et d’offrir un accueil à ceux que l’on a privés de leurs biens.

Enfin les écoles italiennes sont fermées, les journaux de langue italienne interdits, les avoirs des entreprises sont confisqués, jusqu’à l’hôpital italien qui est nationalisé. Le traité de 1896 est dénoncé dans sa totalité. Une seule disposition demeure, les Italiens peuvent conserver leur nationalité ; cependant un décret du 20 décembre 1923 qui stipule que tout enfant né dans la Régence de Tunis d’un parent qui y est également né est déclaré de nationalité française, rejeté par l’Italie et tombé en désuétude, est réactivé, il permet de donner à tous les enfants d’Italiens (même s’ils ne la demandent pas) la citoyenneté française.

Ce décret sera utilisé jusqu’en 1956 (avènement de l’indépendance).
Coupée de ses racines culturelles et économiques, (désormais tous les enfants d’âge scolaire fréquenteront les écoles françaises, même ceux qui avaient commencé leur scolarité en langue italienne), la communauté italienne va voir ses effectifs régresser. Une campagne de naturalisation est engagée, les Italiens répondent favorablement, dans une proportion non négligeable à ces sollicitations.

Le bras de fer entre la France et l’Italie, commencé au milieu du siècle précédent connait son épilogue en ce milieu de XXème siècle.

De toute cette période de troubles, nos parents en ont été les acteurs involontaires. Ils ont subi toutes les vicissitudes de la guerre. Vannino voit une partie de ses biens confisqués, il faut préciser qu’en fasciste convaincu il avait dans les années précédant la guerre montré son attachement, n’avait-il pas écrit un livre de poèmes à la gloire du Duce, salué par D’Alessandro recteur des écoles italiennes, et dont les vers furent enseignés dans les classes. Mais ayant eu néanmoins des rapports cordiaux avec de hauts fonctionnaires et ayant agi avec humanisme auprès d’une importante famille française il parvint à sauver sa maison de l’Aéroport.

Turrido dont la condition est modeste ne sera guère inquiété et pourra traverser cette période sans dommage pour lui et pour les siens. Pippino émigre en direction du Kef (ville située à 180 km à l’ouest de Tunis et à 40 km de la frontière algérienne) il échappe ainsi aux réquisitions car cette région présente un intérêt moindre.

Paulino enfin, qui a réussi peu avant la guerre à louer un appartement en plein centre du Tunis européen manque de peu de perdre son appartement et l’aurait sans doute perdu, sans l’intervention d’une de ses clientes françaises dont le mari est en poste dans la Résidence. Il doit néanmoins accepter de loger une famille qui a été dépossédée de sa villa du Kram.

Il voit sa famille (comme bien d’autres écartelée) car ses deux filles sont Italiennes et son dernier enfant est Français en vertu des nouvelles dispositions.

L’apaisement arrive bientôt, l’Europe est en marche et le temps efface les rancœurs. Une autre phase se prépare : l’Indépendance de la Tunisie, qui verra l’exode massif de la population européenne.

CHAPITRE 6

LA MAISON DE L’AEROPORT


Le terme aéroport a sonné à nos oreilles pendant toute notre enfance et notre adolescence. Et pourtant il n’y a jamais eu d’aéroport à côté de la maison de l’aéroport. Toute la famille parlait de la maison de l’aéroport sans qu’on n’ait jamais vu un avion alentour.

Cette localité tire son nom de la base installée sur le prolongement du lac de Tunis et dont l’usage exclusif était réservé à l’amerrissage des hydravions d’abord pour les services réguliers entre la Tunisie et la Corse, la Tunisie et la Sicile ensuite comme base militaire d’amerrissage pendant la seconde guerre mondiale.

Après la guerre la base fut abandonnée et seule une poignée de militaires fut maintenue pour surveiller les installations.

Nous avons précisé que de Tunis à la Marsa depuis le début du siècle, un petit train appelé ‘TGM’, assurait le transport d’usagers habituels la semaine et de milliers de tunisois le dimanche qui venaient se délasser à la plage. Ce petit train serpentait, sur près de dix neuf kilomètres, le long des plus belles plages de Tunisie.

Toutes les stations portent un nom évocateur qui renvoie à l’histoire du pays. ‘La Goulette’ que l’on connaît déjà, ‘Khérréddine’ (général et Premier ministre, son histoire est peu commune car il est né dans le Caucase en Circassie, et vendu comme esclave à l’empire ottoman, sujet particulièrement instruit et raffiné il est cédé au Bey de Tunis, il dirigea l’armée tunisienne, puis le gouvernement beylical vers le milieu du XIXème siècle).

‘Amilcar’ ou Hamilcar ( grand général carthaginois, qui lutta contre Rome au cours de la première guerre punique. Il est le père d’Hannibal autre grand général carthaginois qui devint à son tour un ennemi irréductible de Rome vers 230 av JC et dont les faits de guerre le conduisirent à traverser les Alpes avec ses éléphants au cours de la seconde guerre punique).

‘Salammbô’ ( fille d’Hamilcar immortalisée par le roman passionné de Gustave Flaubert).

‘Sainte Monique’ (princesse berbère convertie au christianisme en 360 AP JC) la station s’appela plus tard ‘Didon’ (fondatrice selon la mythologie grecque de Carthage)

‘Carthage’ que l’on ne présente pas ; dès que l’on sort de la station du TGM on descend en pente douce vers la mer et l’on traverse la Carthage romaine, celle qui fut construite bien longtemps après la destruction totale de Carthage, celle de l’empereur Antonin le pieux, qui fit réaliser des thermes encore plus prestigieux que ceux de Rome.

Mais si le regard se porte au nord, sur la colline de Byrsa, il découvre au sommet la Cathédrale St Louis du nom de ce roi de France qui mourut de la peste à Tunis en 1270 au cours de la huitième croisade.

Et peu avant ‘La Marsa’ (résidence d’été du Bey), la station de ‘Sidi Bou Saïd’ (du nom d’un saint qui y fut enterré au début du XIII siècle, on découvre sur la hauteur un délicieux village, connu dans le monde entier puisqu’il fut le premier site mondial classé). Enfin l’Aéroport


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Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
09 août 2012, 10:48
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De toutes ces localités célèbres qui avaient toutes une plage merveilleuse, l’Aéroport était celle qui avait la plus belle plage, car c’était la plage de notre enfance.

Nous en connaissions chaque pouce de sable (un sable très fin), mais aussi chaque mètre carré de mer et de fond marin. Lorsqu’avec la barque, il nous arrivait de sortir en mer chacun commentait et décrivait le fond marin : les posidonies et ses poissons multicolores, la passe de sable, les rochers puis de nouveau les posidonies enfin le sable. Tous ces renseignements étaient utiles pour la pêche que la famille pratiquait (les hommes et les garçons surtout) pour le plaisir. On ne pêchait pas sur le sable les mêmes poissons que sur les posidonies, les meilleurs poissons étant ceux pêchés sur les fonds sableux.

La maison de l’aéroport était une belle et grande maison blanche, construite sur la plage avec des toits en terrasse, elle avait deux niveaux, le rez-de-chaussée était composé de trois appartements et d’une remise. Au premier il y avait un très grand appartement terminé par une immense véranda, magnifique balcon sur la mer méditerranée. Que de fois, l’été, lorsque le disque rouge du soleil disparaissait à l’horizon et que peu de temps après, la pleine lune se reflétait dans l’eau n’a-t-on fait de rêves de voyage et d’évasion.

Le calme de la nuit, le clapotis des vagues sur le bord de la plage invitaient à la méditation ; et nous enfants, le menton collé à la rambarde de ce bateau immobile nous contemplions le scintillement de la lune sur la mer.

Nous avons tous gardé cette passion et ce besoin d’entendre le bruit de la mer, de sentir l’odeur de la mer de nous rassurer de la proximité de la mer. Aujourd’hui des milliers de touristes et leurs enfants prennent des vacances à la mer, mais nos stations balnéaires semblent avoir importé les modes de vie de tous ces citadins qui viennent ainsi effacer les stigmates de la vie trépidante des grandes villes ; avec ce besoin incompréhensible d’animation, de lumière, de bruit, de foule.

L’organisation sociale de l’espace maritime est à l’image des personnes qu’il reçoit, pendant les mois d’été il leur ressemble.

Mais la mer dont nous parlons n’a rien à voir avec celle-ci. Le tourisme des chaises longues et parasols n’existe pas à cette époque là, la plage, notre plage a sans doute ses règles et ses codes, mais ils ne ressemblent en rien à ceux instaurés par la société d’aujourd’hui.

Les dimanches d’été, les citadins envahissent la plage, mais ce sont des familles qui viennent pour un jour seulement, faire provision de liberté, l’esprit est bon enfant, les parents perdent de leur sévérité coutumière, les enfants jouent et jouent encore à en devenir fous.

A 18 heures la plage commence à se vider, il faut reprendre le TGM qui sera pendant une heure ou deux, bondé au point de voir les voyageurs les plus hardis grimper sur le toit du train. Et lorsque le jour décline et que la nuit commence à tomber, pour ceux qui restent, la plage redevient ce monde mystérieux fait d’obscurité et de silence, hommes et territoire donnent cette étrange sensation, de s’appartenir à nouveau mutuellement.

Seuls les cris stridents des chauves-souris qui viennent faire leur provision d’insectes autour des rares lampadaires déchirent l’espace.

La mer reprend ses droits, le doux clapotis sur le rivage nous rappelle qu’elle est bien là. Et c’est le moment où nous enfants nous nous asseyons en rond dans le noir pour écouter un de ces contes improvisé par le grand-père ou la grand-mère, conte fantastique, et venu du plus profond des traditions de chansons de gestes du Moyen Age ‘les aventures ‘d’Orlando furioso’ qui nous enverra au lit, morts de trouille.

Notre famille, celle de Paulino, n’habitait pas à la plage, mais très souvent, le samedi soir ou le dimanche matin nous nous rendions à l’Aéroport. Paulino adorait la pêche comme le reste de la famille et donc dès l’aube, les hommes quittaient le rivage à bord d’une barque en bois et à la rame après une demi heure et parfois même une heure, se rendait sur le lieu de pêche.

La pêche se pratiquait uniquement avec la ligne de fond (le moulinet n’existait pas). Les pêches de cette époque étaient miraculeuses, le golfe de Tunis est très poissonneux, car il est plutôt abrité, la méditerranée y est très chaude et les espèces se reproduisent abondamment.

Lorsque vers dix heures du matin la barque revenait, sur la plage les gens se levaient pour venir admirer le résultat.

Là-haut dans la maison un ballet frénétique commençait car désormais la parole était aux femmes qui écaillaient et vidaient les dizaines de poissons, puis commençait la friture du poisson. A l’heure du repas, sous le porche de la véranda une grande table était dressée et alors commençait la dégustation pantagruélique.

Tous, petits et grands, enfants et parents, cousins, oncles et tantes se délectaient. Plaisir simple et modeste, plaisir collectif de partager les mêmes goûts, la même passion. Tout le monde a connu et connait ces grands repas de famille, pour les enfants se sont des moments de joie intense, dont ils se rappellent toute leur vie. Pour nous, ces instants resteront à jamais gravés dans nos mémoires, et en cadeau céleste la vue sur la mer.

La maison de l’Aéroport ne servait pas qu’à cela, elle servait surtout à loger toute la famille de Vannino. C’était le dernier bastion identifiable d’une vie, c’est dans cette demeure que Vannino s’est éteint.


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Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
10 août 2012, 14:47
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CHAPITRE 7

LE DEPART DE TUNIS

« Quiconque a le malheur d’émigrer une fois – une seule – restera métèque toute sa vie et étranger partout, même dans son pays d’origine. C’est notre malédiction à nous, immigrants. »

Une seconde malédiction va frapper ceux qui nés en Tunisie, de parents immigrés vont devoir faire le chemin du retour et pas forcément dans leur pays d’origine. Lorsqu’on est nait dans un pays, qu’on y a toujours vécu, qu’on y a accompli des actes aussi importants que d’aller à l’école, se marier, fonder une famille, se mouler dans les coutumes du pays, adopter la langue ou plutôt les langues parlées dans ce pays.

On n’imagine pas que ce pays n’est pas le vôtre. Il faut faire un effort intellectuel considérable pour conceptualiser qu’il faut reprendre son baluchon et recommencer la route.

La cause de ce bouleversement est du pour l’essentiel à la lutte pour l’indépendance de la Tunisie revendiquée par les ‘indigènes’, pour l’occasion je me permets ce terme pour désigner improprement les autochtones.

Tout au long de ces pages, au travers de digressions ou de parenthèses, nous avons essayé de situer tant géographiquement, qu’historiquement l’environnement dans lequel ont vécu nos familles. On pourrait contester à chaque nouveau peuple l’antériorité du sentiment de propriété de la terre tunisienne, tant ce territoire fut disputé et conquis. Les carthaginois, les romains, les vandales, les numides, les berbères, les ottomans, les arabes, les français, les italiens, les russes, les maltais et les chrétiens, les juifs, les musulmans ont colonisé ;  chacun de ces peuples est légitime à vouloir exercer la souveraineté ; il faut accepter de reconnaître à ceux qui y ont vécu le plus longtemps et qui ont modelée cette terre, le droit d’en être les possesseurs d’aujourd’hui.

Le problème n’est ni moral ni philosophique ou alors il faut expliquer qu’il existe des colonisations justes et des colonisations injustes ; la colonisation est avant tout un problème politique, la décolonisation l’est tout autant.

Sauf que ce sont des drames humains qui se sont joués au cours de ces années de feu, drames pour les hommes qui périrent (civils et soldats de part et d’autre), drame pour les familles obligées de recommencer à zéro, drame enfin, même si on en minimise l’impact, pour ceux qui restent dans le pays, privés de forces vives et obligés de bâtir un nouvel état.

La montée du sentiment nationaliste tunisien remonte au tout début du XXème siècle. Ainsi lorsque nos parents arrivaient et s’installaient ils ne savaient pas qu’un mouvement réformiste prenait naissance parmi les milieux des jeunes intellectuels tunisiens. Dès lors et jusqu’au 31 juillet 1954 journée au cours de laquelle le Président du Conseil français, Pierre Mendes France signe en Tunisie la reconnaissance de l’autonomie interne, le mouvement national tunisien et les autorités coloniales connaîtront de très nombreuses crises plus ou moins violentes.

L’une de ces crises oppose en 1911, le courant nationaliste et la communauté italienne, c’est l’affaire du Djellaz (le plus grand cimetière de Tunis presque exclusivement musulman). La municipalité de Tunis annonce unilatéralement que les tombes et le terrain autour sera vendu aux propriétaires. La population tunisoise plutôt modeste et désargentée s’en émeut, remontée par la propagande des jeunes nationalistes. La municipalité devant le courant de protestation qui s’élève renonce à son projet, volontairement ou par malveillance la population n’en est pas informée.

Elle se rend en manifestant au cimetière trouve porte close et des forces de l’ordre en armes qui en garde l’accès. Celles-ci sont prises à partie et reçoivent quelques cailloux lorsqu’un coup de feu claque, d’un immeuble voisin. Le coup de feu a été tiré par un Italien, un enfant de 12 ans est tué. Aussitôt les manifestants s’en prennent aux Italiens, la troupe est appelée mais le soir on déplore une dizaine de morts parmi les forces de l’ordre et 12 morts civils presque exclusivement Italiens.

Un procès fleuve s’ouvre et se termine par la condamnation à mort et l’exécution de sept activistes tunisiens. Cet évènement met en éveil le gouvernement français et la Résidence, un climat de suspicion s’instaure, le pays vit en état d’urgence, la presse anticolonialiste est interdite, les leaders réels ou supposés du mouvement protestataire sont mis sous surveillance. Cependant le mouvement continue d’exister, après la première guerre mondiale une nouvelle génération prépare la naissance d’un nouveau parti : le Destour (le mot est sans doute d’origine turque car on ne le retrouve ni dans le coran ni dans la littérature pré-islamique).

Le Destour est créé en 1920 et ses responsables présentent leurs doléances au Bey qui les accepte, et leur permet de s’administrer de manière autonome. Un jeune avocat de 29 ans, Habib Bouguiba fonde en 1932 un journal : l’Action Tunisienne. A partir de cette période l’histoire de la Tunisie se confond avec celle de cet homme. Outre l’indépendance Bourguiba prône un état laïque, après plusieurs tentatives de médiation de la part de hauts dignitaires, le parti se scinde en deux, une branche islamisante le Destour et une branche moderne et laïque le Néo-Destour ; cette dernière finit par triompher et s’organise en parti moderne et structuré sur le modèle des partis socialistes européens, et revendique le droit de transformer la société.

Après l’échec de négociations avec le gouvernement du Front Populaire en 1937, des incidents sanglants éclatent, et les émeutes sont sévèrement réprimées. Le Néo-Destour entre, pour longtemps, dans la clandestinité. Le gouvernement de Vichy livre Bourguiba à l’Italie à la demande de Mussolini qui espère l’utiliser pour affaiblir la résistance française. Mais Bourguiba au risque de sa vie lance le 8 août 1942 un appel de soutien aux troupes alliées. (au moment où il lance son appel, l’issue de la bataille est incertaine, mais il est visionnaire ; plus tard cette position courageuse servira ses intérêts car dans son conflit avec la France, il bénéficiera des soutiens américains.)

Les pourparlers engagés avec le gouvernement français, en 1950, échouent même si Robert Schuman évoque une indépendance en plusieurs étapes. Un an après des troubles nationalistes conduisent le nouveau résident Jean de Hauteclocque à arrêter tout l’état major du Néo-Destour, Bourguiba en tête. L’assassinat du syndicaliste Farhat Hached, par une organisation colonialiste extrêmiste, ‘La Main Rouge’ précipite la Tunisie dans le chaos.

Les deux années 1953 et 1954, sont marquées par des attaques ciblées et des attentats terroristes à la bombe qui feront des dizaines de victimes. Le gouvernement français répond en envoyant 70 000 soldats. Mais en 1954 sous l’impulsion de Pierre Mendes France la France choisit l’apaisement et concède l’autonomie interne. L’indépendance est solennellement proclamée le 20 mars 1956. Les élections qui suivent donnent au Néo-Destour, tous les sièges de l’assemblée constituante, Bourguiba est porté à la tête du gouvernement. Moins de quatre mois après, le Bey est destitué et la monarchie abolie.

Les évolutions et les transformations sont si rapides que les populations sont totalement prises au dépourvu par les évènements. Le gouvernement tunisien fait preuve de modération ce qui semble donner un peu de temps à la communauté européenne pour s’organiser. Pourtant très vite l’administration française retire ses fonctionnaires qui constituent une partie non négligeable de la communauté française.

Aussitôt maisons, commerces, entreprises perdent presque totalement leur valeur, un affolement s’empare des européens. Le difficile problème de la nationalité réapparaît, tous les jeunes nés dans les familles italiennes ont fréquenté les écoles françaises depuis 12 ans, ils sont français par décret, leurs parents connaissent depuis la fin de la guerre la francisation à marche forcée ; se pose alors pour chaque famille le dilemme du choix du pays d’accueil.

L’Italie ne montre guère d’enthousiasme à accueillir ce flux de population pour l’essentiel d’origine sicilienne, alors que l’Italie subit un exode massif des populations du sud, pauvres et sans emploi en direction du nord riche et en plein développement industriel. Les problèmes de logement, de choc culturel, d’’assimilation et même de cohabitation sont tels que le gouvernement italien reste sourd à la détresse des Italiens de Tunisie.

Dès lors la France va assumer en très grande partie, l’effort de décolonisation non seulement des ressortissants français mais également des ressortissants italiens dont la famille est en partie française par les enfants. La France fait son entrée dans les ‘trente glorieuses’ elle n’a aucun problème d’emploi, au contraire elle est en recherche de main d’œuvre, c’est la chance de la communauté italienne qui trouve ainsi refuge dans ce nouveau pays dont elle n’est pas issue mais qui ne lui est pas culturellement étranger. (La seule vraie difficulté réside dans le manque cruel de logements.)
L’intégration des familles de Tunisie s’est faite dans le calme, sans troubles et pour l’essentiel, aux yeux du peuple français sans douleur.

Quelques années plus tard, l’indépendance de l’Algérie et l’exode des français d’Algérie sera un problème nettement plus difficile à résoudre par le caractère massif de population dix fois supérieure à celle de la Tunisie, les rapatriés d’Algérie sont tous citoyens français munis des mêmes droits que les Français de métropole et même dans certains cas, prioritaires pour l’obtention d’un emploi ou d’un logement. Leur arrivée fut beaucoup plus chaotique.

Pour notre famille comme pendant la guerre (39-45) les évènements conduisant à l’indépendance se sont produits sans réaction apparente, en spectateurs passifs ils ont vécu ces instants en essayant de préserver leur vie et leur travail. Mais la vague de naturalisation conduit une bonne partie d’entre elle à sauter le pas, des fils de Biagio Gurrieri encore vivants seul Paulino est encore Italien, mais comme bon nombre de ses compatriotes il choisit la France pour poursuivre son aventure humaine.

Bien que cette période affecte le moral de chacun, les dernières années tunisiennes de la famille Gurrieri ne sont ni tristes ni moroses, elle plonge dans une sorte de fatalisme, emprunté à la culture orientale ; l’instinct de vie qui s’empare des hommes prend toujours le dessus, et jusqu’au départ définitif les classiques tablées se répètent dans une insouciance trop visible pour qu’elle soit feinte.

En 1961, à la suite du dernier soubresaut des évènements ayant conduit à l’indépendance, la Tunisie étend sa souveraineté sur la base aéronavale de Bizerte, qui servait de base arrière aux troupes Françaises d’Algérie. La France est sur le point de mettre un terme à son passé colonial.

Paulino, le dernier représentant en Tunisie, de la famille Gurrieri rejoint la France. La Sicile n’a pas pu ou n’a pas voulu reconnaître ses enfants d’Afrique.

La boucle est bouclée, l’aventure tunisienne de Biaggio et de ses descendants est terminée.


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