Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
22 juin 2012, 15:07
hebergeur d'image



Lorsque les Européens débarquent en nombre à partir de 1860, ils découvrent une ville enserrée dans ses remparts avec 23 portes d’accès dont on a conservé les plus importantes.

A l’est et au sud une immense plaine insalubre et humide rejoint le lac Bahira, étendue d’eau salée créée par un triple tombolo. Les historiens et les géologues se perdent en conjectures, mais tout porte à croire que ce site est absolument naturel et non façonné par la main de l’homme ; même si plus tard l’homme a tenté de le réaménager.

C’est sur cette plaine insalubre que Français et Italiens vont bâtir une ville de type européen avec de larges avenues et boulevards à l’image, en réduction bien sûr, du Paris d’Haussmann. Le contraste entre ville européenne et ville arabe est saisissant. En l’an 1900, Tunis est un immense chantier ; pour permettre les échanges entre médina et la nouvelle ville les remparts sont progressivement abattus.

Contraste aussi entre peuplement des Italiens qui investissent dès leur arrivée les habitations disponibles dans la médina et peuplement des Français qui s’installent petit à petit dans les nouveaux quartiers. Cette différence tendra plus tard à s’estomper au fur et à mesure que la ville s’étendra.

La vieille ville étant saturée, les siciliens de Tunis vont créer, cependant, un quartier ‘la petite Sicile’ voici l’histoire de ce quartier telle que nous la relate Paul Sebag dans son livre ‘Tunis : histoire d’une ville’. « A la veille du protectorat une dame de la bourgeoisie italienne Gnecco par sa naissance, Fasciotti par son mariage avait obtenu du bey régnant, à titre gracieux, la propriété d’un terrain quasiment insalubre sur les rives du lac de Tunis.

Cette dame, fort avisée, eut l’idée d’agrandir sa propriété, en offrant deux caroubes soit le huitième d’une piastre (unité monétaire adoptée par plusieurs pays et qui avait cours dans l’empire ottoman), à chaque arabatier (charretier) qui viendrait déverser une tonne de gravats sur les rives du lac.

Certains se souvenaient avoir vu la dame assise sur un pliant, versant leur du à ceux qui lui permettaient de gagner des terres sur le lac. Sa propriété finit par atteindre les dix hectares. A l’instauration du Protectorat, le prix du terrain monta en flèche. Plutôt que de vendre la dame morcela puis loua le terrain aux nouveaux immigrants siciliens, leur permettant de bâtir une maison légère à condition de la démolir à la fin du bail.

Ainsi fut créé ce quartier de Tunis où se massèrent les familles les plus modestes. La municipalité de Tunis se trouva dans l’obligation de tracer des réseaux de rues et d’égouts. Les rues reçurent les noms de Palerme, Syracuse, Messine et Trapani. Ils bâtirent une église : Saint Joseph.

Une fois tout l’espace occupé, les Italiens tentèrent leur chance plus loin et créèrent ‘la Petite Calabre’ moins étendue et moins animée.

Autre particularité de cette ville de Tunis de ce début de siècle, chaque communauté crée son quartier ; ainsi les maltais comme les Italiens s’installent aux confins de la vieille ville et de la ville moderne tout au long d’une artère appelée ‘rue des Maltais’ et dans un périmètre appelé ‘Malta Srira’ (petite Malte)

La médina, l’habitat naturel des tunisiens (musulmans et juifs), là où aboutirent les premiers immigrants siciliens fut construite sur un ensemble de collines descendant progressivement vers le lac. Les premières constructions datent du VIIIème siècle autour de la mosquée Zitouna (l’une des plus réputées et des plus anciennes du monde arabe) construite en 732 (la même année que la bataille de Poitiers).

L’articulation des espaces n’est pas aléatoire, elle obéit à la codification complexe des rapports humains : architecture domestique (palais et maisons), officielle (administrations, bibliothèques), religieuse (mosquées, médersas), de service et de commerce (fondouks, souks). La ville s’ouvrait sur l’extérieur par plusieurs portes (bab), la plus ancienne est Bab Al Jazira la plus belle Bab El Bahr (appelée porte de France sous le protectorat) qui s’ouvre sur les fondouks (sortes de caravansérail), où se massaient les ouvriers siciliens.

C’est non loin de là qu’habitèrent Biagio et Suzza puis Suzza toute seule. C’est aussi de là que partaient les souks véritable réseau de ruelles couvertes et bordées de boutiques de commerçants et d’artisans.

La notion de propriété est vague et ambiguë car les étalages des marchands débordent très largement sur la voie publique. Il existe une hiérarchie codifiée des métiers, près de la grande mosquée (La Zitouna), les métiers propres, qui ne suscitent ni bruit, ni odeur, et ne font pas appel à l’usage de l’eau ; chaque corporation a son propre souk, on dénombre plus d’une trentaine de souks.


hebergeur d'image
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
24 juin 2012, 07:32
hebergeur d'image


Le souk El Kmach des marchands d’étoffes, le souk Ech-Chaouachya des fabricants de chéchias, (dont la corporation est la plus ancienne du pays : selon les historiens sa fabrication remonte au IXème siècle ; la chéchia est le couvre-chef national), de parfums (souk El Attarine), , de la broderie et de la bijouterie : souk El Birka (le seul dont on ferme les portes la nuit) ; de marchands de tapis (souk El Leffa) à la périphérie sont relégués les tanneurs, les teinturiers, les selliers (souk Es-Sallaghine), les potiers les forgerons, les ferblantiers et les dinandiers (souk En Nahs) les fabricants de babouches, les poissonniers et les bouchers (souk El Blat) .

Le souk El Grana (vente d’étoffes et confection de vêtements) est occupé par les juifs livournais arrivés depuis le XVIème siècle (‘granas’ c’est ainsi qu’on nomme les juifs venus d’Italie).

L’œil distrait, intéressé ou saturé du touriste contemporain découvre ces lieux avec détachement, il fait sa provision d’exotisme ; il ne peut imaginer qu’une foule colorée, cosmopolite, appliquée et laborieuse a fréquenté ces lieux, La ville arabe et les souks sont tels que nos parents les ont connus c’est pourquoi ils gardent intactes les marques de leur passage.

Nos parents vivaient modestement en Sicile, les familles parvenaient à se nourrir convenablement, mais sans excès ni folies et si la cuisine sicilienne est en général riche et variée, le repas était frugal. Lorsqu’ils débarquèrent à Tunis, ils purent s’apercevoir que la Tunisie regorgeait de la plupart des légumes et des fruits qu’ils consommaient chez eux. Tout au plus ont-ils introduit deux ou trois légumes qu’ils consommaient en abondance : ’ cucuzze longhe e tenerume’ (plante de courges vertes et longues), ‘broccoli’ (choux fleur), pour l’essentiel la végétation tunisienne était proche de celle qu’ils avaient chez eux. Ils développèrent en revanche certains fruits comme les ‘ficurigna’ (figues de barbarie) qui en réalité s’écrit ‘ficu d’Innia’, litéralement figue d’Inde (le d se prononçant r dans la région de Ragusa) ou encore ‘ficupala’ et s’étonnèrent de découvrir les grenades, pas très courantes en Sicile.

L’originalité de la Tunisie réside dans le fait que les influences des cuisines arabe, juive, sicilienne et française s’interpénétrèrent. Au bout de quelques années pâtes, couscous, frites et bien d’autres plats furent adoptées par les autres ethnies.

Le couscous est d’origine berbère mais il a été adopté par un grand nombre de pays du bassin méditerranéen. Il se décline en couscous arabe, couscous juif, couscous au poisson ; à cet égard, il convient de préciser que le couscous au poisson a connu ses lettres de noblesse tant en Tunisie dans la région de Djerba qu’en Sicile dans la région de Trapani, il se prépare essentiellement avec le mérou qui est un poisson endémique des côtes rocheuses méditerranéennes. Enfin le couscous sucré agrémenté de raisins secs, de grains de grenades ou de dattes.

Ces échanges culinaires firent qu’en très peu de temps, toutes ces cuisines qui sont toutes inspirées par les produits méditerranéens, donnèrent à cette mosaïque de peuples si divers par le langage, la religion, les mœurs et les coutumes, une unité étonnante.

Aujourd’hui l’accessibilité à petits prix des transports aériens et l’extraordinaire flux migratoire des peuples, des plus lointains aux plus proches, ont permis à nos concitoyens de connaître toutes les cuisines du monde ; pour peu que l’on souhaite faire provision d’exotisme, on se trouve transporté, le temps d’un repas, à l’autre bout du monde. Pour nos parents ce furent des découvertes de goûts, de saveurs, d’odeurs et de couleurs qui finirent par faire évoluer les habitudes alimentaires jusqu’à permettre à chacun de s’approprier avec brio la cuisine de l’autre.

Il n’en reste pas moins que chacune d’elle conserva son originalité et ses spécialités, à cet égard la cuisine juive prit le pas sur toutes les autres au point d’influencer encore aujourd’hui la cuisine populaire de France.

La cuisine juive tunisienne est l’une des plus raffinées et des plus abouties dans le monde. Mais si on veut rester sur les standards : la merguez, le couscous, les bricks tous originaires d’Afrique du Nord, tiennent une place de choix dans notre panthéon des mets venus d’ailleurs.

Un produit alimentaire en apparence inutile, pas vraiment nourrissant, difficile à consommer, bruyant quand il est mis en bouche, particulièrement gênant après consommation pour les déchets qu’il procure, mais absolument inoffensif pour la santé était particulièrement prisé : la ‘glibette’, il y avait la glibette blanche et la glibette noire (C’est la graine de la courge ou du tournesol, salée, cuite au four).

En Tunisie les ‘glibettes’ jouaient un rôle social de premier ordre, d’abord c’étaient une économie florissante pour ceux qui en assuraient la production et la préparation, c’était également le moyen pour les adolescents arabes d’en assurer la vente et de gagner ainsi quatre sous pour aider la famille, c’était aussi un formidable loisir familial, car du plus jeune au plus ancien, sans distinction d’origine, chacun avait son paquet de ‘glibettes’, les juifs particulièrement ; le vendredi soir juste à la veille du Shabbat lorsque le jour déclinait toute la famille se lançait dans un concert ininterrompu de bruit de ‘glibettes’ (car les coques sèches des glibettes font un bruit très caractéristique quand on les ouvre).

Lorsque d’aventure dans les familles on jouait aux cartes, l’enjeu devenait très vite l’achat des ‘glibettes’ à la charge des perdants.


hebergeur d'image
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
25 juin 2012, 14:32
hebergeur d'image






Les petites vieilles assises sur le pas de la porte, à la fraîche consommaient leurs ‘glibettes’ et si allant au cinéma on avait le très grand malheur d’être assis non loin de mangeurs de ‘glibettes’ le bruit était tel qu’on pouvait faire son deuil du son du film.

Il ne restait plus aux exploitants du cinéma qu’à balayer, le lendemain, l’énorme tas de coques vides. On achetait les ‘glibettes’ dans un cornet en papier journal réalisé par le vendeur, tout était approximatif : le prix, la qualité, la quantité, mais personne ne se décourageait pour autant de se procurer son petit sachet.

Le lecteur non averti doit s’imaginer que les habitants de ce pays, pour se livrer à cette pratique curieuse, en groupe et sans distinction d’âge ou de niveau social, doivent être des simples d’esprit, pourtant à y regarder de près il s’agit plutôt d’une pratique spécifiquement tunisienne ; un véritable phénomène social.

Fait extrêmement piquant ; des biochimistes américains ont découvert récemment que les substances contenues dans les ‘glibettes’ venaient à bout du cholestérol le plus tenace. Je n’ose imaginer la progression de la consommation si nos ancêtres avaient reçu une telle information, mais je me demande si à cette époque on fabriquait du cholestérol.

Une autre vedette de la cuisine intercommunautaire tunisienne connaît très vite un développement transversal : le ftaïr (au pluriel ftaïri). Comme pour les ’glibettes’, le ‘ftaïr’ qui est un beignet tunisien franchit les frontières des communautés, et s’installe au centre de l’adhésion populaire.

Le ‘ftaïr’ a la particularité de désigner indifféremment l’objet et celui qui le façonne. Toutes les sources historiques font remonter le ‘ftaïr’ au moyen âge ; déjà au moyen âge le matin au lever du jour le ‘ftaïr’ (l’homme), pétrit sa pâte, une pâte molle qui colle aux doigts si on ne les mouille pas ; puis assis en tailleur devant une immense bassine remplie d’huile bouillante, il répète inlassablement les mêmes mouvements ; la réussite du beignet qui ressemble à une fine galette de 20 cm de diamètre, beaucoup plus épaisse qu’une crêpe, dépend du geste de rotation imprimé à la pâte.

Les Siciliens qui avaient dans leur tradition culinaire la confection des beignets ‘li sfinci’ (petites boules de pâte frite) adoptèrent les ‘ftaïri’, sauf que pour manger un bon beignet il fallait se rendre dans l’échope enfumée dont s’exhalait l’âcre odeur de l’huile, personne ne confectionnait de ‘ftaïr’ à la maison.

Le ‘ftaïr’ (le beignet) avait un petit frère le ‘bambalouni’ sorte de boyau circulaire que l’on sucre abondamment une fois sorti de la friture ; petite variante cependant : le ‘bambalouni’ était préparé avec une moitié de farine et une moitié de purée de pomme de terre.

Ces denrées simples, faciles à réaliser, n’ayant pas une saveur très raffinée, peu chères, ont constitué un facteur d’intégration évident non seulement pour les différentes communautés mais aussi pour les différents niveaux sociaux.

Quel habitant de la Tunisie riche ou pauvre, français, italien, maltais, russe (il y en avait aussi), juif ou musulman n’a jamais mangé de ‘glibettes’ ou de ‘ftaïr’ ?

Ma distinction des communautés peut paraître étrange, car elle mélange nationalités et religions, mais cette classification est celle qui paraissait normale aux yeux des habitants, et c’est celle qui figure sur les registres officiels de l’époque.

Ainsi j’ai relevé dans le cahier d’inscription historique de l’école de Oum Souk à Djerba, pour l’année 1906 : Français. Italiens, Maltais, juifs, indigènes (ce qui désignait les musulmans tunisiens) au Lycée Carnot de Tunis pour l’année, 1912 la classification est la suivante : français, musulmans, israélites, maltais, italiens, grecs (en fait on désigne par ce terme, indifféremment tous les orthodoxes qui se rendent dans une église orthodoxe grecque).

Pourtant les différences entre communautés, existent bel et bien notamment à propos des mariages. Il y a très peu de mariages mixtes.
Les mariages mixtes les plus courants sont ceux pratiqués au sein de la religion chrétienne. Autant dire que seuls les mariages entre français, italiens, maltais et russes (à un degré moindre) se pratiquaient, et encore, à très petite échelle.

Les mariages entre chrétiens et juifs, chrétiens et musulmans étaient rarissimes, les mariages entre juifs et musulmans étaient proscrits.






hebergeur d'image
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
26 juin 2012, 15:13
hebergeur d'image


CHAPITRE 4
L’ASCENSION DE VANNINO

Lorsque son père, quitte la Tunisie, Vanino entre dans sa vingtième année, il a entrepris et réalisé des études sérieuses, et il a pris ses distances avec le cadre familial qu’il a connu depuis l’âge de huit ans.

Ses relations avec Suzza n’ayant jamais été bonnes il a eu d’autant moins de mal à prendre une totale indépendance avec la mère de ses frères. Mais il a gardé à leur égard un ascendant et une sensibilité de grand frère dont il ne s’est jamais départi, les frères acceptèrent volontiers l’autorité du grand frère et lui témoignèrent, en tout cas dans cette période de perte du repère masculin qu’est le père, respect, confiance et affection.

Vannino a fréquenté l’école italienne, il y a acquis une solide formation. C’est muni de ces outils qu’il aborde la vie professionnelle. Son itinéraire ne ressemble pas tout à fait à celui des autres immigrés venus de Sicile, il connait une ascension proportionnelle au développement naissant de Tunis.

Au fur et à mesure que les projets d’aménagement se multiplient et se concrétisent, Vannino s’installe dans une vie d’entrepreneur en maçonnerie et en travaux publics, reconnue et réputée.

Historiquement Tunis (Tunes pour les premiers musulmans qui vont façonner la ville arabe : étymologiquement, l’endroit où l’on peut se reposer) vit dans l’ombre de Carthage jusqu’au moyen-âge. C’est en 1159 (année 554 du calendrier musulman) que Tunis devient la capitale du territoire qui comprend outre la Tunisie actuelle, la Lybie c’est ce qu’on appelle l’Ifriquiya, puis sera confirmée en 1228 et beaucoup plus tard le 20 mars 1956 jour de l’indépendance.

Au début du XXème siècle, la ville n’est pas très éloignée de celle du XVIIème siècle, elle est construite sur un ensemble de collines qui descendent en pente douce vers le lac de Tunis à l’est et qui donnent sur une zone lagunaire au nord la ’sebkha’ de l’Ariana, au sud la ‘sebkha’ Séjoumi. Une fois l’arabisation et l’islamisation accomplie dès le VIIème siècle, Tunis va connaître d’incessants faits de guerre de la part des différentes factions islamiques, sa position stratégique constitue un enjeu permanent, ce qui explique la construction d’une Kasbah (quartier fortifié)

Nos parents trouvent donc à leur arrivée une ville arabe avec un début de construction sur les zones les moins insalubres. Il y a un problème d’approvisionnement en eau. La Carthage phénicienne avait résolu le problème de l’eau en construisant pour chaque maison de profondes citernes et en utilisant la nappe d’eau douce qui se trouvait dans son sous sol.

La ville était d’ailleurs ornée de fontaines dont la monumentale ‘fontaine aux mille amphores’ découverte récemment. Les romains construisirent au IIème siècle ap JC (sous l’empire d’Hadrien) un aqueduc qui reliait le Djebel Zaghouan à Carthage sur près de 132 kilomètres (l’aqueduc de Carthage), il serpentait le long de l’oued Miliane donnant au lieu un petit air de campagne romaine. L’eau coulait abondamment ce qui permit de créer les plus grands thermes de l’empire romain (les thermes d’Antonin).

Plusieurs fois abandonné notamment après le passage des vandales puis des arabes il fut néanmoins restauré pour alimenter Tunis en eau potable sous l’impulsion du Consul de France en 1852. Dès le début du protectorat il fut abandonné et remplacé par des conduites métalliques.

Le problème de l’eau résolu, il fallait désenclaver Tunis.

Le projet le plus ambitieux est de créer à Tunis un port maritime et de relier Tunis à la pleine mer. Dès la conquête arabe un premier chenal est créé il relie le lac à la mer à Rades sur une très courte distance. Le témoignage de la réalisation de ces travaux qui datent de l’an 700 est rapporté par le géographe ethnologue El Behri en 1068.

Mais c’est en 1888 que les autorités françaises décident le percement d’un chenal de 9 km de long de 40 mètres de large et de 6.5 mètres de profondeur qui relie Tunis à la Goulette, c’est la Société de Construction de Batignolles qui en est chargée.

Les matériaux d’excavation sont utilisés pour consolider les deux berges et permettent la création d’une digue, sur laquelle on va ouvrir une voie de chemin de fer et réaliser bien des années plus tard une route. Le Port de Tunis est désormais créé Pour désenclaver Tunis les autorités se donnent un autre objectif important, développer le transport ferroviaire.

En fait un embryon de ligne avait été créé entre 1870 et 1880 reliant la Goulette au Kram sur 5 kilomètres environ, puis un tronçon Tunis la Goulette après le percement du chenal ; mais c’est en 1905 qu’est inauguré le TGM (Tunis-Goulette-Marsa), il est long de 19 kilomètres, et son importance est de premier ordre.

D’abord utilisant la traction vapeur il adoptera très vite la traction électrique lorsque la centrale de la Goulette doublera sa capacité.

Vannino commence sa vie professionnelle comme ‘scalpellino’, il veut exercer le même métier que son père ; il apprend le métier. La profession est organisée en corporation, mais en ce début de vingtième siècle, les ‘scalpellini’ ne sont pas très instruits, ils ont commencé à travailler très jeunes, la plupart n’ont pas suivi d’études et parfois ne sont même pas allés à l’école. Vannino est dans ce monde, un cas particulier ; avoir fréquenté l’école jusqu’à l’adolescence est peu commun ; très vite il est repéré, il apprend à lire un plan, il peut même dessiner des schémas, il saute vite dans la catégorie de ceux qui peuvent interpréter la conception d’un ouvrage et le voilà propulsé chef d’une petite équipe de maçons et ‘scalpellini’.


hebergeur d'image
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
27 juin 2012, 15:36
hebergeur d'image


Cette première ascension s’accompagne dans sa vie privée d’un évènement considérable. On a relaté l’arrivée de Biagio et son fils Vannino à Tunis, on a aussi raconté les circonstances dans lesquelles Biagio abandonna femme et enfants pour repartir en Sicile sans plus donner de nouvelles. On a aussi assisté au délitement de la famille.

Toutefois, Vannino bien qu’étant opposé à sa belle mère, n’a jamais rompu les liens avec la famille Caruso. Luciano avait deux sœurs l’une Suzza qui avait vécu avec Biagio et lui avait donné trois fils, la seconde s’appelait Palma, en ‘Cumissaro’ on disait Parma (la différence de prononciation est un artifice de langage). Parma était une veuve, mère de cinq enfants.

On ne sait comment les choses se passèrent, car on ne sait jamais jusqu’où le diable peut aller se nicher, mais l’aventure qui se noua entre Parma et Vannino prit une tournure très inattendue puisque Parma tomba enceinte et donna naissance à un garçon qui se prénomma Eugenio. La très grande différence d’âge d’une part et le verrouillage des mœurs et des conventions dans la société sicilienne d’autre part en firent un évènement considérable. Pour sauver les apparences, Vannino épousa l’une des filles de Parma, Concettina, laissant entendre que l’enfant était d’elle.

Ainsi fut scellé ‘notre’ troisième secret de famille. Un secret si bien gardé que pendant près de soixante ans la plupart des membres de la famille n’en ont rien su, et ceux qui savaient ont fini par l’effacer de leur mémoire.

Annoncer en avant propos que notre famille a été dépositaire d’un destin peu ordinaire, pouvait passer pour prétentieux ; les évènements des quinze années qui vont de 1895 à 1910 sont pour l’époque complètement surréalistes.

Alors commence pour Vannino une nouvelle vie, père d’un enfant, lié à une mère et sa fille il décide de prendre à sa charge la famille de Parma dont le nom d’épouse était Villadoro. Désormais sa vie privée et familiale sera toute entière consacrée à la subsistance et l’existence de la nouvelle famille (au sens large) ainsi créée.

Pendant ce temps sa situation professionnelle évolue très favorablement. Il devient le conseiller et le bras droit d’un très grand entrepreneur de travaux publics d’origine corse : l’entreprise Pérotti est connue et respectée elle joue un rôle important dans la construction de la ville nouvelle, les voiries, les réseaux, les adductions d’eau tout est à faire.

Vannino maîtrise désormais la conduite des travaux. Mais M Pérotti est âgé, il a un seul fils qui n’est pas en mesure de prendre la relève, tout naturellement, il demande à Vannino de poursuivre son action il pourra l’aider : l’un pourvoyant aux financements, l’autre apportant savoir, volonté et esprit d’entreprise et c’est ainsi que des ouvrages majeurs furent réalisés.

Pour comprendre la réalisation de la ville nouvelle, il faut revenir à la configuration géographique de Tunis. Tunis a été construite par les arabes et les ottomans de telle sorte que la ville s’élève progressivement sur l’une des collines pour permettre la création d’une place forte (la kasbah), promontoire à partir duquel il était possible de prévenir d’éventuelles attaques. Tunis compte d’autres collines dont l’une d’elle devint sous le protectorat un vaste et merveilleux jardin : ‘le belvédère’.

De part et d’autre de ces collines orientées nord-ouest sud-est s’étendaient des zones lagunaires à l’est en direction du lac de Tunis à l’ouest vers la sebkha Ariana au sud vers la Sebkha El Sejoumi (sebkha : zone lagunaire asséchée).

La ville nouvelle va se construire sur tous ces territoires asséchés et assainis connus auparavant pour la prolifération des moustiques et exhalant l’été des odeurs nauséabondes. D’abord en direction du lac de Tunis par la réalisation de deux grandes artères structurantes l’avenue Jules Ferry qui emprunte l’ancienne esplanade de la Marine ; perpendiculaire à cette voie, l’avenue de Paris côté nord et l’avenue de Carthage dans le prolongement côté sud, enfin parallèle à l’avenue de Carthage et perpendiculaire à l’avenue Jules Ferry l’avenue Gambetta qui se prolonge tout au long du lac.

Le long de l’avenue Jules Ferry seront construits ou restaurés la Résidence 1890-1892 (aujourd’hui l’ambassade de France), la cathédrale St Vincent de Paul (vendu comme esclave au bey de Tunis au début du 17ème siècle) 1893-1897, enfin le théâtre municipal de style ‘Art Nouveau’ réalisé par l’architecte Jean-Emile Resplandy en 1902 dans sa première version et restauré en 1911 dans sa version 1350 sièges.

A ces constructions, il faut ajouter d’autres réalisations parfois plus anciennes parfois plus modernes mais tout aussi prestigieuses : le Lycée Carnot réalisé sur le modèle des grands lycées français à partir de 1882 et terminé en 1894, les hôpitaux, français Charles Nicolle en 1897 (directeur de l’institut Pasteur de Tunis) dans le quartier Bab Saadoun et italien Giuseppe Garibaldi en 1899 sur la colline de Montfleury, la gare ferroviaire fin du 19ème siècle.

Tout un réseau de voies tirées au cordeau tantôt parallèles, tantôt perpendiculaires aux deux grandes avenues complète le maillage urbain, au nord la ville s’étend jusqu’au ‘bevédère’, au nord-est elle s’étend jusqu’au Borgel, derrière les collines ce sont les quartiers de l’Ariana, de Monfleury et de la Manouba (où se trouve l’hôpital psychiatrique). Avec cette urbanisation la ville arabe est désormais entourée de tous ces nouveaux quartiers.


hebergeur d'image
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
28 juin 2012, 15:15
hebergeur d'image


Vannino est appelé à évaluer les conditions de réalisation d’un pont au dessus des voies de chemin de fer qui traversent l’avenue de Carthage, après réflexion il se prononce pour la faisabilité du projet, toutefois ne disposant pas de finances il est sur le point de décliner l’offre lorsque l’ingénieur en chef des travaux et l’ingénieur des ponts et chaussées directement liés à la Résidence lui proposent le préfinancement du projet.

Il crée sa propre entreprise et réalise l’ouvrage. Sa réputation ainsi que sa fortune sont faites, désormais il va pouvoir entreprendre des travaux de grande ampleur.

Le cimetière du Borgel est le grand cimetière de Tunis appelé aussi ‘Beth a Haïm’ (maison des vivants), il est créé en 1894 et inauguré par le Grand Rabin de Tunis Elie Borgel.

L’importance de la communauté juive évaluée à 100 000 personnes tant ‘tounsia’ (tunisienne) que ‘grana’ (livournaise) nécessite une telle réalisation. En 1926 la décision est prise d’adjoindre au cimetière juif un cimetière chrétien, l’inauguration a lieu en 1927. Dès lors tout naturellement autour de cet espace, un nouveau quartier va naître.

L’entreprise de Vaninno est choisie pour créer les réseaux et les voies. Il fait entre autre appel à ses frères, son ami Biaggio Bascetto et un certain nombre de ‘scarpellini’ ‘cumissari’. Dans ce vaste espace les terrains ne sont très chers, il en achète un sur lequel il fait construire une villa dans laquelle il loge la famille de Palma et la famille de son frère Paulino. La vie dans la maison du Borgel est assez heureuse, c’est un univers de femmes, on rit, on chante, on danse parfois.

Les grands travaux du quartier se terminent dans les années 1930. Peu de temps après Vannino est engagé pour entreprendre la liaison routière depuis La Goulette jusqu’à Carthage. Une fois encore il découvre un terrain entre Khéréddine et le Kram ; il va pouvoir exhaucer un rêve : construire sa maison au bord de la mer.

Avec la réalisation de ces ouvrages : adduction d’eau, égout, route il clôturera sa dernière grande œuvre. La crise financière de 1929 produit ses effets jusqu’en 1936, peu de temps après des bruits de bottes se font entendre dans toute l’Europe, le danger menace, le rythme du développement se ralentit, désormais il faudra compter avec les évènements politiques.

CHAPITRE 5

LE TEMPS DE GUERRE

La colonisation française en Afrique du Nord a été concurrencée à l’ouest (Maroc) et au centre (Algérie) par la colonisation espagnole, à l’est (Tunisie) par la colonisation italienne.

Alors que la présence française est surtout liée à l’aventure coloniale (plus stratégique en Tunisie), les immigrations espagnoles et italiennes sont liées à des facteurs strictement économiques.

Chassés par la misère et les conditions économiques déplorables, Les Siciliens se portent en Tunisie d’un mouvement spontané et naturel. Il n’y a aucun plan du gouvernement italien. Que l’Italie se soit senti humiliée de la ‘gifle’ (en italien : schiaffo di Tunisi, entraînant la démission de Benedetto Cairoli le Premier Ministre de l’époque) que lui inflige la France en occupant militairement la Tunisie et en signant un traité de protectorat avec le Bey en 1881 (traité du Bardo), cela ne fait aucun doute.

Pourtant l’expédition militaire française n’a pas comme seule motivation d’occuper un nouveau territoire ou de damer le pion à un concurrent européen, il s’agit avant tout d’empêcher les incursions-razzias qui du sud de l’Algérie viennent perturber l’installation des colons français (en Tunisie le mot colon désigne le propriétaire d’un vaste domaine agricole).

Ces escarmouches sont l’œuvre de nomades qui remontent du sud et des ‘Kroumirs’ qui vivent dans une zone montagneuse de la Tunisie appelée la Kroumirie.

Il convient de préciser que depuis les débuts de la colonisation en Algérie, la France est en conflit armé avec des tribus nomades et Touareg qui lui disputent de vastes territoires. Ces actions militaires ont pris le nom de ‘pacification’

La France comprend très vite que la colonisation française en Tunisie ne peut réussir sans l’apport considérable de la communauté italienne. Tous les historiens s’accordent à dire que tous les dénombrements de population établissent un rapport très favorable en faveur des Italiens (à la fin du XIXème siècle, on compte 85 000 Italiens pour 5000 Français).

Le classement des immigrants italiens par profession fait apparaître une très forte majorité de manœuvres et d’ouvriers dans tous les domaines près de 75%, les agriculteurs (surtout viticulteurs) ne représentent que 8%, alors que les commerçants sont 11%, les 6% restants se partageant dans des professions plus valorisantes : avocats, médecins ou employés.

Quand on parle de la colonie italienne en Tunisie, il ne faut pas négliger les juifs livournais qui font partie intégrante de la communauté italienne. Leur histoire est longue à raconter elle est liée à celle des juifs chassés d’Espagne en 1492 par Isabelle La Catholique et Ferdinand d’Aragon par le décret de l’Alhambra.

Le sultan Bayezid II accueille les juifs dans l’empire ottoman, sauf une minorité qui trouve refuge en Toscane non loin de Pise et de Florence, à Livourne. Les mouvements des juifs livournais en direction de la Tunisie commencèrent bien avant l’immigration sicilienne.

Les juifs livournais (les ‘grana’), se mélangeaient peu avec la communauté des juifs autochtones (les twansa ou tounsia), et leur nombre reste marginal. Mais ils constituent une élite économique et culturelle (médecins, avocats, enseignants) très influente dans la communauté italienne, ils parlent le toscan et leurs patronymes rappellent leurs origines espagnoles et portugaises (Calo, Boccara, Lumbroso)


hebergeur d'image
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
06 juillet 2012, 09:01
hebergeur d'image



La guerre vint frapper la Tunisie par surprise, car la coexistence entre communautés était paisible, et rien ne laissait supposer que Français et Italiens puissent devenir des ennemis en important un conflit qui n’était pas le leur.

Mais la perte de nombreuses unités navales par la marine anglaise de méditerranée (Le porte-avion Ark Royal , les cuirassés Barham et Queen Elisabeth et des croiseurs York et Gloucester), justifièrent pour les alliés, le besoin de contrôler l’étroit canal qui séparait les bases italo-allemandes installées en Sicile d’où partait l’approvisionnement des troupes d’Afrique. La Tunisie devenait un territoire stratégique de première importance.

Les Italiens de Tunisie n’étaient guère politisés, venus pour la plupart de Sicile, exerçant surtout des métiers manuels, peu instruits, ils n’avaient aucune notion des attributs naturels qui fondent une démocratie moderne (associations, syndicats, partis politiques.) Leur souci principal était de nourrir la famille ; mais après tout, n’étaient-ils pas venus pour çà ?

C’est donc avec une grande naïveté qu’ils accueillirent la propagande exercée par l’Etat italien qui venait de connaître l’avènement de Mussolini. Il a été précisé plus haut qu’après le débarquement du corps expéditionnaire de 1881, la France souhaitant normaliser et apaiser ses rapports avec le voisin italien consentit par le traité de 1896 de reconnaître à la communauté italienne des droits considérables : conserver la nationalité italienne, voir s’ouvrir des écoles (18 au total), accepter une presse indépendante en langue italienne (principal journal ‘l’Unione’), voir se développer des associations culturelles, autoriser l’ouverture d’un hôpital italien (l’hôpital Garibadi à Halfaouine), et de la ‘Banca Italiana di Credito’.

Cette très grande autonomie de la communauté italienne donne des idées aux promoteurs de la politique d’agression et aiguise l’appétit des autorités italiennes.

Avec Mussolini, l’Italie se lance dans une aventure coloniale et se prend à rêver d’arracher la Tunisie à la France. Rêve de grandeur bien sûr, notamment reconquérir Carthage comme l’on fait les empereurs romains dans l’Antiquité.

Mais en arrière pensée il y a aussi la volonté de peupler la Libye voisine qu’il occupe militairement, avec une main-d’œuvre importante et qualifiée, tout de suite disponible : les Italiens de Tunisie. (La Tripolitaine a été occupée par l’Italie en 1911 et lui a été attribuée après la défaite et le partage de l’empire ottoman à la fin de la première guerre mondiale, toutefois elle est en révolte permanente ; Mussolini envoie des troupes en 1932, et en 1934 nomme un gouverneur militaire le général Italo Balbo).

C’est ainsi que le fascisme vient télescoper cette population laborieuse.

La propagande fasciste s’insinue puis se propage très vite parmi la population italienne et sicilienne. Les enfants d’italiens nés en Tunisie fréquentent les écoles italiennes, c’est donc là que l’on va commencer le travail de propagande.

Les cours d’instruction civique se transforment en discours et propos savamment distillés en faveur de la gloire mussolinienne. Puis on crée les mouvements de jeunesse, les démonstrations de gymnastique collective sur les stades, les poèmes qui exaltent la patrie, les chants patriotiques. On offre aux adolescents des séjours de colonies de vacances en Italie, tous terminés par une rencontre avec le Duce, parmi les jeunesses fascistes réunies par milliers ‘Piazza Venezia’ à Rome.

Ces moments d’exaltation ne peuvent laisser insensible une jeunesse qui a toujours vu en ses parents, des travailleurs modestes, attachés à leur dur labeur. En même temps les Italiens de Tunisie se prennent à rêver à une totale reconquête de leur dignité qu’ils ont le sentiment d’avoir perdu au fil des ans et au fur et à mesure que le peuplement français vient équilibrer la colonie italienne, et s’approprier les terres les plus fertiles et les négoces les plus lucratifs.

Ceci se traduit par un arrêt brutal des demandes de naturalisations des Italiens en direction de la France,, qui étaient régulières depuis 1920 même si elles restaient peu nombreuses.

Un hyper nationalisme italien se développe, les sources de conflit entre Français et Italiens se multiplient, et dans les familles italiennes, où l’un des membres a acquis la nationalité française, on se déchire à belles dents.

Mais contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il n’y a pas d’exactions entre communautés, chacun restant campé dans sa sphère. Seules les vexations fusent de part et d’autre, et la fierté d’appartenir à un camp est exprimée et exhibée.


Curieusement les juifs livournais, sans adhérer franchement au fascisme, se prennent à adopter un certain nationalisme qui les entraîne à se mêler aux manifestations ‘d’italianisme’ prononcé.
Nos parents, tout naturellement, sont devenus fascistes comme plus de 90% des Italiens de Tunisie, mais surtout n’allons pas leur demander d’exprimer une doctrine ou une orientation politique, ils n’en avaient pas, car ils ne savaient rien de la politique. Tout au plus, victimes de la propagande officielle, ils confiaient leur sentiment que Mussolini faisait du bien à son pays.

Les Siciliens de Tunisie étaient nationalistes sans aucun doute, fascistes ils l’étaient de fait, par adhésion à la parole du Duce, mais racistes sûrement pas, car ils ne se sont jamais livrés collectivement, à la moindre exaction à l’encontre de quiconque.
Les Italiens vont vivre la campagne de Tunisie appelée bataille de Tunisie en spectateurs passifs, résignés et préoccupés de leur survie.

Certes il y aura des échanges avec les militaires venus d’Italie mais pas à proprement parler de jonctions, d’enrôlement ou de mouvements significatifs en direction des troupes de ‘l’Axe’ (c’est ainsi que l’on nomme l’alliance italo-germanique).

La bataille proprement dite va durer environ sept mois, de novembre 1942 à mai 1943. Notre objectif n’est pas de la décrire dans le détail, historiquement on connaît aujourd’hui, parfaitement le déroulement des opérations Ce qui est moins connu c’est comment elle fut vécue de l’intérieur par la communauté italienne et par nos familles.

Il y a trois phases : la période qui précède la guerre et qui se traduit pas les éléments qui ont été déjà commentés, la période de guerre, et l’après guerre notamment après la signature de l’armistice de 1945.


hebergeur d'image
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
07 juillet 2012, 14:41
hebergeur d'image


Vannino qui voit ses activités s’arrêter, se réfugie dans sa maison de l’aéroport, la maison est sûre car éloignée du théâtre des opérations.

Il accueille comme à son habitude toute la famille Villadoro (nom du mari décédé de Parma), à laquelle vient s’ajouter la famille de Paulino, réfugiée pendant que les bombardements de Tunis font rage. Paulino essaie de braver le danger en se rendant à Tunis pour son travail.

Les risques sont réels car les bombardements des positions allemandes et italiennes comme des positions alliées n’épargnent pas la population civile. Les forteresses volantes américaines ciblent l’aéroport d’El Aouina et le port de La Goulette points stratégiques où sont cantonnés les systèmes de défense italo-allemands.

Pour ne pas s’exposer aux tirs de la DCA ennemie, ils lâchent leurs cargaisons de bombes à plus de 10 000 mètres d’altitude rendant leurs tirs imprécis et aléatoires. Que d’immeubles furent détruits et que de familles furent décimées au cours de ces tirs.

On a beaucoup de mal à évaluer le nombre exact des victimes civiles mais selon des estimations émanant de plusieurs sources on peut avancer sans risque de se tromper qu’elles se chiffrent à plus de sept cents tués et mille deux cents blessés dont un grand nombre de tunisiens musulmans, car la médina ne fut guère épargnée.

Les autres frères Turiddu et Pipino de leur côté essaient de trouver quelques chantiers. Mais tout le monde a beaucoup de mal à joindre les deux bouts. D’autant que la Résidence (c’est ainsi que l’on nomme le centre névralgique de l’administration française) vient de décréter le rationnement et a distribué des cartes de rationnement qui rendent l’approvisionnement de plus en plus difficile.

Le marché noir se développe. Et la population vit en quête d’alimentation. Quelques heureux dont un membre de la famille est paysan parviennent à se tirer d’affaire, mais ces quelques exemples ne doivent pas faire oublier que l’ensemble de la population tunisienne est entrée dans une phase de privations.

Paulino qui a conservé son emploi de coiffeur parvient grâce à ses différents contacts, notamment sa clientèle française à bénéficier de quelques approvisionnements parallèles qu’il partage avec la famille et notamment son frère Vannino.

Mais surtout la guerre va modifier sensiblement les rapports entre la communauté française désormais aussi importante que la communauté italienne. En novembre 1942 le sort de la bataille est incertain, les troupes germano-italiennes bénéficiant d’un bien meilleur approvisionnement (pour déjouer les avions de la RAF, les bateaux quittent la Sicile de nuit et parviennent en Tunisie au petit matin) prennent le dessus ou tout au moins maintiennent leurs positions.

Mais très vite la marine anglaise en imposant sa supériorité sur mer coupe l’approvisionnement ennemi, dès lors la bataille de Tunisie va très vite évoluer en faveur des alliés. En novembre 1942 Le général Anglais Montgomery remporte la bataille d’El Alamein (A l’ouest d’Alexandrie et proche de la Lybie).

Ce succès lui ouvre les portes de l’Afrique du Nord et de la Tunisie qui est l’objectif principal avant la campagne d’Italie. Après sept mois de combats acharnés livrés par les deux camps, les alliés remportent la victoire, ils font 250 000 prisonniers qui auraient été utiles sur le front européen.

Les pertes de part et d’autres sont lourdes : les américains, les anglais et à un degré moindre les français laissent sur le terrain 10 500 soldats, morts au combat, les allemands et les italiens quand à eux déplorent la perte de 8 500 soldats. La bataille de Tunisie fut acharnée sur le plan militaire. Elle va laisser des traces sur le plan politique et social.

Une précision d’importance, de 1939 à la fin de 1943, les autorités françaises de Tunisie ont du mal à choisir leur camp, le Résident Général qui est l’autorité suprême sous le protectorat obéit aux ordres du gouvernement de Vichy, si bien que pendant les opérations militaires de la campagne de Tunisie, les troupes françaises très peu nombreuses par rapport aux Anglais et aux Américains, sont essentiellement constituées de partisans venus souvent d’Alger ; ils portent pour bon nombre d’entre eux l’uniforme britannique, car la logistique et l’approvisionnement manquent cruellement depuis la débâcle de 1940.


hebergeur d'image
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
09 juillet 2012, 01:24
hebergeur d'image



Au cours de ces années le sort des juifs de Tunisie peut surprendre.

Contrairement aux juifs d’Algérie qui bénéficiaient du décret ‘Crémieux’ qui leur octroie la nationalité française s’ils naissent sur le territoire du pays, les juifs tunisiens sont sous l’autorité beylicale depuis leur venue d’Espagne et donc de nationalité tunisienne (sauf les livournais, eux sont Italiens).

Vichy qui annule les lois Crémieux pour les juifs d’Algérie, n’apporte aucune modification au statut des juifs tunisiens. Pourtant le Bey, qui fait les yeux doux au gouvernement de Vichy, en 1941 impose à la population Israélite des mesures discriminatoires (de même nature que celles pratiquées en France), comme l’interdiction de poursuivre des études ou d’exercer certaines professions.

Il les dépossède des plus belles maisons. Mais lorsque les allemands occupent la Tunisie, des négociations sont entreprises entre les autorités religieuses juives et les troupes d’occupation, si bien que les juifs ne connaissent pas les déportations massives des juifs d’Europe centrale ; pourtant ils sont soumis au STO (les citoyens tunisiens israélites serviront de main-d’œuvre @#$%& pour le déchargement des bateaux, l’entretien des routes).

Des camps seront néanmoins ouverts et un certain nombre de juifs seront conduits en Europe et déportés dans les camps d’extermination (selon des témoignages et le décompte réalisé par les responsables religieux, quelques dizaines dont le champion du monde de boxe : Young Pérez, ne réchapperont pas).

Les juifs livournais ne sont absolument pas inquiétés, d’abord parce que nombre d’entre eux ont accepté de travailler pour le gouvernement fasciste et puis parce que Mussolini ne souhaitait pas réduire l’influence de la communauté italienne dont ils occupaient les postes clef.

Dès la défaite des Allemands et des Italiens, les autorités françaises se plient aux règles des alliés, petit à petit se dessine le nouveau visage et la nouvelle politique de la France en Tunisie. Les premières mesures sont prises à l’encontre des Italiens, tous les hommes valides sont rassemblés dans des camps notamment dans la région de Kasserine (l’un des théâtres des opérations militaires , des combats et des affrontements récents), il serait osé et injuste de s’autoriser la moindre comparaison avec des camps de prisonniers ou les camps de déportation allemands ; mais pour ceux qui l’ont subi, cet internement de plusieurs semaines laissera quelques empreintes.

Malgré l’abondante documentation qui couvre la guerre en Tunisie, il n’y a pas trace de cette mesure prise par les autorités de l’époque : ce qui en fait les ‘camps oubliés’ de la guerre de 39-45.

Un Service du Travail Obligatoire est mis en place et les hommes les plus jeunes sont rassemblés et réquisitionnés pour les travaux d’intérêt général, pour l’approvisionnement des camps de prisonniers, et même pour la réalisation de certains chantiers.

Puis après l’armistice tous les Italiens qui occupent un poste important dans la hiérarchie des entreprises ou qui exercent une profession libérale sont expulsés. La communauté juive livournaise n’échappe pas à ce mouvement, tous les avocats, médecins, pharmaciens, professeurs, (pour la plupart livournais), sont chassés du sol tunisien et leurs biens confisqués. (Peu importe qu’ils soient implantés en Tunisie depuis le XVIème siècle).

Enfin tous les gens fortunés, propriétaires de belles maisons ou simplement les personnes aisées qui logent dans des appartements confortables sont dépossédés de leurs biens et priés de se loger ailleurs.

’Ailleurs’ veut dire que l’on demande aux familles les plus modestes de partager leur logis et d’offrir un accueil à ceux que l’on a privés de leurs biens. Enfin les écoles italiennes sont fermées, les journaux de langue italienne interdits, les avoirs des entreprises sont confisqués, jusqu’à l’hôpital italien qui est nationalisé. Le traité de 1896 est dénoncé dans sa totalité.

Une seule disposition demeure, les Italiens peuvent conserver leur nationalité ; cependant un décret du 20 décembre 1923 qui stipule que tout enfant né dans la Régence de Tunis d’un parent qui y est également né est déclaré de nationalité française, rejeté par l’Italie et tombé en désuétude, est réactivé, il permet de donner à tous les enfants d’Italiens (même s’ils ne la demandent pas) la citoyenneté française.

Ce décret sera utilisé jusqu’en 1956 (avènement de l’indépendance).


hebergeur d'image
Re: Humbert GURRERI UN SICILIEN A TUNIS Histoire d’une famille peu ordinaire
10 juillet 2012, 01:47
Petite rectification . Traité de 1881 Kassar Said et non pas 1896. SOURCE CLAUDE SITBON
Seuls les utilisateurs enregistrés peuvent poster des messages dans ce forum.

Cliquer ici pour vous connecter






HARISSA
Copyright 2000-2025 - HARISSA.COM All Rights Reserved