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Le silence du Juste Gino Bartali qui sauva de nombreux juifs pendant la seconde guerre mondiale

Envoyé par MeYeR 
Le silence du Juste Gino Bartali qui sauva de nombreux juifs pendant la seconde guerre mondiale
02 mai 2018, 09:36
video: [www.youtube.com]
Le silence du Juste Gino Bartali


Figure du cyclisme du XXe siècle, l’Italien a sauvé de nombreux juifs pendant la seconde guerre mondiale. Un acte de bravoure qu’il a toujours gardé secret. Il vient de se voir attribuer la nationalité israélienne à titre posthume.

LE MONDE | 02.05.2018
Par Philippe Ridet (Florence, envoyé spécial)

L’Etat d’Israël, qui organise le départ du Tour d’Italie, vendredi 4 mai, a attribué mercredi à Gino Bartali, l’ancien cycliste italien, la citoyenneté israélienne à titre posthume. Ce geste rarissime fait suite à la reconnaissance par le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem de son statut de « Juste parmi les nations », pour avoir aidé à sauver de nombreux juifs durant la seconde guerre mondiale. A cette occasion, nous republions un reportage publié en 2013 sur cette histoire longtemps demeurée secrète.

C’est tout lui… Déjà parti quand pleuvent les honneurs, se laissant tresser de nouvelles couronnes de laurier qui s’ajoutent à celles conquises dans la poussière des routes. « Le bien, disait-il, on ne le fait pas pour le crier sur les toits. »

Il n’était pas là lorsque, en marge des championnats du monde sur route en 2013, l’ambassadeur d’Israël en Italie remettait au maire de Florence, Matteo Renzi, le document officiel distinguant ce « Juste parmi les nations ». Gino Bartali, né à Ponte a Ema le 18 juillet 1914, vainqueur de deux Tours de France (1938, 1948) et de trois Tours d’Italie (1936, 1937, 1946). Tout comme il était absent lorsque le président de la République Carlo Azeglio Ciampi lui décerna, en 2005, la Médaille d’or du mérite civil, la plus haute distinction italienne. Gino Bartali est mort le 5 mai 2000 d’une attaque cardiaque. Le cœur, encore et toujours.

Pour les Italiens, il fut d’abord « Gino le Pieux ». Le Toscan priait sur la ligne de départ, priait en course, priait encore sur le podium, remerciait la Madone et tous les saints des victoires remportées par dizaines. Pendant ce temps, le Piémontais Fausto Coppi (1919-1960), son cadet et son plus grand rival, qui lui disputait l’admiration de ses compatriotes (deux Tours de France et cinq Giro), embrassait Giulia Occhini, cette mystérieuse « Dame blanche » qui n’était pas son épouse.

A l’époque, le premier représente l’Italie rurale, conservatrice et catholique, alors que le second est déjà comme aimanté vers la modernité et le boom économique des années 1960. Bartali a une gueule de paysan des Apennins, Coppi des airs de romantique ombrageux. Le Toscan ne s’autorise qu’un petit verre de chianti de temps en temps, pendant que le Piémontais teste déjà diverses potions magiques.

Le pays se divise : vaut-il mieux voler sur les cimes avec le « Campionissimo », le surnom laudatif de Coppi, chargé comme une mule, ou souffrir à l’eau claire avec « Ginettaccio », le sobriquet affectueux de Bartali ? Le débat est toujours en cours.

« Ça » ? Des centaines de juifs qui auraient échappé à la mort

Mais, désormais, dans le bâtiment des Justes du mémorial de Yad Vashem de Jérusalem, où son nom s’inscrit au milieu de celui de plus de 20 000 autres personnes ayant risqué leur vie pendant la seconde guerre mondiale pour sauver des juifs, Gino Bartali est débarrassé de ce rival avec lequel il a symbolisé les deux Italie irréconciliables. Mais pourquoi si tard ?

« Même à moi, mon père ne m’a parlé de rien, explique Luigi, son fils cadet, dans la salle du Musée Bartali de Ponte a Ema, où sont alignés comme à la parade des bicyclettes vintage et des maillots en jersey. Un jour en passant devant la Villa Triste, via Bolognese, à Florence, où les miliciens fascistes torturaient des partisans, il m’a simplement dit : “J’ai eu affaire à eux.” » A Andrea, l’aîné, il disait : « Tu comprendras plus tard. » « On savait qu’il avait aidé la Résistance, explique Andrea Bresci, président de l’Association des amis de Bartali. Mais pas à ce point. Pour ses 80 ans, il s’est encore énervé, et nous a dit : “Je ne veux pas qu’on parle de ça. C’est du passé.” »

« Ça » ? Ce sont des centaines de juifs qui, selon Yad Vashem, auraient échappé à la mort grâce à Gino Bartali. Mais puisque lui ne voulait pas en parler ni en entendre parler, il a fallu attendre son décès pour que d’autres, à sa place, recueillent les témoignages, les recoupent et constituent le dossier de son intronisation. Parmi eux, Adam Smulevich. Juif florentin et passionné de cyclisme, ce jeune journaliste travaille pour le mensuel à destination de la communauté juive Pagine Ebraiche.

En avril 2010, avec Sara Funaro, une psychologue, il lance dans son journal un appel à témoins, amplement relayé par la presse locale et par Moked, le portail de l’Union de la communauté juive italienne. « Toute la difficulté, explique-t-il, tenait dans le fait que beaucoup de juifs ne savaient pas qu’ils devaient leur vie à Gino Bartali, en 1943 et 1944, quand, à la suite du débarquement allié en Sicile, les déportations se sont multipliées. »

Salué sur les routes par les chemises noires

Car Bartali, en apparence, ne fait rien d’autre que ce qu’il a toujours fait : du vélo. La guerre a interrompu sa course aux trophées. Ne restent que des épreuves farces, à la gloire du fascisme et de Mussolini, auxquelles il refuse de participer. Mais Gino s’entraîne. C’est du moins ce qu’il dit à sa femme, Adriana : « Je vais faire une longue sortie », lance-t-il en enfourchant sa bicyclette de marque Legnano. Et il pédale. Direction Assise, en Ombrie, Viareggio ou Gênes. Deux cents, 300 ou même 400 kilomètres avalés d’une traite. Roulées dans le cadre de son vélo, sous la selle, des photos d’identité qu’il porte jusqu’au couvent de San Quirico. Là, les sœurs ouvrent un guichet et lui remettent des faux papiers. Gino réenfourche sa bécane et retourne à Florence jusqu’à la pâtisserie de son ami Emilio Berti, qui, à son tour, porte les documents à l’archevêque Elia Angelo dalla Costa et au rabbin Nathan Cassuto, qui organisent une filière d’émigration et d’aide.

Sur les routes, la tête dans le guidon, Bartali reçoit les encouragements des Chemises noires qui le reconnaissent. Si on l’arrête, c’est le plus souvent pour un autographe. Sa couverture est parfaite. La bouteille à la mer lancée par Adam Smulevich et Sara Funaro accoste à Césarée, en Israël, où vit désormais Giulia Donati. Cachée par une famille catholique italienne pendant la guerre, elle se souvient, malgré ses 91 ans, d’avoir vu débarquer un jour sur le pas de la porte un homme portant cuissard et maillot de cycliste. Mais les propriétaires ne le reconnaissent pas et refusent de lui ouvrir… « Disons que c’était une sorte de preuve par l’absurde », dit amusé Smulevich.

Quelques mois plus tard, la pioche est bonne. Au téléphone, un homme du nom de Giorgio Goldenberg se présente. Il appelle de Jérusalem : « J’ai quelque chose qui pourrait vous intéresser… » Et il raconte. Lui et sa famille, originaires de Fiume, ont été cachés pendant trois mois en 1944 dans la cave d’une maison de Florence, via del Bandino, appartenant à Armandino Sizzi, cousin et mécanicien de Gino Bartali. Il a vu le champion, l’a reconnu. Le dernier secret de Bartali est révélé, et ce témoignage – un vrai scoop – est immédiatement publié dans les pages de Pagine Ebraiche. « Cette confession a été un tournant pour son accession au statut de Juste », explique M. Smulevich. Un livre, Road to Valor (non traduit), écrit en 2012 par deux Canadiens frère et sœur, Aili et Andres McConnon, fait désormais référence sur la face cachée du champion.

Une Italie en mal de héros positifs

Le jeudi 26 septembre 2013, le petit musée de Ponte a Ema fête son héros par une journée portes ouvertes. Cela ne change pas grand-chose. Seules 2 000 personnes viennent se recueillir chaque année devant les reliques exposées. Des cyclotouristes en cuissard qui y font une halte avant d’attaquer les collines toscanes. Sur une table, des cacahuètes, du jus d’orange et du soda pour honorer la visite de l’adjoint aux sports de Florence. C’est émouvant, triste et provincial. Passe Francesco Moser (trois Paris-Roubaix, un Giro, un titre de champion du monde et de multiples records de l’heure), vêtu de son maillot rose : « C’est une reconnaissance importante pour un type dont le métier était d’être simplement coureur cycliste. » Dans la ville, et aux alentours, les cadors d’aujourd’hui s’échauffent pour la course du Championnat du monde. Pas un n’est venu jusque-là. L’adjoint promet : « Pour le centenaire de la naissance de Gino, en 2014, nous ferons les choses en grand. »

Luigi Bartali, 67 ans, qui dispute à son frère Andrea la mémoire de leur père, profite de l’absence de ce dernier pour multiplier les interviews et dévider les souvenirs qu’il n’a pas. Les longues tirées jusqu’à Assise, le cœur qui bat, la peur, la foi, ou le chef de la milice, Mario Carita, qui lança à Gino un menaçant « on se reverra », quand il fut contraint de le laisser partir de Villa Triste sans charges contre lui. « J’espère bien que non ! », avait-il répliqué.

Luigi évoque encore le nom d’Antonio Daviti, qui, interné au camp de Dachau (Allemagne), négocia avec un kapo sa vie et celle d’une vingtaine de déportés contre une photo de Bartali qu’il avait gardée dans son portefeuille. Légende ? Souvenir reconstruit ? Quoi qu’il en soit, c’est tout ce dont le « Ginettaccio » disait ne pas vouloir. Au téléphone, Jean-Paul Ollivier, le commentateur du Tour de France pour France 2, auteur de Bartali, le lion de Toscane (Ed. Aurore, 1991), nous confie : « Je l’ai rencontré une dizaine de fois à Florence. C’est vrai qu’il se contentait de dire : “J’ai aidé quelques personnes”, quand on lui demandait des précisions sur ses activités pendant la guerre. Mais ce n’est pas seulement l’homme modeste et bon de la légende. Il était aussi malin, rusé, retors : un vrai Florentin ! »

Mais dans l’Italie en mal de héros positifs et fédérateurs, cherchant désespérément son unité, Gino Bartali ne se discute plus. Son nom et sa légende effacent la honte des lois raciales de 1938 et le silence d’une grande partie des Italiens. A « Gino le Pieux » s’ajoute désormais « Gino le Juste ». Coppi reste le « Campionissimo » pour l’éternité alors que Bartali continue de glaner des titres, seul et secret.

C’est ainsi que le chanteur Paolo Conte le décrit dans sa belle chanson hommage de 1987. « Ça fait plaisir un bouquet de roses/Et aussi le bruit de cellophane/Mais une bonne bière ça ne serait pas plus mal/Je suis assis sur une borne/pensant à mes affaires. (…)/Le jour tombe dans des lueurs orange/J’ai des souvenirs que tu ne connais pas/J’aime rester là sur le bord de cette route poussiéreuse… »


Pièces jointes:
Bartali-sauveur de Juifs-020518-.jpg
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