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"Le Troisième Jour", de Chochana Boukhobza

Envoyé par MeYeR 
"Le Troisième Jour", de Chochana Boukhobza
14 octobre 2010, 15:27
"Le Troisième Jour", de Chochana Boukhobza : le cantique des exilés

LE MONDE DES LIVRES | 14.10.10 |

C'est un livre exceptionnel, écrit par une femme exceptionnelle. Une femme qui porte en elle deux mille ans d'Histoire et d'histoires. Née à Sfax (Tunisie) en 1959, Chochana Boukhobza a toujours su qu'elle allait écrire. Comme sa grand-mère montait des mailles, elle monterait des mots. Mais en 1963, c'est le premier exil : "On s'est entassé à Paris dans un deux-pièces à trois générations." Et le grand-père, talmudiste respecté, de pleurer sur sa terre originelle, le parfum du jasmin et les orangers en fleur.

En 1976, elle part pour Jérusalem, où sa famille la rejoint un an plus tard. Par paresse et parce qu'elle ne maîtrisait pas suffisamment l'hébreu, elle s'inscrit en maths-physique avant de rentrer en France téter le lait de la langue maternelle pour "arracher du silence et de l'obscurité" les mots qu'elle portait. Seulement voilà. On refuse de lui délivrer une carte de séjour. Pendant sept ans, elle va donc vivre comme une clandestine, avec, au ventre, "la peur des flics et de l'expulsion". Quelques jours après que le précieux papier lui est enfin délivré, elle passe chez Bernard Pivot. Son premier roman, Un été à Jérusalem (Balland, 1986, et "Points"), vient d'obtenir le prix Méditerranée.

Déjà, tout est en place. Tiraillée entre ici et ailleurs, elle rend hommage aux transfuges, avec leur "trajectoire en accent circonflexe" (Afrique du Nord/Paris/Jérusalem) et "leurs éternuements de nostalgie". Elle dit la nécessité de l'oubli comme celle de la mémoire, la plus solide des alliées. Parle de Jérusalem, de sa qualité de lumière et de silence, du vent qui s'y lève le soir et "vous gèle la peau brûlée par la chaleur de midi". De cette génération qui, et alors que la guerre entre de partout, a "accepté de limiter la notion de l'avenir à l'idée de demain". Autant de thèmes et de lieux qu'elle visite de livre en livre - voir notamment Pour l'amour du père et Sous les étoiles, dans lequel elle écrit : "Seul le texte vaut qu'on lui livre bataille. Et pas seulement pour les mots qu'il dit, mais pour ceux qu'il nous cache, pour ceux qui ont disparu, aspirés entre les espaces des lettres." Ensuite, elle s'est, selon ses propres mots, assagie. A eu cinq enfants. Signé un très beau documentaire, Un billet aller-retour, et écrit un scénario pour Serge Lalou, réalisateur, entre autres, d'Il était une fois des Juifs arabes.

La colère et ses satellites

Aujourd'hui, il y a Le Troisième Jour. Ou l'histoire d'Elisheva, musicienne reconnue, et de Rachel, son élève violoncelliste, qui arrivent de New York pour donner un concert à Jérusalem. Tandis que Rachel retrouve sa famille et un amour perdu, Elisheva prépare une très secrète entreprise. Avec le concours de Daniel, chasseur de nazis, et de Carlos, elle entend bien tuer de ses mains le bourreau qui a exterminé toute sa famille. Mais résumer ainsi ce roman serait à peine satisfaisant pour un pitch télé. Polyphonique et polysémique, Le Troisième Jour est un concerto remarquablement mené par deux femmes : l'une, Elisheva, ashkénaze, qui est encore "là-bas", dans le cri des mourantes "que la musique ne pouvait pas couvrir" ; l'autre, Rachel, aînée d'une famille séfarade, qui a bafoué l'autorité de son père pour vivre sa passion pour le violoncelle. Alors, accompagnée de Bach, de Schubert et de Fauré, Chochana Boukhobza compose le plus beau des cantiques : celui des exilés. Fait entendre le désespoir amoureux et les trahisons, l'incompréhension et le silence, la colère et ses satellites : le désir et la rancoeur.

Le Troisième Jour se penche aussi sur le statut de la femme : "Je me suis battue pour que l'égalité entre hommes et femmes existe à la maison - raison pour laquelle je me bats aujourd'hui contre le tchador. Je viens d'un pays où les femmes se couvraient la tête : je sais de quoi je parle." De sa voix profonde, elle fait resurgir du passé sa grand-mère, assise par terre dans sa cuisine. Telle Shéhérazade, elle raconte tous ceux qu'elle a filmés pour recueillir leurs témoignages avant qu'ils ne disparaissent avec eux. Quand on lui fait remarquer qu'elle parle des autres plus que d'elle-même, elle renvoie, dans un doux sourire : "Mais quand je parle d'eux, je parle de moi. Et puis, sinon, qui se souviendra ? C'est sur cette matière-là que je travaille. J'aime bien les fins de monde, c'est ce que me racontent Tchekhov ou Dostoïevski."

De même que, depuis deux mille ans et Rabbi Akiba, des hommes ont voué leur existence à tailler les mots, à gorger de sens des lettres, à établir des connexions entre les phrases, de même Chochana Boukhobza bâtit des ponts entre les pays et les langues. Elle tisse des liens entre les générations avec, comme dans le Talmud, des blancs que nous pouvons remplir. Et l'on a envie, à peine l'a-t-on quittée, de la rattraper pour lui dire merci : pour ses livres et ses histoires, les siennes et celles des autres qu'inlassablement elle récolte et raconte si bien.

LE TROISIÈME JOUR de Chochana Boukhobza. Denoël, 416 p., 20 €.
Emilie Grangeray

[www.lemonde.fr]

Pièces jointes:
boukhobza chochana.jpg
Re: "Le Troisième Jour", de Chochana Boukhobza
17 octobre 2010, 08:26
Critique du livre : "Le troisième jour" - Par Miss Alfie - 29 septembre 2010



Trois jours avant l'Ascension 1990, Elisheva, violoncelliste réputée mondialement, et son élève, Rachel, arrivent de New York pour donner un concert exceptionnel à Jérusalem. Partie depuis cinq années de Jérusalem, c'est l'occasion pour Rachel de retrouver sa ville, sa famille, ses amis tandis qu'Elisheva, dans le secret de sa chambre d'hôtel, peaufine une vengeance longtemps espérée : le Bourreau de Maïdanek où elle fut retenue pendant la guerre sera là aussi...

Il existe des livres que l'on achète parce que le thème nous plait, parce que l'on échange quelques mots avec l'auteur en dédicace, et que l'on finit par dévorer un dimanche d'automne au fond du canapé. Le Troisième Jour est de cela, mais je dois dire que l'échange réel, puis virtuel, entamé avec Chochana Boukhobza n'est certainement pas pour rien dans le plaisir que j'ai eu à lire ce roman.

Tout comme Rachel, Chochana Boukhobza est originaire de Tunisie, elle a fait une partie de ses études à Jérusalem, mais il ne s'agit en aucun cas d'un roman dans lequel elle aurait glissé des éléments autobiographiques. Comme elle me l'a écrit, "je me suis inspirée bien sûr de ce que je connais des juifs d'Afrique du Nord pour créer le personnage de Rachel, mais ce n'est pas moi, ni mes parents...". Rachel est l'un des piliers de ce roman, le narrateur principal, celle qui dira "je" tout au long des passages qui lui sont consacrés. Rachel est une jeune femme partie s'installer à New York, qui revient à Jérusalem quelques années plus tard pour y retrouver ses parents avec lesquels elle entretient une relation ambiguë, notamment avec son père, et qui m'a semblé perdue dans ses racines : Rachel est née en Tunisie mais en est partie à six mois pour Jérusalem... Et Rachel m'a semblé avoir réussi à se trouver et à exprimer ses frustrations, ses inquiétudes, ses colères, à travers sa musique. J'ai demandé à Chochana Boukhobza si le choix de la Tunisie comme patrie d'origine de la famille de Rachel était lié à sa propre histoire, et voilà sa réponse : "Il était indispensable dans le livre qu'on puisse entendre des phrases en arabe et des phrases en hébreu. J'avais donc le choix pour situer Rachel entre la Tunisie, le Maroc et l'Algérie. J'ai été tentée par le Maroc et l'Algérie avant de comprendre que ces deux choix étaient impossibles pour des raisons historiques d'abord : le départ des juifs du Maroc s'est produit en 1948 et en 1956, et pour l'Algérie en 1962, à l'indépendance. Ensuite, l'arabe marocain ne ressemble pas à l'arabe tunisien que je connais. Les expressions familières ne sont pas les mêmes... Et en Algérie, les juifs parlaient rarement en arabe : ils avaient choisi de parler français depuis 1870, date à laquelle le décret Crémieux leur a permis de devenir des citoyens français. Donc il me restait la Tunisie, et au fond, c'était aussi bien."


Boukhobza Chochana

Le deuxième pilier de cette narration est le personnage d'Elisheva. Rescapée des camps de la mort, la musique a été son moyen de survie mais l'a aussi détruite puisque les nazis utilisaient à tord et à travers la musique dans les camps de concentration : pour accompagner les exécutions, pour accompagner les expériences sur les cobayes vivants (expériences d'ailleurs suggérées dans le livre, mais jamais décrites, ce qui est presque pire...). Elisheva devait jouer pendant que retentissaient les cris de souffrance des hommes, des femmes, des enfants torturés. La musique sera aussi le moyen pour elle d'assouvir sa vengeance à l'égard du Bourreau, ce médecin qu'elle est décidée à tuer. Mais je reviendrai sur ce Bourreau un peu plus tard... Concernant Elisheva, ce qui m'a frappée est qu'on la suit très peu au final au cours de ces quelques journées à Jerusalem, et pourtant elle est partout présente. Elle est le point commun entre Rachel, Daniel, Amos, Carlos... Elle occupe leurs pensées, ils agissent pour elle, mais on connait bien peu de choses d'Elisheva, à l'image du personnage qu'elle semble être : une femme secrète, qui a conservé en elle sa souffrance, et qui n'a plus rien à perdre pour se venger.

Le troisième pilier de ce roman est incontestablement Jérusalem, la ville, qui tient une place entière dans le récit. Ville symbole que les trois religions monothéistes se sont disputées, et se disputent encore, elle semble résister aux attaques du temps et parait vouloir décider elle-même de son destin. "Jamais ville n'aura autant été désirée et jamais ville n'aura eu autant de portée symbolique et religieuse", disait l'auteur dans une interview qu'elle a donné à l'occasion du salon du livre de Nancy, Le livre sur la Place. Mais si vous demandez précisément à Chochana Boukhobza de vous dire pourquoi elle a choisit cette ville plus qu'une autre, voilà sa réponse : "Pourquoi Jérusalem ? Je ne sais pas. Cela m'a paru peu à peu évident. A cause du statut de Jérusalem, de la symbolique représentée par la ville, de ce que je voulais raconter sur cette cité et ses habitants. Dans toute création, il y a une part d'inconnue, une part qui échappe à la volonté, une part qui arrive peu à peu, qui s'amplifie, qui s'insinue partout, qui vous dépasse, et qui déferle comme un tsunami." Et ce que j'ai surtout apprécié dans sa description de Jérusalem est le sentiment de paix qui s'en dégage : Chochana Boukhobza fait évoluer ensemble des juifs, des arabes et des chrétiens, elle fait oublier le conflit qui rode, toujours en sourdine, elle fait oublier les différences entre les peuples.

Le seul endroit où l'on trouve de la colère et de la haine est dans la vengeance d'Elisheva à l'encontre du Bourreau, ce médecin auquel elle ne donne pas de nom, et que seule Elisheva appellera du nom de "Henker", mot allemand signifiant "bourreau". Ce médecin pourrait finalement être n'importe lequel des médecin ayant exercé dans les camps de la mort. En ne le nommant pas, Chochana Boukhobza nous parle de tous ces nazis qui ont été recherchés, traqués, mais jamais jugés. "J'ai voulu écrire une œuvre de fiction. Donner un nom vrai aurait créé une confusion entre la réalité et le roman. Je n'ai donc pas pu me servir des noms des médecins de Maïdanek qui s'appelaient Grün, Rindfleish et Blanke", m'a-t-elle écrit.

Il est très clair pour moi que si j'ai apprécié autant ce livre, c'est aussi grâce aux échanges que j'ai pu avoir avec l'auteur, qui m'a apporté ces éclairages que j'ai partagé avec vous ce matin, faisant de cette chronique sans doute l'une des plus longues de ce blog ! Un grand merci à Chochana Boukhobza pour sa disponibilité !


Une petite immersion au milieu des pages ?

"Les mots en arabe ont sur moi un pouvoir mystérieux, une portée plus forte que l'hébreu, le français ou l'anglais. Ils sont la griffe de l''exil, du temps avant le temps de ma vie." (p.63)

"J'ai senti la peau douce de Jérusalem apparaître derrière les pierres blanches, puissantes et râpeuses des murailles. Une peau douce derrière l'os de la ville. Des centaines d'hommes sont morts pour ce sanctuaire. Des milliers de jeunes gens de vingt ans y ont été blessés. Mais rien n'a changé dans la cité. Incroyable paradoxe, territoire paradoxe d'une civilisation qui s'interdit de déplacer une pierre de la ville, mais qui accepte qu'on meure pour elle." (p.235)

"Elle va devant elle, de la musique plein la tête, celle qu'elle se jouait pour échapper à la souffrance, qui était sa bouée, sa balise, sa corde dans la nuit." (p.399)


Source : [croqlivres.canalblog.com]

A lire : [www.tunecity.net]
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